Devant l'impatience suscitée par les nombreux reports de la réforme de la loi du 30 juin 1975 relative aux institutions sociales et médico- sociales, le président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale, Jean Le Garrec, a pris l'initiative de créer, en juin 1999, une mission d'information sur ce sujet (1). L'objectif assigné à cette instance, présidée par le député de l'Ardèche Pascal Terrasse (PS), était de« préparer très en amont » l'examen du projet de réforme. Son rapport a été rendu public le 22 mars dernier et devrait être remis au gouvernement dans le courant du mois prochain. Rappelons que Dominique Gillot, secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés, s'est engagée, le 8 février dernier, lors d'un colloque organisé sur ce thème, à l'Assemblée nationale, à déposer, avant le 30 juin, « un projet de loi autonome » (2).
La loi du 30 juin 1975 « a représenté une étape décisive pour conforter l'organisation sociale et médico-sociale de notre pays ». Le secteur social et médico-social a permis de répondre à des besoins non satisfaits et a développé de nouvelles réponses émergentes, souligne la mission. Elle estime, toutefois, indispensable que le dispositif législatif tienne désormais compte de l'évolution considérable du secteur, « dépassant la stricte notion d'hébergement à temps complet ». Les députés dénoncent également« la confusion des compétences entre les différents financeurs ». La loi sur les institutions sociales n'a pas suffisamment pris en compte l'impact de la décentralisation. Pour remédier à ces carences, ils émettent une série de propositions, destinées à répondre aux 4 impératifs suivants :
• affirmer le caractère de service public de l'action sociale et médico- sociale ;
• placer l'usager au cœur du dispositif ;
• adapter les actions aux réalités nouvelles, ainsi qu'aux nouveaux modes de prise en charge ;
• mettre en place des outils de coordination et de coopération.
L'avant-projet de réforme de la loi du 30 juin 1975 élaboré par la direction de l'action sociale (DAS) (3) envisage de placer le secteur social et médico-social sous l'égide de l'intérêt général. Pour Pascal Terrasse, il est nécessaire d'aller au-delà et d'insérer l'action sociale, au même titre que le secteur hospitalier, dans le cadre du service public.
En effet, selon lui, les évolutions actuelles des relations qu'entretiennent les secteurs sanitaire et social« justifient qu'ils soient situés sur le même plan ». A ce titre, il propose une définition calquée sur celle du service public hospitalier inscrite dans le code de la santé publique. Ainsi, le service public social serait assuré par : les établissements publics sociaux, lesservices publics sociaux et ceux des établissements privés sociaux qui répondraient à une série de conditions fixées par décret.
Ces établissements devraient garantir l'égal accès de tous à l'accompagnement social et médico-social qu'ils assurent et pour lequel ils sont autorisés. Ils devraient être ouverts à toutes les personnes dont l'état requiert leurs services. En outre, les structures devraient dispenser aux usagers les actions sociales et médico-sociales préventives, curatives ou palliatives que nécessite leur état et veiller à la continuité de ces actions jusqu'à la fin de leur prise en charge. Aucune discrimination ne pourrait être établie entre les usagers en ce qui concerne les actions sociales et médico-sociales.
La mission parlementaire était composée de9 députés : Pascal Terrasse (PS, Ardèche), président et rapporteur, Roselyne Bachelot-Narquin (RPR, Maine-et-Loire), Yves Bur (UDF, Bas-Rhin), Paulette Guinchard-Kunstler (PS, Doubs), Francis Hammel (PS, Eure- et-Loir), Gilberte Marin-Moskovitz (RCV, Territoire de Belfort), Hélène Mignon (PS, Haute-Garonne), Bernard Outin (PC, Loire), Bernard Perrut (DL, Rhône).
