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« INSERTION : LA FORCE DU LIEN »

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L'instauration d'une relation de confiance dans la durée, véritable lien, constitue « la première condition du retour vers l'emploi et l'insertion », veulent rappeler les membres de l'association IRIS (1).

«Comment ne pas se réjouir de l'embellie confirmée, mois après mois, dans les statistiques des chiffres du chômage ?

« Pourtant, au-delà de ce constat général, il importe aujourd'hui de ne pas se laisser abuser par les signes du retour au plein emploi : le travail n'est pas en soi un vecteur d'insertion suffisamment solide et l'ignorer serait un leurre.

« La crise sociale que nous traversons a bouleversé la donne bien au-delà d'une crise de l'emploi. Les ruptures et les délitements du lien social, qui ont entraîné des millions de personnes dans une grande exclusion, ne peuvent s'expliquer simplement par la crise économique ; corrélativement, cette situation ne peut avoir de solution purement économique.

« Nous ne sommes pas venus ici vanter les mérites des alternatives à l'insertion par l'économique, mais plutôt argumenter nos positions en faveur d'une politique de l'insertion globale. C'est dire une politique de l'insertion dans laquelle chaque réalité - économique, sociale, affective - prend sa place, dès lors que l'insertion est le fruit d'une démarche personnelle. Une démarche portée par le désir de s'en sortir, qui ait du sens et de la cohérence dans le trajet vers l'insertion. Une politique globale d'insertion serait donc une politique axée sur l'individu et respectant la dimension du désir, seul vecteur, selon nous, capable de garantir la réussite durable de l'insertion.

« Or c'est une réalité bien difficile à définir et à évaluer que ce potentiel d'envie, ce désir d'aller vers, de s'engager dans la voie de l'insertion. On sait bien qu'il ne suffit pas de repérer les faiblesses dans une scolarité ni les manques de formations qualifiantes, pas plus qu'il ne suffit de faire soigner les handicaps médicalement constatés, ni même encore de régler des problèmes de logement. Si tout cela est, bien entendu, essentiel, le plus important se situe ailleurs, en soi : retrouver du désir pour aller vers les autres, retrouver la force de renouer des liens est une étape qui précède toujours l'insertion socio-professionnelle.

« Cette disparition ou ce manque de désir, chez un bon nombre de personnes en situation d'exclusion, constitue une inégalité devant l'insertion qui doit nous interroger : autant il est difficile d'appréhender la nature de cette inégalité, autant il est important de souligner que sa prise en compte et sa résolution sont essentiels pour la réussite de l'insertion. Les études qui ont été menées jusqu'ici sur l'état moral et psychologique des personnes en situation de marginalisation convergent toutes autour d'un constat : celui d'une proportion supérieure à la moyenne de pathologies dépressives. Il est tentant, à l'issue de ces conclusions, de proposer deux sortes de traitements à l'exclusion, un traitement par l'économique, l'autre par des soins psychologiques et médicaux (avec notamment l'utilisation d'antidépresseurs).

« Ce qui revient à attribuer aux dispositifs de soins (déjà totalement saturés, mais là n'est pas la question), la prise en charge d'une inégalité face à l'insertion dont l'origine médicale est loin d'être établie. Comme le rappelle Xavier Emmanuelli, fondateur du SAMU social de Paris et du Réseau national souffrance psychique et précarité (RNSPP), “ il est vain de chercher à déterminer, entre l'économique et le psychique, ce qui a été la raison première de la chute de l'individu” ( Le Monde du 7 janvier 2000). En effet, il n'est pas primordial de savoir si les pathologies dépressives sont des prédispositions à la désinsertion ou si elles sont des répercussions des dégradations des conditions de vie économiques et sociales. Ce qui importe avant tout est bien de traiter cette inégalité rapidement.

« Un certain nombre d'expériences en cours montrent précisément que des structures d'insertion, alliant des dispositifs d'accompagnement psychologique et des prestations plus classiques de recherche d'emploi, peuvent apporter des réponses satisfaisantes à cette inégalité. L'expérience que tente, depuis plusieurs années, l'association IRIS, dans la Seine-Saint-Denis (2) auprès d'un public dit “défavorisé” de bénéficiaires du RMI, de travailleurs handicapés et de demandeurs d'emploi longue durée, nous permet d'avancer quelques réflexions.

