Amoureux de l'Hexagone ou de l'un (e) de ses habitant (e) s, chômeurs potentiels chez eux, parfois rescapés de situations dramatiques dans leur pays d'origine, les assistants sociaux d'origine étrangère ont souvent de multiples raisons de vouloir travailler en France. Notre pays est sans doute celui de l'Union européenne (UE) qui accueille le plus de ressortissants communautaires et même d'étrangers hors UE, selon un dispositif très rigoureux. Et qui diffère selon l'origine des candidats (1).
Mais avant tout, ceux-ci doivent être déjà diplômés, la profession d'assistant de service social étant réglementée en France.
Globalement, la mobilité des assistants de service social est faible en Europe ; elle concerne essentiellement les frontaliers et plutôt les « Nordistes » (France/Belgique, Belgique/Allemagne, etc.). Avec 80 % des demandeurs qui souhaitent travailler sur notre sol, la Belgique arrive largement en tête des pays de l'Union européenne. Viennent ensuite les Allemands et les Espagnols.
Depuis la loi du 18 janvier 1991, qui a transposé en droit français la directive européenne du 21 décembre 1988 sur la reconnaissance des diplômes de l'enseignement supérieur (2), les assistants sociaux originaires de l'UE bénéficient d'une procédure particulière. Le candidat adresse au ministère de l'Emploi et de la Solidarité un dossier soumis, pour avis, à un centre de formation agréé. Si la formation est jugée tout à fait comparable à celle offerte en France, le ministère délivre automatiquement l'autorisation d'exercer. Sinon, le candidat doit se soumettre, selon son choix, soit à une épreuve d'aptitude (déontologie comprise), soit à un stage d'adaptation sous la responsabilité d'un professionnel, soit parfois aux deux à la fois, lorsque son dossier l'exige. La formation à cette épreuve se déroule sur six mois (3).
Au total, la procédure ne doit pas durer plus de quatre mois, ou bien tout est à recommencer. Depuis le dépôt de leur dossier, démarre ainsi une sorte de marathon entre les postulants et l'administration.
Isabelle Detournay, assistante sociale belge, 26 ans, a appris qu'elle était admise en formation d'adaptation à Lille... deux jours avant la rentrée ! Quant à Marie Fontaine, une de ses compatriotes, elle a dû revoir sa copie trois fois parce que « le contenu de l'enseignement dispensé en Belgique n'était pas assez détaillé aux yeux d'une administration française, très pointilleuse ».
Andris Hooger, qui avait choisi, après trois ans d'études en Hollande, d'accomplir son stage de quatrième et dernière année en région parisienne en polyvalence de secteur, a lui obtenu directement l'autorisation d'exercer. Autre cas de figure, Mathis Van Dam, jeune Hollandais, en troisième année d'études à Amsterdam, ne sait pas encore s'il viendra travailler en France. Mais « au cas où », il accomplit actuellement son stage de troisième année en région parisienne. Dix mois, dont cinq en polyvalence dans la Seine-Saint-Denis et cinq en service spécialisé, assorti d'un encadrement pédagogique assuré par le centre de formation du lycée Rabelais, à Paris. Ce qu'il apprécie car, « propulsé en banlieue sensible dès [son] arrivée, cela [lui] a permis de prendre du recul et de mieux appréhender l'intervention en service social ».
Professionnelles et francophones, Isabelle Detournay et Marie Fontaine ont toutes deux choisi de s'expatrier par peur du chômage. Il n'y a pas si longtemps, au début des années 90, les assistants sociaux belges, recrutés par certains conseils généraux en mal de professionnels, avaient d'ailleurs défrayé la chronique. Diplômée dans son pays l'année dernière, Marie Fontaine a cherché un emploi plusieurs mois avant de constituer son dossier pour la France. Si elle décroche l'autorisation d'exercer, elle compte bien y rester.
