« Il y a encore quatre ou cinq ans, quand on parlait d'insertion dans les chambre consulaires, on nous regardait avec de grands yeux, se souvient Philippe Maitreau, maire adjoint chargé des finances et de l'emploi à la mairie de Mulhouse, président de la mission locale et du plan local pluriannuel pour l'insertion et l'emploi (PLIE) de la ville alsacienne (1). Mais aujourd'hui, un nombre croissant d'entreprises, grandes ou petites, marchent main dans la main avec nous dans la lutte contre les exclusions. »
Nés d'une expérience de terrain apparue en 1992 à Lille, les PLIE ont été étendus au niveau national dès 1993. Intitulés à l'époque « plans locaux d'insertion par l'économie », ils se définissent comme des dispositifs de cohésion et de coordination entre les différents acteurs de l'insertion. Leur grande originalité est de s'appuyer aussi sur la collaboration d'entreprises privées, dans le cadre d'un parcours de remise à l'emploi des publics en difficulté.
Lors des premiers « Entretiens de Mulhouse » (2), les responsables et acteurs de terrain sont venus confronter leurs pratiques. En huit ans d'existence, les PLIE ont déjà remis le pied à l'étrier à plus de 100 000 exclus. L'impulsion vient toujours de l'équipe municipale. « Nous nous tenons au courant des projets d'implantation ou de développement des entreprises dans la région, puis nous démarchons celles qui semblent porteuses d'emploi », explique Philippe Maitreau. En parallèle, les personnes volontaires effectuent, au sein des structures existantes (ANPE, régies de quartier, missions locales, etc.), un parcours de retour à l'emploi dont la durée va généralement de six mois à deux ans et requiert un accompagnement multiforme. Une fois ce parcours accompli, les acteurs de l'insertion présentent aux entreprises ceux qu'ils estiment suffisamment prêts pour être candidats à une embauche.
Le PLIE de Mulhouse a ainsi été le maître d'œuvre de la préparation à l'embauche d'une centaine de chômeurs de longue durée dans un grand hypermarché s'implantant dans un quartier sensible de la ville. Un parcours qui s'est déployé sur 18 mois (12 mois avant les embauches et 6 mois de suivi en aval). A Mulhouse également, depuis l'année dernière, le projet d'implantation d'un magasin de sport a été mis à profit pour engager une action emploi-formation pour des personnes en difficulté. « Le taux de réussite est élevé, note Christophe de Jarnac, directeur régional de l'enseigne. Sur un groupe de 60 personnes entrées en formation, 58 % ont été embauchées chez nous, pour un taux de placement global de 73 %. »
En Champagne-Ardenne, c'est à l'initiative du Centre des jeunes dirigeants d'entreprises (CJD), avec un premier noyau de 40 entreprises et en partenariat avec l'AFPA, la mission locale et le conseil régional, que l'opération « Tremplin » a été créée il y a cinq ans (3). Elargie depuis 1999 aux entreprises de la Marne et en 2000 aux bassins d'emploi de Châlons et d'Epernay, « Tremplin » a permis à ce jour d'intégrer 300 jeunes aux entreprises.
Mais l'intervention du PLIE ne se cantonne pas forcément aux plus bas niveaux de qualification. A Amiens, le dispositif a ainsi développé son action vers des secteurs économiques en pénurie d'offres, comme les centres d'appels téléphoniques. « Aujourd'hui, nous disposons d'une filière d'emploi complète, du niveau CAP jusqu'à l'université », annonce Virginie Vincent, animatrice du PLIE d'Amiens (4).
Néanmoins, de nombreuses problématiques demeurent, à l'heure où le programme devrait prendre sa vitesse de croisière. Le premier débat porte sur la nature exacte de l'accompagnement. Doit-on se rapprocher d'une logique classique de recrutement ou être avant tout dans une démarche d'insertion ?
