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Remettre la famille en scène

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A Nancy, un service habilité par l'ASE propose, entre l'action éducative en milieu ouvert et l'hébergement, une aide pluridisciplinaire aux enfants, mais aussi aux parents en difficulté. Un an après la mise en place des réseaux d'écoute, d'appui et d'accompagnement des parents, zoom sur une expérience originale.

Depuis deux ans, le lexique professionnel des travailleurs sociaux et des juges des enfants nancéiens s'est enrichi d'un vocabulaire nouveau et bien local : « la mesure SAFE ». Derrière ce jargon, se cache une solution novatrice pour les acteurs de l'aide sociale à l'enfance (ASE). Lesquels disposent, depuis novembre 1997, pour les enfants qui leur sont confiés, d'une troisième voie entre le placement en institution et la mesure d'action éducative en milieu ouvert.

L'administration ou le juge peut, en effet, orienter certains enfants, qu'il semble pertinent de maintenir dans leur milieu familial, vers le service d'accompagnement familial et éducatif (SAFE)   (1). Dans un cadre traditionnel (habilitation ASE, financement entièrement départemental au prix de journée, travail sous mandat), ce service propose une prestation originale. A partir d'un accueil de jour et d'une prise en charge éducative et pédagogique, six jours sur sept, pour 40 enfants de 6 à 13 ans, les deux antennes du service organisent et conçoivent leur travail dans l'objectif de la restauration et du soutien de la fonction parentale. Outre l'aide proposée aux parents, sous forme d'entretiens, de groupes de parole ou de médiation familiale, c'est leur participation au dispositif, mis en place autour de leur enfant, qui est recherchée et encouragée. Un positionnement que Stéphane Pontlevoy, chef de service éducatif, résume ainsi : « Toujours mettre les parents en scène sans les mettre en cause. » Et qui conditionne, « dès l'accueil, le regard porté sur la famille », précise Marie-Claude Ragueneau, directrice du service.

Prévenir les placements

Il faut dire que l'appel d'offres, lancé en 1996 par le conseil général de Meurthe-et-Moselle, était clair. Dans un souci de prévention des placements et dans le cadre d'une politique volontariste de réduction des places d'hébergement, la commande publique insiste alors sur une prestation de service, intermédiaire, individualisée, associant étroitement les parents et prenant en compte leur problématique. Via Marie-Claude Ragueneau et Stéphane Pontlevoy, tous deux issus d'un établissement de la région parisienne, c'est le projet de l'association Jeunesse culture loisirs technique (JCLT)   (2), non implantée encore en Lorraine, qui est retenu. Pour « les Parisiens » qui viennent monter le service, l'accueil est plutôt froid et le contexte pour le moins délicat à gérer. D'autant que le conseil général semble vouloir faire du SAFE la vitrine d'une « nouvelle » forme de protection de l'enfance.

De fait, avec la volonté politique, les moyens ont suivis. Avec 20 postes équivalents temps plein (dont 8 éducateurs spécialisés et un éducateur technique), pour 40 enfants, et un coût journalier à la place de 580 F, le SAFE dispose en effet de larges facilités pour un service de milieu ouvert. Et après deux années de fonctionnement, il semble qu'il ait trouvé sa place dans le paysage des prestations socio-éducatives, répondant, de fait, à une frange spécifique de besoins. « Les enfants que nous accueillons sont des garçons et des filles en rupture scolaire et sociale dont les difficultés sont à mettre en lien le plus souvent avec des problématiques parentales : séparation, conflit des parents, problèmes de communication parents/enfants... », explique Marie-Claude Ragueneau. En 1998, 56 % des usagers reçus par le service étaient des familles monoparentales et 83 % des enfants étaient de sexe masculin. Le service traite ainsi « une majorité de situations où le lien mère-fils pose problème, avec notamment des difficultés dans le rapport des enfants à la loi », constate-t-on au sein de l'équipe.

L'accueil de jour - pour certains enfants, tous les soirs après l'école, les mercredis et les samedis ;pour d'autres un seul soir par semaine - s'articule autour de moments éducatifs et pédagogiques « classiques » encadrés par les éducateurs : goûter, aide aux devoirs, activités manuelles, sorties. L'objectif est d'offrir des espaces d'expression et de créativité, mais aussi de permettre une remotivation scolaire et une resocialisation. Si une action thérapeutique (orthophonie par exemple) s'avère nécessaire, le service assure une mise en relation avec des spécialistes. Originalité :l'équipe comprend deux enseignants spécialisés mis à disposition par l'Education nationale. Quelques enfants, en conflit grave avec l'institution scolaire (comportements violents) et en risque d'exclusion, sont pris en charge dans le cadre d'une convention entre le service et l'école pour suivre pendant une période déterminée une partie de leur scolarité au SAFE : tous les après-midi pour certains, quelques heures par semaine pour d'autres. Slavko Mihaljcek, enseignant au service, a rarement plus de cinq élèves en même temps et peut réellement apporter une aide individualisée. « Je travaille aussi à refaire du lien entre l'enfant, la famille et l'école et je prépare la réintégration scolaire », explique-t-il. Ainsi, lorsqu'un élève retourne progressivement dans sa classe, Slavko Mihaljcek peut accompagner cette réintégration et travailler, cette fois dans la classe, avec son collègue pendant plusieurs après-midi.

