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Les leçons de l'expérience parisienne

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Mise en œuvre tardivement dans la capitale, la politique de la ville tente de coordonner l'action des associations et des institutions pour coller au plus près des besoins des habitants. Au risque parfois de brouiller les frontières entre les champs d'intervention.

Logement et environnement, santé, éducation et loisirs, insertion sociale et professionnelle, accès au droit et à la justice... Dans tous les domaines de la vie en société, plusieurs milliers d'associations s'efforcent, au quotidien, d'imaginer des réponses aux problèmes vécus par les habitants des quartiers parisiens les plus démunis. Mais la reconnaissance de l'importance de leur rôle, dans l'adaptation des politiques publiques aux problématiques locales, est relativement récente dans la capitale. « En effet, souligne Jean-Pierre Duport, préfet de la région Ile-de-France, Paris n'a pris conscience qu'assez tard de la dégradation de certains quartiers, et de la nécessité d'y mener une politique plus active. »

Si l'on excepte le cas de la Goutte-d'Or, dans le XVIIIe arrondissement, où le travail a commencé dès 1983, la première convention ville-Etat n'a été signée à Paris qu'en 1995. Depuis, ce partenariat s'est développé et élargi au conseil régional et aux mairies d'arrondissement, ainsi qu'à de nombreuses institutions comme le Fonds d'action sociale pour les travailleurs immigrés et leurs familles, la Caisse des dépôts et consignations, la caisse d'allocations familiales, La Poste, les organismes de transport public, etc.

Pour approfondir ce dialogue avec les associations, alors que s'élaborent les contrats de ville 2000-2006, des forums sont organisés, depuis la fin de l'année dernière, dans l'ensemble des départements concernés par la politique de la ville. Celui qui s'est tenu récemment à Paris (1) a permis aux différents partenaires de mettre en lumière l'intérêt mais aussi les difficultés d'une approche territoriale.

Compte tenu de la taille des secteurs qui leur sont impartis et de la complexité de l'organisation de Paris, à la fois ville et département, les chefs de projet de chacun des sept quartiers labellisés « zones urbaines sensibles »  - essentiellement regroupés dans le nord et l'est parisiens - jouent principalement un rôle d'interface entre les partenaires institutionnels et associatifs. « Il nous revient de coordonner et d'adapter les politiques publiques sur notre secteur d'intervention et, symétriquement, de sensibiliser les directions de l'Etat et de la municipalité aux attentes des habitants », explique Marie-Laurence Monrozier, responsable du développement social urbain du quartier de la Fontaine-au-Roi, dans le XIe arrondissement. Le but est de fédérer les énergies pour améliorer les services rendus aux habitants et, si nécessaire, de susciter ou de soutenir la création de structures nouvelles, à même de proposer des réponses à des besoins mal pris en compte.

Le projet « Les Amandines »

Parmi les innovations ainsi expérimentées, la création, en mai 1998, de la régie de quartier Les Amandines, dans le XXe arrondissement, constitue - et reste à ce jour - une première à Paris (2). Ce quartier à forte tradition populaire, artisanale et artistique, qui compte 20 000 habitants d'origines très diverses, a fait les frais, depuis 20 ans, d'une profonde rénovation urbaine. Pris de vitesse par les aménageurs, les habitants n'ont pas pu contrer leurs projets, mais ils ont néanmoins réussi à demeurer sur place. Et, « désireux de se réapproprier leur quartier, ils ont pris l'initiative, en 1996-1997, avec les organisations actives dans le domaine de l'urbanisme et du logement, de créer Les Amandines », explique Pascal Bordeau, directeur de cette régie. Soutenu par la mairie du XXe, le projet a pu se concrétiser avec la participation de la mairie de Paris et des services de l'Etat.

En partenariat avec les différents acteurs impliqués dans la vie du quartier, Les Amandines ont pour mission de créer des emplois pour et avec les habitants du quartier, d'améliorer leurs logements grâce à la passation de contrats de réfection des appartements ou des immeubles avec les propriétaires publics ou privés, et de vivifier la convivialité par l'organisation de fêtes et animations de rue.