Mais pour l'heure, elles peinent toutes deux à se repérer dans la jungle des institutions et des dispositifs français. « L'enseignement concerne surtout la législation et le contexte socio-économique. Cela manque un peu de matières portant sur les aspects relationnels, l'approche du service social en France. J'espère qu'on y viendra plus tard. Et que dire de l'abondance des sigles ! remarque Isabelle Detournay, qui juge cette spécialité franco-française pesante. On a l'impression de ne pas maîtriser le langage du social, ce qui freine la compréhension du système français. »
Ressortissants non membres de l'Union européenne :122 dossiers ont été instruits entre 1994 et 1999. 92 candidats ont été autorisés à suivre une formation d'adaptation. Mais les statistiques ne permettent pas de savoir s'ils l'ont effectivement suivie et s'ils ont obtenu le diplôme d'Etat.
Ressortissants de l'Union européenne (4) : plus de 400 personnes ont sollicité l'autorisation d'exercer entre 1992 et 1999. 279 dossiers complets ont fait l'objet d'une décision (refus, autorisation immédiate ou subordonnée à une mesure compensatoire). Sur 156 autorisations, 103 ont été délivrées à des diplômés belges : 30 immédiatement après instruction du dossier, 126 après un stage ou une épreuve d'aptitude.
Nadia Grolaux, assistante sociale brésilienne, a épousé un Belge. En France depuis deux ans, elle fait la formation d'adaptation propre aux étrangers non européens sur un an. En effet, les assistants sociaux non ressortissants de l'UE doivent demander au ministère l'habilitation de leur diplôme, après constitution d'un dossier avec l'aide d'un centre de formation agréé et avis de la DRASS. A l'issue de cette formation, ils peuvent se présenter aux épreuves nationales d'adaptation pour obtenir le diplôme d'Etat français.
Pour Nadia Grolaux, qui apprécie particulièrement l'alternance théorie/pratique dans la formation, tout s'est bien passé. Ce n'est en revanche pas le cas de cette Marocaine de 36 ans, mariée à un Français, qui vit dans l'Hexagone depuis cinq ans. Elle s'est battue pendant plus de trois ans pour obtenir l'habilitation de son diplôme, finalement reconnu, estime-t-elle, grâce à la validation de ses acquis professionnels : une expérience de six ans au Sahara marocain, puis de directrice du service social de la région nord du Maroc. « Certains diplômes comme ceux délivrés en Algérie ou au Sénégal, ont, par exemple, une orientation trop sanitaire ; dans d'autres pays, ils peuvent être assortis d'une mention particulière - animation ou autre -qui peut justifier un refus d'habilitation de la part de l'administration alors que le contenu de l'enseignement est le même que le nôtre », constate Marie-Hélène Karstens, responsable des formations d'adaptation à l'Ecole normale sociale de Paris (5). Ce centre a vu passer dans ses murs environ 240 assistants sociaux étrangers, et une quarantaine de nationalités différentes. « C'est parfois arbitraire mais, en même temps, il faut comprendre qu'on ne peut brader ni l'identité ni la reconnaissance de la profession. »
Pour certains étrangers hors UE, c'est souvent le parcours du combattant - ne serait-ce que pour obtenir une copie certifiée conforme et la traduction assermentée de leur diplôme - surtout lorsqu'ils ont fui leur pays, observe Marie- Hélène Karstens. Laquelle fait reposer la pédagogie de cet enseignement sur la trajectoire et le projet de chaque professionnel, ainsi que sur la mise en commun des ressources du groupe. Mais il faut aussi gérer une angoisse souvent prégnante : une maîtrise parfois approximative du français, qui se révèle souvent un obstacle à l'écrit lorsqu'il s'agit de rédiger le rapport de stage ou à l'oral lorsqu'il faudra affronter le jury. Conformément à la réglementation européenne, la connaissance du français ne peut être, en effet, un critère discriminatoire, mais elle représente une barrière lors des épreuves du diplôme. Ce qui explique certains échecs en cours de route.