La création du lien

«On ne dira jamais assez l'absolue nécessité d'instaurer avec chacune de ces personnes une relation de confiance dans la durée, un véritable lien, solide, sur lequel elle pourra s'appuyer pour peu à peu reprendre le goût d'avancer. Nous savons par expérience, en tant que psychanalystes, que la solidité d'un lien dépend d'abord du temps passé, de la durée pendant laquelle la relation peut s'établir. En effet, s'agissant des pathologies dites “dépressives”, ou de cette absence de désir dont nous parlions plus haut, l'instauration d'un lien va permettre à celui qui se sera absenté de lui-même, devant la violence traumatique des événements, de ne plus rester passif, de ne plus subir la violence mais d'en faire le moteur de son insertion, de son désir de s'en sortir et de vivre. Bien souvent, ces personnes se sont repliées sur elles- mêmes, tant l'impuissance et le choix forcé de la solitude les font souffrir et les humilient. Elles créent alors, entre elles et les autres, un mur de honte fait du dégoût de soi, un mur érigé de peur que quiconque n'y fasse intrusion, ne vienne les obliger à se regarder en face. Cette profonde détresse psychique, qui submerge le sujet et envahit sa pensée, empêche et entrave tout recours, toute aide. Le sentiment de déchéance lié à la culpabilité est alors à son acmé. Confronté au silence, à la passivité et à l'angoisse, il devient impossible d'exprimer sa souffrance autrement qu'en s'infligeant à soi-même une violence sourde : manque de soins corporels, alcool, toxicomanies...

La réparation

C'est là que nous les rencontrons et que nous tentons, très difficilement parfois, de les apaiser. Le temps et l'attention particulière que nous allons leur donner vont nous permettre d' instaurer avec eux une relation qui fait repère et qui fait lien. Un lien d'autant plus délicat à créer qu'il portera sur notre capacité à supporter, à entendre et à recevoir sans faillir, cette infinie détresse qui voile à peine une violence destructrice. Ce n'est que lorsque le sujet aura pu éprouver dans la durée la solidité de ce lien, qu'il osera faire un premier pas vers l'autre et sortir peu à peu de son repli.

« En acceptant doucement qu'on lui tende la main pour sortir de l'isolement, cette personne cherche au fond à réparer ce qui l'a menée dans cette détresse et vers cette exclusion. La perte d'un emploi, une déception sentimentale, un rejet familial, (etc.) sont autant d'événements traumatiques et désastreux qu'elle aurait provoqués et dont elle subirait le contrecoup. Enfermée jusque-là dans cette certitude que personne ne pourrait vouloir encore d'elle, ni la supporter, en raison de ses erreurs et de ses “dégâts”, elle découvre qu'il existe au moins une personne à qui elle paraît ne pas causer de tort. Le lien qui s'établit alors sur ce terrain est l'occasion inespérée de réparer à la fois l'autre et soi-même. Réparer l'autre pour prouver que la violence enfouie en soi n'empêche plus de se risquer vers autrui ; se réparer soi-même en comprenant que la violence jusque-là contrainte et contenue en soi peut devenir une force, une énergie sortie du désespoir, un moteur pour agir. Avec une constance qui ne se dément pas au fil du temps, nous accueillons dans notre centre des projets professionnels qui sont portés par le désir du lien, portés par le souhait de “s' occuper des autres”, de les réparer. Comme si s'occuper d'enfants, d'adultes, de personnes âgées, d'handicapés, d'animaux ou de plantes, en bref d'autres que soi, c'est-à-dire avant tout soi-même, devenait un projet de vie et de travail, une recherche d'emploi.

« Notre expérience d'un dispositif d'insertion, associant un accompagnement psychologique à des ateliers de recherche d'emploi, nous permet d'affirmer l'importance essentielle d'instaurer en amont de l'emploi un lien fort et solide dans la durée. Loin d'assujettir la personne exclue à un dispositif ou à une personne, ce lien de confiance est le support premier d'un travail de réparation.

L'insertion

«Ce travail consiste à transformer la violence contenue, au prix d'une apparence dépressive et passive de laisser- aller, en un mouvement vers l'autre, vécu dans la sécurité et la confiance. Une politique d'insertion qui propose des prestations toujours plus courtes, et qui multiplie les intervenants, ne peut qu'inciter tous ceux qui se sont réfugiés derrière le rempart de leur indignité à y rester. C'est pourquoi nous voulons rappeler, en cette période de décrue du chômage, qu'il est important de ne pas méconnaître cette condition essentielle :l'instauration du lien est la première condition du retour vers l'emploi et l'insertion.

« L'emploi ne peut accomplir l'insertion sans le respect de soi. »

Marion Lévy et Frédéric de Rivoyre Psychanalystes Association IRIS : 10, place Georges-Lyssandre 93140 Bondy -Tél. 01 48 47 34 61.

Notes

(1)  L'association IRIS et le Comité français de réhabilitation psychosociale organisent, le 16 mars à Paris, la 3e journée sur la réhabilitation psychosociale. Thème : « Désir du lien ? ».

(2)  Souffrance psychique, une souffrance ordinaire - Ed. L'Harmattan ; Dire l'exclusion - Ed. érès. Actes publiés sous la direction de Frédéric de Rivoyre.

Tribune Libre

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