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Pour la citoyenneté, contre les discriminations

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Les commissions départementales d'accès à la citoyenneté fêtent leur première année d'existence. Coup de projecteur à l'occasion de l'ouverture des assises nationales de la citoyenneté, le 18 mars à Paris.

« C'est l'Etat lui-même qui, pour la première fois, prend en compte les discriminations dont les populations issues de l'immigration sont victimes. D'après les témoignages que nous recevons, ce message est ressenti de manière très positive », remarque spontanément Nadia Cavarec, jeune assistante sociale fraîchement diplômée, recrutée comme correspondante de la commission départementale d'accès à la citoyenneté  (CODAC) de la Haute-Garonne. L'une des 115 commissions, lancées début 1999 par le ministre de l'Intérieur, Jean-Pierre Chevènement (1), qui maillent aujourd'hui l'ensemble du territoire. L'initiative signe la conception « d'un modèle de citoyenneté à la française, fondé sur les valeurs républicaines, parmi lesquelles l'égalité des droits, mais aussi des devoirs, et le refus du communautarisme à l'anglo-saxonne », affirme avec conviction Karim Zéribi, conseiller technique du ministre, qui suit pas à pas les travaux des CODAC (2).

Faire reculer les discriminations, à l'encontre de ces publics - les jeunes en particulier - en matière d'embauche, de logement, de loisirs, d'accès à la citoyenneté, telle est la mission des CODAC. Placées sous l'autorité des préfets, elles sont composées de l'ensemble des représentants des administrations, des organismes sociaux, des élus, du procureur de la République, d'associations et, selon les sujets abordés, des organisations syndicales et d'autres partenaires associatifs. Autant dire qu'une CODAC, en assemblée plénière, rassemble souvent 200 participants, quand ce n'est pas 800 dans un département comme les Bouches-du- Rhône ! Par souci d'efficacité, certaines sont donc déconcentrées. Toutes fonctionnent par groupes de travail thématiques (entre 20 et 40 personnes), qui ont déjà rendu compte de leurs observations, une ou plusieurs fois, au préfet cette année.

Ces commissions doivent non seulement évaluer les situations ou les comportements discriminatoires, les pratiques vexatoires ou humiliantes, mais aussi proposer des mesures pour y remédier. Les atteintes les plus nombreuses touchent l'emploi (41 %), l'accès aux loisirs (16 %) et les relations avec les administrations (15 %). Les premières, ainsi que celles concernant le logement, sont souvent plus insidieuses, plus larvées, et rarement affichées comme telles. Comment prouver, en effet, que l'on vous a refusé un emploi à cause de votre nom, de la couleur de votre peau, ou même de votre adresse, lorsque le quartier est connoté ?

Saisie directe

Toute personne qui s'estime victime d'une telle discrimination peut saisir la CODAC. C'est la voie choisie par la France, pays qui ne dispose pas, contrairement à d'autres Etats européens comme la Grande-Bretagne, d'une autorité indépendante dans ce domaine (3).400 signalements ont été adressés aux commissions depuis leur mise en place. « Faute de preuve, les personnes n'ont pas de moyens d'agir et elles ont peur. Grâce aux commissions, largement médiatisées, elles osent maintenant témoigner », relève la secrétaire de la CODAC des Bouches-du- Rhône. Dépositaire de plaintes confirmées par écrit, la commission peut alors vérifier et donner suite :soit en écrivant directement aux entreprises ou organismes concernés, soit en signalant les faits à l'inspection du travail, voire au procureur de la République. Dans le Rhône, un seul cas s'est retrouvé sur son bureau ; plus à Marseille où un substitut est particulièrement affecté à cette tâche.

A Toulouse, deux procédures judiciaires, concernant des discriminations à l'emploi et à l'entrée dans une discothèque, ont été engagées devant le tribunal correctionnel : l'une à l'initiative d'un élu et du MRAP ; l'autre d'un particulier. Le système devrait d'ailleurs être amélioré avec la mise en place de référents police et gendarmerie chargés de sensibiliser les personnels. Sur proposition de la CODAC, les plaintes, qu'elles soient déposées à la gendarmerie, au commissariat ou à la commission, suivront un circuit précisé dans un protocole police-gendarmerie-justice.