En raison de l'hétérogénéité du secteur social et médico-social, les parlementaires ont procédé à plus de 40 auditions en 9 mois. Ils se sont largement appuyés sur le bilan d'application de la loi du 30 juin 1975, réalisé en 1995 par l'inspection générale des affaires sociales (4) , et sur les documents préparatoires de la direction de l'action sociale (5) , dont la mission « approuve globalement les propositions [...], d'autant plus que la loi en vigueur y est entièrement repensée ». En outre, elle s'est inspirée de certaines propositions émises dans les rapports de Véronique Hespel et Michel Thierry sur l'aide à domicile (6) , de Paulette Guinchard-Kunstler sur la prise en charge de la dépendance (7) et de Maryvonne Lyasid sur les aides techniques (8).
Reprenant les critiques formulées par l'ensemble des acteurs de l'action sociale, le député de l'Ardèche dénonce la logique de la loi de 1975, principalement axée sur la création et la gestion d'établissements. Il est temps, estime-t-il,« d'inverser cette perspective et de passer à une logique fondée sur la personne et sur l'évolution de ses besoins à travers les divers âges de la vie ». Sur ce sujet, les propositions du rapport rejoignent celles d'ores et déjà émises par la DAS (9).
En premier lieu, chaque individu devrait se voir garantir un projet de vie, individualisé et global. Il s'agit d'étendre à l'ensemble du secteur social et médico-social, le principe posé par la loi du 29 juillet 1998 contre les exclusions, selon lequel des solutions propres à éviter la séparation d'avec la famille doivent être recherchées.
Par ailleurs, le rapport souligne la nécessité de sauvegarder le principe de libre choix entre le maintien à domicile et l'accueil en établissement.
En matière de droits des usagers et de leur entourage, il prône une série de mesures visant au respect de la dignité et de la vie privée :
• remise d'une charte de la personne accueillie et d'un livret d'accueil ;
• conclusion d'un contrat de séjour entre l'individu, ou son représentant légal, et l'établissement ;
• élaboration d'un projet d'établissement ou de service, établi en concertation avec les représentants des usagers, de leurs familles, des associations représentatives et des personnels, pour une durée maximale de 5 ans ;
• possibilité de recourir à un médiateur et d'accéder à une information sur les droits fondamentaux, y compris d'ordre patrimonial.
En outre, le règlement intérieurinstitué dans les établissements pour personnes âgées, par la loi du 24 janvier 1997 sur la prestation spécifique dépendance, devrait êtreétendu à l'ensemble du secteur médico-social. Pascal Terrasse recommande également que ce document et le contrat de séjour aient une valeur juridique, pour, notamment, les rendre opposables en cas de manquement.
La réforme de la loi sociale doit être l'occasion, selon le rapport, d'apporter une solution légale auxstructures expérimentales ou non traditionnelles, ainsi qu'aux foyers à double tarification (FDT). De plus, il préconise d'étendre le champ d'application de la loi au secteur de l'aide à domicile.
« L'histoire de l'ensemble de ces établissements et services n'est autre que celle de l'évolution des pratiques et des besoins », notent les parlementaires. Ces équipements - lieux de vie, foyers occupationnels... - sont nés en réponse à des besoins pas ou peu satisfaits.
Aussi, le rapport plaide-t-il pour une clarification du statut des structures expérimentales. Il insiste sur la nécessité d'instaurer une plus grande souplesse dans la possibilité de déroger aux normes habituelles, en ce qui concerne la mise en œuvre de techniques nouvelles de prise en charge, la nature des populations accueillies et les modalités de tarification.
Par ailleurs, la mission retient avec intérêt les demandes, formulées par certains acteurs du secteur, de développer les modalités d'accueil séquentiel ou d'accueil temporaire. Pour cela, elle propose un système d'autorisation visant un nombre de jours à l'année ou au mois. « Le simple bon sens commande » que ces formules reçoivent un financement attaché à la personne.
Le Conseil d'Etat, dans un arrêt du 30 juin 1999 (10), a jugé qu'une circulaire ne pouvait créer des foyers à double tarification. Les parlementaires soulignent donc la difficulté juridique dans laquelle se trouvent ces établissements. Pour y remédier, ils demandent que « la loi rénovée donne une base légale à[leur] création ».