Un protocole d'accueil et d'accompagnement

Comment dès lors, à partir de l'enfant, porte d'entrée de l'intervention, accompagner et soutenir aussi la famille ? L'équipe pose une condition essentielle : le ou les parents sont informés (un livret d'accueil leur présente le service), puis directement impliqués dans la mise en place du projet individuel de l'enfant. Dans les 15 premiers jours de la mesure, un protocole d'accueil et d'accompagnement permet de formaliser les attentes et les engagements de chacune des parties :l'enfant, la famille et le SAFE. Ce document contractuel fixe les modalités concrètes de la prise en charge de l'enfant et sert de référence, de point de départ à partir duquel des modifications et évolutions peuvent être décidées en commun. Mais cette participation, voire la simple adhésion au projet, n'est pas toujours facile à installer, notamment quand c'est une mesure décidée par le juge des enfants (37 % des publics accueillis) qui est à l'origine de l'intervention. « Ici, la mise en confiance est plus difficile. Il faut se donner du temps, accepter par exemple que le contrat ne soit pas respecté pendant un temps, que l'enfant vienne irrégulièrement », admet la directrice. Beaucoup ont aussi une longue histoire avec les travailleurs sociaux et « ont tendance à s'en remettre à nous comme s'ils étaient dépossédés de la question éducative. Notre travail consiste à renverser la vapeur, à leur demander ce qu'eux-mêmes font et à requa- lifier les positions qu'ils ont eues », explique Stéphane Pontlevoy. Mais dans le quotidien des éducateurs, et pour certaines situations, « ce n'est pas toujours facile ni possible que la même personne aide et écoute l'enfant, d'une part, et soutienne les parents, d'autre part », reconnaît-il. C'est là que la pluridisciplinarité de l'équipe prend tout son sens.

Outre l'écoute proposée par la psychologue aux parents qui le souhaitent et l'accompagnement social global assuré par une assistante sociale (problèmes financiers, mise en lien avec l'assistant social de secteur, projets de vacances...), le SAFE offre aussi les services d'une médiatrice familiale qui - fait rarissime - est embauchée à temps plein.  « Ma fonction n'est ni interprétative ni thérapeutique, explique Théodora Kulesevic, mais j'aide les personnes en conflit (problèmes de droit de visite, de pensions alimentaires, d'autorité parentale), ou en rupture, à trouver leur propres solutions. Mon rôle consiste à rétablir la communication. »

Un rôle finalement assez emblématique de l'ensemble du service, dont l'action est orientée, dans chaque domaine, vers le rétablissement des liens, que ce soit au sein de la famille, avec l'école ou encore avec les équipements sociaux et culturels locaux. Et si l'objectif est bien d'agir en prévention, notamment pour éviter le placement, « cela ne veut pas dire qu'à l'issue de notre intervention on ne puisse pas proposer éventuellement un placement. Préparé, travaillé, il sera mieux vécu », précise le chef de service. Ayant prévu d'accueillir pour une période allant de cinq mois à deux ans, l'équipe s'aperçoit souvent que l'action entamée sera de plus longue haleine. Elle réfléchit aussi à ses limites et aux moyens de l'articuler ou non avec des interventions de thérapie familiale. Néanmoins, et même s'il est trop tôt pour dresser un bilan, la plupart des professionnels évoquent d'ores et déjà un sentiment d'efficacité et de complémentarité avec les autres mesures existantes.

Valérie Larmignat

CORINNE TICHOUX : « PRENDRE EN COMPTE LA PROBLÉMATIQUE FAMILIALE »

Vous avez rencontré l'équipe du SAFE au début de son fonctionnement. Qu'est-ce qui vous a paru intéressant dans son projet ? - Ses principes d'intervention vont dans le sens de la politique actuelle de remobilisation des parents, portée notamment par la délégation interministérielle à la famille (DIF) au travers de la circulaire du 9 mars 1999 sur les réseaux d'écoute, d'appui et d'accompagnement des parents (3) . Ce service a mis en œuvre un projet qui dépasse la simple prise en charge de l'enfant - ce que proposent les mandats traditionnels de l'aide sociale à l'enfance- pour intervenir sur la problématique familiale et, surtout, directement auprès des parents. En quoi ce type de service peut-il se diffuser ? - Il faut dire tout d'abord que le SAFE bénéficie d'un environnement très favorable puisqu'il a été soutenu par une forte volonté politique et a obtenu des moyens financiers très importants pour une prise en charge en milieu ouvert. En ce sens, cette expérience est peut-être difficilement reconductible, telle quelle, ailleurs. En revanche, elle nous apprend beaucoup. Le fait qu'y soient dirigés des enfants, pris dans une situation familiale complexe, avec des conflits parentaux et de couples, nous interroge sur les possibilités et les capacités des services existants à décrypter et à intervenir sur ces problématiques. Les outils de travail dont s'est doté le service sont intéressants : une équipe pluridisciplinaire, mais aussi, leur protocole d'accueil qui permet de formaliser les objectifs et de clarifier la place de chacun. C'est à partir de ces éléments concrets que peuvent se diffuser de nouvelles pratiques. Car pour la délégation, le problème n'est plus au niveau des textes qui soulignent tous la nécessaire prise en compte des parents, mais bien au niveau des services. Quel rôle peuvent jouer les réseaux d'écoute, d'appui et d'accompagnement des parents, lancés il y a un an ? - D'ores et déjà 1 500 projets nouveaux ont été financés. Ils sont souvent issus de petites associations ou encore de promoteurs n'appartenant pas au domaine de l'action sociale stricto sensu. Il faut rester vigilants à ce que cette initiative de soutien à la fonction parentale ne passe pas à côté, mais inclue bien le secteur « traditionnel » de l'action sociale. Propos recueillis par V. L. Corinne Tichoux est chargée de mission à la délégation interministérielle à la famille.

Notes

(1)  SAFE : Tour Panoramique - 25e étage - 54320 Maxéville - Tél. 03 83 95 41 30.

(2)  JCLT : 17, rue Jean-Poulmarch - 75010 Paris - Tél. 01 40 18 75 00.

(3)  Voir ASH n° 2110 du 12-03-99.

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