Cette saisine de proximité rencontre un accueil favorable des professionnels toulousains. Jean-Paul Vabre, éducateur au club de prévention du quartier Empalot, a recueilli des témoignages de jeunes concernant le comportement de certains CRS lors de manifestations au Mirail : « Je trouve très intéressant qu'une autorité - en particulier celle de l'Etat - puisse recevoir les plaintes de jeunes qui s'estiment touchés par des attitudes discriminantes ou vexatoires. Auparavant, nous étions démunis pour les conseiller. En tant que professionnels, cela peut nous aider dans notre travail éducatif à recaler le discours sur la citoyenneté. »

Mais cet atout peut également constituer une limite : comment s'entendre, en effet, sur la définition et l'appréciation portée sur une discrimination sans risquer le piège inverse, celui de l'antiracisme ordinaire, avec, en corollaire, une judiciarisation à l'américaine ? Premier exemple :l'exclusion d'un jeune d'une fête organisée par son école, au motif qu'il ne portait pas de tenue de soirée, a été signalée au procureur. Comment être sûr qu'il s'agit bien d'un délit de faciès et non d'une mise à l'index adressée à tous les invités qui ne respectaient pas la consigne ? « D'autres jeunes, non maghrébins, ont été autorisés à rentrer sans avoir la tenue demandée ; nous avons des témoignages », répond-on à la CODAC du Rhône. Autre exemple : le groupe accès aux loisirs constate que les discriminations peuvent être très discrètes. Le montant de l'entrée à certaines piscines est, par exemple, prohibitif. « On sait que le prix est multiplié par trois ou quatre, ce qui, de fait, privilégie une certaine clientèle », explique l'un des secrétaires de la CODAC du Rhône, Christian Mercier. Est-ce là une dérive aux relents racistes ou une inégalité socio-économique de fait entre les citoyens de l'Hexagone ? Doit-on aussi s'interroger sur l'attitude à adopter vis-à-vis d'usagers des services publics qui refusent de se faire servir par des fonctionnaires femmes ? « Faux problème, répond sans ambages Karim Zéribi . Une approche multiculturelle n'est pas une approche républicaine ;les gens doivent bien sûr s'adapter aux lois en vigueur sur notre territoire. Les CODAC ne sont pas là pour régler ce genre de problème, mais c'est bien qu'elles en discutent. » Au-delà de ces interrogations qui soulèvent, évidemment, de vrais débats de société, certaines commissions ont déjà dressé un état des lieux des initiatives en cours. Et proposé de nouvelles actions qui s'inscrivent, le plus souvent, dans le cadre de politiques publiques ou de dispositifs existants.

Une véritable mission d'observation

En matière d'accès à l'emploi, la CODAC du Rhône appuie l'opération « Action spécifique pour l'égalité des chances au travail » (Aspect), menée par l'association Inter Service Migrants, avec le soutien de l'Union européenne et du Fonds d'action sociale pour les travailleurs immigrés et leurs familles (FAS). « Les préjugés racistes peuvent être présents dans toutes les strates des entreprises : chez les employés, les cadres, etc. C'est rarement le seul fait de l'employeur », remarque Christian Mercier. Cette initiative vise donc à mobiliser les partenaires sociaux au sein des entreprises en se rendant sur place pour engager le dialogue. Une déclaration commune condamnant les discriminations raciales dans le monde du travail a été signée par les organisations syndicales patronales et de salariés de la région. D'autre part, la direction départementale du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle (DDTEFP) et l'ANPE ont installé un observatoire des offres d'emploi à caractère discriminatoire parues dans la presse. Lesquelles font systématiquement l'objet d'une lettre d'observation à l'annonceur et à l'organe de presse.

Dans la Seine-Maritime, les directeurs des ressources humaines de grandes entreprises publiques, comme la SNCF, EDF-GDF, La Poste, ont, depuis leur participation aux réunions de la commission, communiqué les dates de leurs concours de recrutement à la CODAC. Par ailleurs, 64 jeunes issus de la communauté harka ont été intégrés dans le dispositif « emploi-jeunes ».