La mission considère que« l'intégration du secteur non lucratif de l'aide à domicile dans le champ de la loi sociale constitue l'unique moyen de préserver celui-ci d'une absorption par le secteur à but lucratif ».
A ce titre, elle suggère que l'autorisation soit délivrée : par le président du conseil général, pour les populations défavorisées, et par le préfet, pour les personnes ordinaires. En d'autres termes, la prestation de service (garde d'enfants) relèverait de la compétence dupréfet, alors que les prestations d'aide sociale seraient du ressort du président du conseil général.
Par ailleurs, le rapport se prononce en faveur de l'application des procédures de tarificationprévues par la loi de 1975 au secteur de l'aide à domicile. Et ce, notamment, pour« régler le contentieux qui oppose aujourd'hui les services aux régimes de retraite [sur les]modalités de fixation du taux horaire de la prestation d'aide ménagère qui manquent précisément d'un cadre législatif ».
Une série d'orientations visent à donner aux comités régionaux de l'organisation sanitaire et sociale (CROSS) plus de poids dans les procédures de décision, à concevoir des schémas opposables et à réformer la chaîne autorisation-habilitation-tarification. Objectif : centrer la tarification sur les personnes et non plus sur les structures.
Le rôle du CROSS consiste à émettre un avis sur l'autorisation de création de nouvelles institutions. Il doit s'assurer de l'utilité du projet au plan social, de sa pertinence et de sa qualité, ainsi que de sa faisabilité au regard des garanties que doit apporter le promoteur.
Or, aujourd'hui, regrette Pascal Terrasse, « les CROSS ne font que délivrer cet avis sans participer à la décision ». Cette situation débouche sur « une accumulation d'avis favorables restés sans suite ou qui, parfois, donnent lieu à des arrêtés d'agrément qui précisent que l'établissement ne pourra pas recevoir d'assurés sociaux ou de bénéficiaires de l'aide sociale ». Il faut donc, insiste-t-il,redéfinir le rôle et le fonctionnement de ces comités :
• en leur donnant éventuellement plus de poids dans les mécanismes de décision et de constitution des schémas régionaux de l'organisation sanitaire et sociale ;
• en redéfinissant, par voie réglementaire, leur fonctionnement et leurs relations avec le directeur départemental des affaires sanitaires et sociales.
La mission regrette les carences du schéma départemental. « Bien que son élaboration soit obligatoire, aucune sanction n'est prévue si le département ne s'exécute pas. » De plus, alors que la loi pose le principe de la révision du schéma, elle ne fixe aucune périodicité. Il n'est opposable ni à l'autorité qui l'arrête, ni aux tiers. Aussi, les parlementaires s'interrogent-ils « sur l'absence d'effet normatif du schéma ». Ils plaident pour l'opposabilité aux collectivités publiques et aux promoteurs des schémas régionaux et départementaux d'action sociale et médico-sociale.
Ces derniers devraient tenir compte des priorités sociales et des orientations définies, à la fois, par un conseil national de l'action et de l'évaluation sociale (dont le rapport demande la création, voir ci-dessous) et par le CROSS. ils devraient être adoptés, après avis de ce dernier, conjointement par le représentant de l'Etat et des conseils régionaux. Enfin, les schémas devraient laisser la possibilité de répondre à des besoins nouveaux et urgents au moyen de structures expérimentales et innovantes.
Les parlementaires appellent à lever les ambiguïtés de l'habilitation et soulignent la nécessité de l'adapter au rôle que doit jouer l'équipement en termes de protection, d'aide ou d'action sociale. Pour cela, ils recommandent de redéfinir les notions d'autorisation préalable et d'habilitation financière.
Par ailleurs, le rapport dénonce la complexité de la tarification des équipements médico-sociaux. La décentralisation a transféré une partie des compétences en la matière détenues par l'Etat aux conseils généraux. Or, l'application pratique et juridique des règles de partage des compétences se heurte, selon la mission, « à de sérieuses difficultés ». En outre, elle juge que« la référence aux besoins et aux moyens apparaît indispensable pour que les nouvelles dispositions financières ne se trouvent pas en contradiction avec la culture professionnelle ». Tout en reconnaissant la nécessité de moderniser la tarification, Pascal Terrasse estime, cependant, que« ses principes fondateurs doivent être préservés ». Il faut« réaffirmer la référence indissociable aux besoins et aux moyens en même temps que l'on introduit la mesure de l'activité ».