Y aura-t-il dans les années à venir une augmentation des demandes de ressortissants de l'Union ou hors Union ? Difficile d'anticiper, même si l'on peut imaginer une plus grande mobilité des populations avec l'ouverture de l'Europe vers l'Est, l'entrée dans l'euro et l'amorce d'une croissance régénérée. Les échanges avec l'étranger commencent à se développer en France en formation initiale et continue. Mais l'exercice du travail social sans frontières invite les professionnels à répondre à un double défi : réussir leur propre intégration dans la société d'accueil pour être à même d'accompagner les usagers dans la leur.
Dominique Lallemand
Qu'est-ce qui vous frappe dans l'exercice du travail social tel que vous l'avez découvert en France ? Mathis Van Dam : La difficulté pour les Français de définir concrètement les objectifs d'un projet. Par exemple, « impulser du mieux vivre dans un quartier ». Qu'est-ce que cela veut dire en réalité ? Comment atteindre des objectifs aussi flous sans en définir le sens et les moyens que l'on se donne ? La deuxième chose, c'est le nombre de réunions interminables ! Cela me semble peu efficace : la question pourrait souvent être réglée en moitié moins de temps ! Enfin, et surtout peut-être, les aides financières ont été une vraie découverte, car un tel système n'existe pas en Hollande. Je trouve que cela induit une dépendance assez forte des usagers. Andris Hooger : Je trouve très important que la profession soit réglementée et soumise au secret professionnel. Ce cadre est une reconnaissance inconnue dans notre pays. Je serais moins absolu que Mathis au regard des aides financières ; sur le principe, si cela peut aider les gens à s'en sortir, pourquoi pas ? Mais dans la pratique, il me semble, néanmoins, que la demande financière occulte les autres problèmes et brouille le sens de l'intervention sociale. Aux Pays-Bas, les aides financières sont attribuées par des services administratifs déconnectés du service social. Pour avoir travaillé en secteur dans une mairie de la banlieue parisienne, j'ai constaté que le poids du travail administratif est très lourd. Dans l'ensemble, on passe trop de temps en réunions sur les dysfonctionnements institutionnels. En revanche, je trouve très intéressant le système de protection de l'enfance, notamment le circuit des signalements, les différents niveaux d'intervention entre protection administrative et judiciaire et la notion de contrat avec la famille. Mais j'ai aussi un regret : l'absence de supervision destinée aux jeunes professionnels. Mathis Van Dam est étudiant stagiaire en polyvalence de secteur et Andris Hooger, médiateur dans un organisme de logement social en région parisienne. Tous deux sont hollandais.
(1) Rens. : Ministère de l'Emploi et de la Solidarité - Sous-direction du travail social et des institutions sociales : 11, place des Cinq-Martyrs-du-Lycée- Buffon - 75696 Paris cedex 14 - L'Association nationale des assistants de service social édite un répertoire à l'attention des professionnels étrangers : Assistants de service social sans frontière - ANAS : 15, rue de Bruxelles - 75009 Paris - Tél. 04 45 26 33 79 - Voir ASH n° 2146 du 17-12-99. L'ANAS organisait également une journée d'étude « Diversité du travail social dans le monde », le 26 février 2000.
(2) Les modalités de cette reconnaissance ont été reprécisées par la lettre DAS/TS1 du 23 décembre 1997 - Voir ASH n° 2058 du 13-02-98.
(3) Huit centres de formation agréés dispensent les formations d'adaptation destinées à l'ensemble des ressortissants étrangers : Alençon, Lille, Lyon, Marseille, Mulhouse, Paris, Rennes, Toulouse.
(4) Le Liechtenstein et la Finlande ayant signé la directive européenne de 1988, leurs ressortissants bénéficient de la procédure réservée aux membres de l'Union. Source : ministère de l'Emploi et de la Solidarité, direction de l'action sociale.
(5) ENS : 2, rue de Torcy - 75018 Paris - Tél. 01 40 38 67 00.