Comment s'est constituée l'association ?
- J'avais participé, à titre personnel, à l'accueil de réfugiés bosniaques pendant la guerre en Yougoslavie. Après leur retour chez eux, je suis allée leur rendre visite, en 1996. Là-bas, j'ai rencontré des collègues pour comprendre comment ils avaient « tenu le coup » et travaillé dans ce pays dévasté. Ils ont manifesté une forte demande d'ouverture, d'échanges avec d'autres professionnels. Ils avaient l'impression que leurs savoirs avaient été figés pendant les années de guerre. De mon côté, j'avais beaucoup appris sur les pratiques qu'ils avaient développées dans ce contexte particulier. D'où l'idée d'une association réunissant des travailleurs sociaux, des responsables d'établissements, des formateurs, et permettant d'échanger sur les pratiques, les méthodologies et les approches théoriques.
Jusqu'à présent, votre association s'est surtout intéressée au travail social dans des situations de crise...
- Nous avions des relations avec une école de travail social au Liban, et nous avons pensé que Bosniaques et Libanais, de par leur histoire, pourraient s'enrichir mutuellement, et nous enrichir. Par la suite, nous avons également noué des contacts avec des Algériens. En novembre, des rencontres ont eu lieu, à Lyon, sur le thème du rôle des travailleurs sociaux dans le maintien du lien social au cœur, ou à la suite, de situations de grande violence (2). Les intervenants bosniaques ont pu enfin parler de ce qu'ils avaient vécu, ce qui est presque impossible chez eux : en Bosnie, on a jeté un voile sur cette époque. En juin, à Beyrouth, nous poursuivrons nos échanges sur ce thème, avec l'idée d'élaborer un modèle théorique à partir des expériences.
Quels points communs relevez-vous entre ces différentes expériences ?
- Les contextes varient beaucoup. Mais quand il devient difficile de prendre de la distance, apparaît toujours la nécessité de se référer à une méthodologie. Au travail en équipe, par exemple. Ainsi, au Liban, au début des bombardements, les travailleurs sociaux ont eu le sentiment que les seuls professionnels utiles étaient les médecins, les infirmières... Mais peu à peu, ils ont collaboré avec les équipes médicales, de façon à prendre en compte l'entourage des victimes. Ils sont retournés à une approche globale traditionnelle des situations.
Qu'est-ce que les professionnels français peuvent apprendre de ces échanges ?
- Nos collègues qui exercent dans certaines banlieues de l'agglomération lyonnaise relèvent des similitudes entre le travail social face à ces situations extrêmes et les actions à mener face à l'exclusion. A un moment de l'histoire ou dans un quartier concentrant les difficultés, les outils traditionnels
- comme le suivi social
- ne fonctionnent plus. Les professionnels intervenant dans ces deux contextes se retrouvent autour de l'idée qu'ils ne peuvent plus agir seuls, mais doivent associer les publics concernés, créer des lieux où réfléchir avec les usagers. En outre, la culture professionnelle des travailleurs sociaux français valorise le long terme. L'échange avec les collègues étrangers montre que travailler sur le court terme a aussi son utilité. On peut trouver des outils pour des interventions ponctuelles pertinentes.
Sur quels autres thèmes souhaitez-vous réfléchir ?
- Nous entendons échanger sur tous les aspects du travail social. Par exemple sur les rapports qu'il entretient avec l'humanitaire. Les professionnels des deux secteurs, trop souvent, ont du mal à travailler ensemble.
Propos recueillis par Céline Gargoly
(1) Intersocial : 56 I, rue de Margnolles - 69300 Caluire - Tél. 04 78 08 33 95.
(2) Voir ASH n° 2137 du 15-10-99 et les témoignages sur ash. tm. fr à la rubrique « Chroniques d'ici et d'ailleurs ».