Enfin, s'agissant de l'encadrement des dépenses du secteur médico- social par la mise en place d'enveloppes opposables, la mission souligne la crainte exprimée par plusieurs associations de voir chaque établissement recevoir une dotation de fonctionnement et de devoir adapter sa structure en fonction des moyens qui lui seront attribués. Tout en se déclarant attachée au maintien de la procédure de l'article 16 de la loi de 1975 (11), elle met l'accent sur sa contradiction avec le dispositif des enveloppes opposables.
Le rapport préconise la création d'un Conseil national de l'action et de l'évaluation sociale. Cette instance se justifie par le besoin d'insérer l'effort de planification régionale et départementale dans un cadre national.
Un recentrage des besoins connus est nécessaire au plan national, estime Pascal Terrasse, par le biais d'une évaluation menée à cet échelon. En outre, ce conseil serait chargé de définir les référentiels consensuels de bonne gestion et de bonne pratique du domaine social et médico-social. Cela sera de nature, « à limiter les disparités constatées dans le pays ainsi qu'à mettre en valeur la part que prennent les établissements et services sociaux et médico-sociaux à l'aménagement du territoire ». De plus, cette instance, distincte du Conseil national de l'organisation sanitaire et sociale, permettrait une « conférence sociale élargie » susceptible de coordonner les actions et les évolutions des secteurs sanitaire et social et médico-social.
En matière d'évaluation, le député de l'Ardèche propose que les centres régionaux pour l'enfance et l'adolescence inadaptée jouent utilement le rôle de relais entre la commission nationale et les établissements et services impliqués dans la démarche d'évaluation.
Enfin, il se prononce pour une démarche d'accréditation volontaire et non obligatoire, qui déboucherait sur un label de qualitéconféré par une instance indépendante. Cette démarche ne serait pas susceptible de sanction. Elle serait temporaire et révisable régulièrement.
Sophie Courault
En écho aux propos de Dominique Gillot, le 15 février, devant le Conseil supérieur du travail social (12) , la mission parlementaire prend, elle aussi, position pour un renforcement législatif de la protection des salariés signalant les dysfonctionnements et mauvais traitements dont ils peuvent avoir connaissance. Alors que les contrôles, exercés par les autorités de tutelle, sont effectifs dans le domaine financier ou immobilier, « les appuis pédagogiques et les contrôles des conditions de vie des personnes sont timorés ou inexistants », déplore-t-elle.
Dans le domaine de la régulation, le rapport plaide pour la mise place d'une instance régionale de conseil et de régulation. Il propose de compléter en ce sens les compétences des CROSS. Ces comités pourraient être consultés, pour avis, par les travailleurs sociaux comme par leurs employeurs.
(1) Voir ASH n° 2126 du 2-07-99.
(2) Voir ASH n° 2153 du 11-02-00.
(3) Voir ASH n° 2152 du 4-02-00.
(4) Voir ASH n° 1954 du 22-12-95.
(5) Voir ASH n° 2152 du 4-02-00.
(6) Voir ASH n° 2084 du 11-09-98.
(7) Voir ASH n° 2135 du 1-10-99.
(8) Voir ASH n° 2135 du 1-10-99.
(9) Voir ASH n° 2152 du 4-02-00.
(10) Voir ASH n° 2135 du 1-10-99.
(11) Cet article prévoit la soumission des conventions collectives de travail applicables aux salariés des établissements ou services à caractère social ou sanitaire à but non lucratif dont les dépenses de fonctionnement sont supportées par des personnes publiques ou des organismes de sécurité sociale à une procédure d'agrément préalable. Une fois l'agrément obtenu, la convention collective devient opposable au financeur public.
(12) Voir ASH n° 2154 du 18-02-00.