«Je suis parmi ceux qui ont commencé à exercer le métier d'éducateur dans les années 60. Nous avons beaucoup travaillé sans compter. On ne nous appelait pas encore travailleurs sociaux et nous ne nous demandions pas si nous étions militants ou professionnels.
« En ce temps-là, on ne parlait pas encore des droits des usagers mais nous nous battions pour que les personnes auprès desquelles nous étions (nous vivions) accèdent aux mêmes droits que les autres citoyens. Nous avons travaillé à faire reconnaître un cadre conventionnel à nos professions (CCN 66). En ce temps-là, nous parlions de la valeur de ce que nous faisions et pas seulement de “coût de prise en charge”.
« Aujourd'hui nous sommes déçus, inquiets et pour tout dire en colère. Pourquoi ? Parce que les lois ARTT, grande avancée sociale devant créer des emplois et améliorer la qualité de vie des salariés, aboutissent à de profondes perturbations des conditions mêmes de notre travail.
«Il serait scandaleux que des heures supplémentaires doivent être légalement rémunérées aux salariés en conséquence du résultat calamiteux d'une gestion désastreuse du dossier, tant par l'administration ministérielle que par les syndicats de salariés et les associations.
« Les différences entre le service aux personnes et le service aux clients ne sont pas reconnues.
« Les aspects spécifiques des dispositions légales, réglementaires et conventionnelles de fonctionnement et de financement socialisé de notre secteur sont oubliés.
« Une vision globale et uniforme, des insuffisances graves d'anticipation, une incroyable imprévision de la part de l'administration, une absence de volonté de concertation et de dialogue, ont entraîné une situation ubuesque et consternante, ainsi que des effets inattendus et contradictoires avec les intentions.
« Dans ce billet, nous souhaitons dénoncer l'un de ces effets : le renforcement des discriminations concernant les personnes fragiles.
« L'application des lois ARTT modifie considérablement le temps et les modalités d'organisation du travail des personnels des établissements et services des secteurs social, médico-social et sanitaire. Malgré des créations d'emplois (souvent à temps partiel), qu'il ne faut pas négliger, la ressource globale de temps va diminuer de 4 à 10 %.
« Dans ces conditions, quelle considération a-t-on eu des projets sociaux, éducatifs, pédagogiques, d'accueil, de soins, qui ont été validés à leur origine par les comités régionaux d'organisation sanitaire et sociale (CROSS) ? Cette absence de considération entraîne une grave discrimination vis-à-vis de l'ensemble des personnes en difficulté, accueillies, accompagnées, aidées, soignées. Les associations responsables de ces projets ne devraient-elles pas redéposer de nouveaux dossiers en CROSS pour tenir compte de cette remise en cause considérable de leur ressource fondamentale ? La loi de 1975, loi sociale, a-t-elle encore besoin d'être réformée, puisque l'on peut modifier gravement les conditions de fonctionnement de structures et services sans s'y référer ?
« Les associations ont-elles manifesté leur désaccord sur ce point ? Nous sommes navrés de constater qu'elle ne l'ont pas fait dans l'unité et avec la détermination qui convenait.
«L'application de l'ARTT a révélé d'autres discriminations concernant les personnes en difficulté qui travaillent, mais ne peuvent pas bénéficier des mêmes droits que les autres citoyens, notamment les salariés en contrats aidés (CES et CEC), les travailleurs handicapés en CAT.
« Cette injustice constitue un non-respect de la loi de lutte contre les exclusions. Cette loi a donné de l'espoir à tous ceux qui souffrent aujourd'hui de l'humiliation et de la honte des situations d'exclusion et de pauvreté. Espoir que soit reconnu l'accès de tous aux droits de tous, ainsi que la nécessité de disposer de moyens convenables d'existence.
« Les lois ARTT auraient au moins pu entraîner une augmentation du salaire des personnes en contrat aidé, ce qui n'aurait pas été un luxe dans une société où nous constatons régulièrement une accentuation de la répartition particulièrement injuste des richesses.
« La loi de 1975 concernant l'intégration des personnes en situation de handicaps et ses textes d'application ont permis de réhabiliter un grand nombre de ces personnes et de leur donner la place citoyenne qui doit être la leur, grâce notamment à l'aide par le travail dans les CAT.
« On a fini par reconnaître qu'il était équitable de faire bénéficier les travailleurs handicapés de l'évolution sociale que constitue la RTT. Nous sommes cependant inquiets et restons vigilants en ce qui concerne les moyens qui seront dégagés pour permettre une mise en œuvre de nouvelles organisations du travail et du temps de soutien dans les CAT. Les positions successives prises sur ce dossier nous apparaissent significatives d'une très insuffisante reconnaissance de la réalité du travail fait depuis plus de 30 ans, tant pour les personnes handicapées elles-mêmes, que par les professionnels qui sont à leur côté.
«En conclusion, il nous apparaît clairement que les lois Aubry créent ou révèlent de nouvelles discriminations inacceptables concernant des personnes se trouvant déjà aux marges d'une société générant ses propres processus d'exclusion.
« Notre vive déception et notre mauvaise humeur prennent leur source dans l'apparente inertie des associations devant cette situation.
« Difficulté à s'unir, réactions trop tardives, grandes difficultés d'anticipation, caractérisent les attitudes générales du secteur associatif devant ce dossier complexe de l'ARTT. Les associations se sont trop longtemps laissé qualifier de “gestionnaires”. Elles ont demandé à des salariés cadres de les représenter dans beaucoup d'instances administratives ou fédératives. Nous l'avons toujours fait avec loyauté et avec engagement par respect des valeurs dont elles sont porteuses.
« La multiplicité et la diversité des associations constituent une richesse et un signe de bonne santé de la démocratie. Par contre, si les associations doivent bien être expertes en administration et en gestion, elles ne doivent pas oublier l'exercice de leur devoir d'indignation et de proposition à chaque fois que les règles du marché ou l'aveuglement de l'appareil administratif remettent en cause les droits fondamentaux des citoyens les plus fragiles.
« Cette conviction est la nôtre depuis plus de 30 ans, elle le restera. »
Daniel Hardy Vice-président de l'Uriopss de Bretagne et membre du comité économique et social régional Uriopss : 203 G, avenue Patton -BP 7728 35077 Rennes cedex -Tél. 02 99 87 51 52.