La loi contre les exclusions du 29 juillet 1998 a consacré la montée en charge des PLIE, rebaptisés « plans locaux pluriannuels pour l'insertion et l'emploi », en prévoyant la mise en place de 250 plans à l'horizon 2001 (contre 160 actuellement, répartis sur l'ensemble du territoire). Quant à la circulaire Aubry du 21 décembre dernier (5) , elle intègre le dispositif dans le domaine 2 ( « égalité des chances et intégration sociale » ) de l'objectif 3 ( « politiques de lutte contre le chômage et pour l'insertion des salariés » ) du Fonds social européen. Celui-ci finance les PLIE à hauteur de 20 à 25 % (375 millions de francs en 1999), le reste étant à la charge des collectivités locales. Les villes tiennent en effet une place prépondérante dans le dispositif, puisqu'elles sont à l'origine de la création des plans et que le président en est, dans la quasi-totalité des cas, le maire ou son adjoint.
Certains ont tranché en faveur de la première option. Le PLIE de Marseille a mis au point depuis 1997 un outil de prédiagnostic sur la capacité des personnes à se mobiliser vers l'emploi (6). Ne sont retenus que les publics dont le vécu n'est pas trop lourd.
Ces questions sont loin de faire l'unanimité dans les autres PLIE. « Notre rôle est-il celui d'assistants sociaux ? », s'interroge tel animateur de PLIE. Tandis qu'un autre s'inquiète d'un éventuel « outil de sélection des individus ». Ce dont Simone Vivier, responsable du pôle accompagnement à l'emploi au PLIE de Marseille, se défend vigoureusement. « Il ne s'agit que d'une phase de bilan avec la personne, qui permet de mettre en adéquation, le plus exactement possible, les besoins de l'entreprise et la mission du PLIE, qui est de redonner un travail aux gens », déclare-t-elle. Un outil qui, affirme-t-elle, a permis de faire chuter, en trois ans, la déperdition d'effectifs en cours de route de 40 % à moins de 15 %.
De même, à Reims, où l'opération « Tremplin » repose sur un parrainage entreprise-jeune, chaque patron choisit son protégé parmi cinq candidats. Une logique choquante pour certains, mais défendue par d'autres : « Autant, dans les entreprises d'insertion ou les CES, on peut exiger que les gens soient insérés et non pas recrutés, autant dans le PLIE, nous avons une obligation de résultat en termes de placement en entreprise », défend Philippe Maitreau.
Si la plupart des acteurs de l'insertion se sont finalement ralliés à cet impératif, certains ont trouvé une voie alternative de retour à l'activité professionnelle, entre simple insertion et recrutement classique. Dans 80 sites en France, une méthode originale, dite IOD (intervention sur l'offre et la demande) est ainsi appliquée. « Nous démarchons les entreprises au cas par cas, à partir du profil spécifique de chaque personne dont nous avons la charge, explique Marie-Pierre Establie, directrice d'Alliance-Ville-Emploi, une association basée à Rueil-Malmaison (7) et qui fédère différentes structures municipales d'insertion, dont les PLIE. Ce qui nous permet de collecter une offre d'emploi dont 70 % était inconnue sur le marché : la preuve que l'offre non qualifiée existe. » Grâce à ces efforts, depuis un an, à Rueil, sur 110 personnes suivies, 105 ont été remises sur le chemin l'emploi.
Cette démarche de parcours individualisé dans le cadre du PLIE était un objectif clair de départ du dispositif. Pourtant, la nécessité de formuler davantage la notion de parcours en démarche individuelle a été longuement abordée lors des entretiens de Mulhouse. Un souhait qui se heurte trop souvent à un manque de moyens. « Le suivi individuel est d'autant plus facile que les effectifs par travailleur social sont réduits », souligne Simone Vivier.
Lors de la mise en œuvre des plans, les animateurs sont par ailleurs régulièrement confrontés à la question de savoir si la mixité entre chômeurs de longue durée et personnes cumulant divers handicaps, parfois très lourds, est souhaitable. « Il manque manifestement un dispositif tampon entre les structures classiques pour handicapés et les gens qui ont des difficultés sociales et personnelles », constate Chantal Lacker, animatrice de l'équipe insertion à l'ANPE de Mulhouse.