Les commissions ont souvent pris à bras le corps la situation du logement. Celle des Bouches-du-Rhône s'est attaquée notamment à l'attribution des logements sociaux. « Il faut que l'Etat fasse respecter la loi au sein des commissions d'attribution ; il a, certes, un pouvoir réservataire, mais cela ne suffit pas, souligne le rapporteur du groupe accès au logement de la CODAC de Marseille, Daniel Carrière, ancien delégué régional du FAS. Le préfet a récemment écrit dans ce sens à un OPAC. De même sur la question de la remise en circulation de logements privés et sociaux insalubres, nous faisons remonter l'information. Mais il faut qu'il y ait des suites. C'est une question de crédibilité pour la commission. » Autre cheval de bataille du groupe : la discrimination pratiquée par les agences immobilières qui sélectionnent de fait leur clientèle, souvent, disent-elles, pour répondre aux vœux des bailleurs. « Ce n'est pas légal ; elles doivent êtres sanctionnées », insiste Daniel Carrière qui souhaiterait des opérations de testing telles que celles pratiquées dans les discothèques.

Mais, au-delà du logement, les CODAC devraient avoir, selon lui, une véritable mission d'observation à l'égard des services de l'Etat qui doivent être irréprochables. Pour cela, « il faudrait que ses agents puissent, eux aussi, être sanctionnés pour acte discriminatoire. Les commissions devraient même pouvoir enclencher des procédures administratives et judiciaires et servir de relais aux associations pour qu'elles puissent se porter partie civile. Sinon, je crains qu'à terme, on ne se donne simplement bonne conscience. »

S'inscrire dans la durée

Pour améliorer justement le fonctionnement des services publics, le préfet du Rhône souhaiterait, comme le suggère le groupe accès aux services publics de la CODAC, généraliser à tous les agents de l'Etat du département une formation à l'accueil de publics en difficulté, déjà mise en place pour les employés des transports en commun de la ville de Vénissieux. Par ailleurs, la CODAC réfléchit à l'idée de multiplier des points d'information médiation multiservices (PIMMS), tels que les trois sites de l'agglomération lyonnaise créés à l'initiative d'exploitants ou de services publics (EDF-GDF, La Poste, France Telecom, la Générale des eaux, les Transports en commun lyonnais). Objectif : faciliter l'accès aux services publics des usagers les plus en difficulté en leur apprenant à « se servir des services publics ». A terme, ceux-ci, devenus autonomes, doivent être en mesure de se débrouiller seuls pour retrouver le chemin du droit commun. Ce faisant, il faudrait tout à la fois éviter de sous-traiter l'accueil de ces publics, ce qui mettrait en échec l'idée même de service public, et ne pas inventer, pour la bonne cause, un service public à deux vitesses.

Certaines commissions vont bénéficier d'un tremplin utile pour mobiliser les partenaires, faire passer leur message et inscrire leur action dans le temps. Celle de la Haute-Garonne, par exemple, va être inscrite dans le futur contrat de ville de l'agglomération toulousaine, qui fera de l'égal accès à la citoyenneté l'un des ses principaux objectifs. Avec l'appui du FAS, la commission devrait monter, dans ce cadre, un pôle d'observation et d'analyse en continu des situations de discrimination.

« Le plus difficile reste à faire :changer les mentalités », résume Karim Zéribi, satisfait de la mobilisation incontestable des acteurs de terrain. « Il faudra du temps, beaucoup de temps. » Les CODAC en auront-elles assez pour éviter l'essoufflement et résister, au-delà des changements politiques ? Dominique Lallemand

Notes

(1)  Voir ASH n° 2108 du 26-02-99. Les adresses des CODAC sont disponibles auprès des préfectures.

(2)  Sur le bilan provisoire, voir ASH n° 2155 du 25-02-00.

(3)  Ce que suggérait le conseiller d'Etat, Jean-Michel Belorgey, dans un rapport remis en avril 1999 à Martine Aubry, voir ASH n° 2114 du 9-04-99.

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