Marchés de Noël, vide-greniers, bals et repas de quartier sont ainsi l'occasion d'échanges festifs, cependant qu'un chantier-école a permis à 15 jeunes de l'arrondissement, âgés de 16 à 24 ans, de se former aux métiers de second œuvre du bâtiment. Egalement destinés aux jeunes du quartier, d'autres parcours d'insertion de trois mois associent formation rémunérée et sociabilisation des intéressés dans un but d'embellissement du cadre de vie bénéficiant à tous les habitants : il s'agit pour des groupes de sept à neuf jeunes, pilotés par des artistes de Ménilmontant, de participer à la création de fresques temporaires renouvelables. Elles sont réalisées sur différents sites (murs aveugles, devantures murées, entrées de parking, etc.), mis à la disposition de la régie par les bailleurs sociaux. L'engagement de ces derniers, cependant, regrette Pascal Bordeau, se fait essentiellement « dans de petites niches originales de ce type, mais on les aimerait à nos côtés de façon plus probante ». Or, s'agissant des travaux d'aménagement, de maintenance ou d'entretien des bâtiments et de leurs parcs, ils ne confient, pour l'heure, que frileusement à la régie quelques cages d'escalier ou parkings à rénover. Faute de marchés plus importants, Les Amandines doivent donc se tourner vers les habitants et les associations du quartier pour se constituer une clientèle. Cette économie de solidarité fonctionne bien, mais elle reste insuffisante pour faire vivre « l'entreprise » régie, et lui permettre de développer ses finalités sociales par la création d'emplois en nombre élevé.

Associer concrètement les ressortissants du XVIIIe arrondissement à l'amélioration de leurs conditions de vie a également été une préoccupation du plan de lutte contre la toxicomanie récemment mis en place. Expérimental, il a pour ambition de  « pacifier » les relations entre les toxicomanes et les habitants des quartiers Simplon-Clignancourt, la Goutte-d'Or et La Chapelle-Max-Dormoy, gravement touchés, depuis les années 75-80, par le trafic et la consommation de drogues (crack et héroïne notamment).

« Cette toxicomanie très visible, qui est le fait d'une population extrêmement précarisée et dans un état physique délabré, explique Anne Gauthey, adjointe au maire du XVIIIe, pose de gros problèmes à la fois en termes de santé publique et de nuisances pour les riverains. » Afin de tenter d'y remédier, il n'a pas été question, ici, de créer une structure supplémentaire, mais d'inventer de nouvelles façons de travailler ensemble, en coordonnant mieux les initiatives existantes. La démarche engagée par la DASS de Paris - et à laquelle la mairie de Paris, le conseil régional d'Ile- de-France et la préfecture de police ont également été associés - a réuni, pendant près de deux ans, la mairie de l'arrondissement, les quatre organisations qui y travaillent avec les toxicomanes, ainsi que les hôpitaux (Bichat et Lariboisière) et plusieurs associations d'habitants. Malgré l'opposition virulente de certaines d'entre elles, le dispositif - opérationnel depuis quatre mois - vise à assurer, simultanément, l'écoute des habitants et la prise en charge des usagers de drogue. Trois coordinateurs, rémunérés par la DASS et disposant d'un local et d'un téléphone portable, constituent l'interface entre les institutions (mairies de Paris et d'arrondissement, police, justice), les toxicomanes et les riverains. Il leur revient, en particulier, de répondre aux appels de ces derniers en se rendant sur place, voir quels sont les problèmes rencontrés, cependant que les éducateurs de rue, placés sous leur responsabilité, sont chargés d'aller au- devant des usagers de drogue. Egalement recrutés par la DASS, ces professionnels, intégrés aux structures spécialisées de l'arrondissement (La Terrasse, Espoir Goutte-d'Or, le Sleep'in et La Boutique), ont pour mission d'accompagner les intéressés vers les consultations et équipements appropriés, mais aussi d'essayer de les responsabiliser en leur expliquant en quoi leur propre comportement conditionne, pour partie, le rejet dont ils sont l'objet.