Par-delà ces interrogations, le retour à l'emploi des personnes exclues se révèle un champ d'innovation considérable pour les différents acteurs des PLIE. Comment mieux lier le monde de l'insertion et celui de l'entreprise, deux univers aux raisonnements diamétralement opposés ? « Les entreprises classiques prennent les gens les plus qualifiés pour un type précis de poste et les fidélisent, tandis que les entreprises d'insertion prennent en vrac les moins qualifiés, pour les lâcher dès qu'ils se sont suffisamment restructurés », insiste Philippe Maitreau.
De fait, les deux parties souffrent d'une méconnaissance chronique l'une de l'autre. Si d'indéniables progrès ont été réalisés ces dernières années, c'est notamment grâce à l'intervention d'acteurs des PLIE eux-mêmes issus de l'entreprise. A Rueil, l'équipe du PLIE fonctionne aussi par trinôme, avec des conseillers en recrutement à la charnière entre l'entreprise et le travail social.
Autre questionnement pour les animateurs des PLIE : comment rendre toutes les entreprises potentiellement actrices de l'insertion ? Paradoxe en effet du dispositif, la grande majorité des embauches réalisées à l'issue du parcours vers l'emploi se fait dans les PME, voire dans les toutes petites entreprises. « Souvent, dans les structures de taille réduite, le dialogue passe mieux, apprécie Simone Vivier. On a directement affaire au chef d'entreprise, pas au directeur des ressources humaines. Et si surviennent des dérapages, ils sont plus faciles à récupérer. » Malheureusement, ces entreprises manquent parfois de temps pour le tutorat et présentent une capacité d'accueil réduite. Conséquence : actuellement, faute d'avoir les moyens de participer au dispositif d'insertion, les PME ne peuvent intervenir qu'à la fin du processus, au stade du recrutement.
Reste également que le dispositif souffre de la complexité de son maillage. « A l'heure actuelle, la multiplicité des acteurs de l'insertion brouille les cartes aux yeux de tous, déplore Chantal Lacker. D'où la difficulté de savoir qui fait quoi, mais aussi quel est le bon dispositif pour la bonne personne. » A cela s'ajoute les problèmes de frontières avec les autres dispositifs. « Il nous est arrivé d'avoir à rejeter des candidatures valables, car la personne n'appartenait pas au territoire de notre PLIE. Tandis que, paradoxalement, celui-ci contenait un nombre d'exclus potentiels inférieur à nos capacités d'accueil ! », regrette Chantal Lacker.
Des incohérences que vise à combattre la programmation 2000-2006 qui prévoit l'extension des PLIE aux bassins d'emploi dans leur ensemble. Objectif : introduire la notion de « territoire vécu », au-delà des limites administratives, pour aller vers une prise en charge de plus en plus individualisée des procédures d'insertion.
Catherine Piraud
(1) PLIE de Mulhouse : 1, rue de Bretagne - 68100 Mulhouse - Tél. 03 89 54 40 01.
(2) Organisés le 10 février à l'initiative de la ville de Mulhouse - Mairie : 2, rue Pierre-et-Marie-Curie - 68200 Mulhouse - Tél. 03 89 32 58 04.
(3) Opération Tremplin : PLIE de Vitry-le-François - 12, place de la Gare - BP 189 - 51306 Vitry-le-François - Tél. 03 26 74 84 33.
(4) PLIE d'Amiens : 52/54, rue du Vivier - BP 1755 - 80017 Amiens cedex - Tél. 03 22 97 08 08.
(5) Voir ASH n° 2149 du 14-01-00.
(6) PLIE de Marseille : 5, rue de la République - BP 2383 - 13215 Marseille cedex 2 - Tél. 04 96 11 64 80.
(7) Alliance-Ville-Emploi : 12, rue Jean-Edeline - 92500 Rueil-Malmaison - Tél. 01 47 32 67 10.