Ce travail de médiation et de régulation sociale donne lieu à une recherche-action destinée à l'adapter aux besoins détectés. Dispositif encore unique à Paris, il pourrait, à l'avenir, être étendu à d'autres arrondissements, voire à l'ensemble de la capitale. « Il faut traiter les problèmes là où ils se posent, sans opposer le sanitaire au sécuritaire, mais en travaillant simultanément sur les deux plans », souligne Anne Gauthey, qui note déjà une amorce d'évolution dans les mentalités : il arrive désormais à certains îlotiers de conduire des usagers de drogue dans les structures d'accueil spécialisées.

UN SYSTÈME D'AVANCES SUR SUBVENTION

Outre la complexité et l'opacité des circuits de financement, l'un des problèmes majeurs des associations est bien sûr le versement tardif des subventions accordées, parfois même après la fin de l'exercice. Ce qui n'empêche pas les bénéficiaires d'avoir à rédiger un rapport d'activité final dans les temps, à présenter des états financiers équilibrés, voire parfois, s'il reste un excédent, fût-il minime, à devoir le rembourser. A cet égard, le dispositif annoncé, le 28 février, par Claude Bartolone, ministre délégué à la ville, élaboré à titre expérimental et uniquement à Paris, par la Caisse des dépôts et consignations (CDC)   (3) , pourrait améliorer la situation des associations travaillant dans le cadre de la politique de la ville (4) . A la demande de l'Etat, l'organisme financier étudie en effet la mise en place d'un système d'avances : à travers l'ouverture, à la CDC, d'un compte recevant les diverses subventions de l'Etat, il s'agirait d'assurer aux associations des versements anticipés, mutualisés et réguliers. Ces avances ne seraient pas rémunérées au taux du marché, mais, probablement, au taux symbolique de 1 %.

« Qui fait quoi et comment ? »

Cependant, le manque de coordination des différents intervenants qui participent à la politique de la ville constitue un problème crucial. « Dans le domaine de la prévention spécialisée, nous voyons émerger de nouveaux acteurs dont on identifie mal le rôle. C'est, par exemple, le cas quand les agents locaux de médiation sociale, recrutés par les bailleurs sociaux, se mettent à faire du soutien scolaire. Ou encore, lorsque les membres des services de police participent à des opérations “Ville, vie, vacances” : a-t-on alors affaire à des policiers ou à des éducateurs ? », s'interroge Annie Léculée, de la Fondation jeunesse feu vert. Cette absence de lisibilité est source de brouillage pour les jeunes, prompts à s'engouffrer dans les failles de dispositifs mal ajustés entre eux. A cela s'ajoute l'insuffisante professionnalisation de certains intervenants de proximité, notamment dans le cadre des emplois-jeunes, mal armés pour faire face aux provocations et à la violence de publics en grande difficulté.

Si elle se pose peut-être avec une acuité particulière dans le domaine de la prévention de la délinquance, cette question de « qui fait quoi et comment ? » concerne tous les acteurs impliqués dans la vie des quartiers. Le problème n'est certes pas nouveau. Mais il est évident que les partenariats noués dans les différents domaines relevant de la politique de la ville exigent une clarification des missions et des compétences.

Caroline Helfter

Notes

(1)  Sur le thème  « Les associations au cœur de la politique de la ville », le 28 février au Collège de France - Rens. : ministère délégué à la ville - 55, rue Saint-Dominique - 75007 Paris - Tél. 01 40 56 60 00.

(2)  Les Amandines : 19, avenue Gambetta - 75020 Paris - Tél. 01 40 33 50 30.

(3)  CDC direction régionale Ile-de-France : 56, rue de Lille 75356 Paris 07 SP - Tél. 01 40 49 46 78.

(4)  Ce dispositif s'incrit dans le cadre des mesures de simplification annoncées en décembre 1998. Voir ASH n° 2096 du 4-12-98.

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