Veiller à la bonne application du droit dans la société carcérale et vérifier les conditions de détention, tels sont les deux objectifs auxquels à voulu répondre la mission confiée à Guy Canivet, premier président de la Cour de cassation. En 28 propositions, son rapport, rendu public le 6 mars, plaide pour la mise en place d'un contrôle extérieur des prisons (1). La ministre de la justice s'est félicitée, dans un communiqué du même jour, de la qualité de ces propositions « novatrices et d'un grand intérêt », qui seront examinées, le 20 mars, par le Conseil supérieur de l'administration pénitentiaire (2).
Pour une loi pénitentiaire
La mise en place d'un contrôle extérieur ne peut être envisagée sans une réforme préalable du droit de la prison et de son application effective. « Dans la prison comme à l'extérieur, affirme Guy Canivet, les rapports de contrainte entre le détenu et l'autorité publique doivent être fixés par la loi ». Aussi, juge-t-il nécessaire que la France se dote, à l'instar d'autres pays européens, d'une loi pénitentiaire. Celle-ci déterminerait les missions de l'administration pénitentiaire, le statut du détenu et les conditions générales de détention. A titre d'exemple, la mise à l'isolement - procédure qui porte atteinte aux droits du « citoyen détenu » - serait prévue par la loi et non par le règlement, comme c'est le cas aujourd'hui. Une telle œuvre de codification passe par une refonte de l'ensemble des circulaires existantes, qui seraient limitées à leur fonction interprétative, et par une uniformisation des règlements intérieurs. Le code de déontologie des personnels de l'administration pénitentiaire, en cours d'élaboration, s'y intègrerait (3).
Partant du constat que « l'absence de recours des détenus, contre les décisions du juge de l'application des peines qui leur sont défavorables, est à l'origine de nombreux malaises, litiges et tensions », la mission se prononce en faveur d'une juridictionnalisation de ces décisions. Ce qui implique de garantir les règles de procès équitable et de donner la possibilité au détenu d'interjeter appel des décisions du juge de l'application des peines. Cette proposition a, d'ores et déjà, été intégrée par amendement dans le projet de loi sur la protection de la présomption d'innocence, actuellement en cours de discussion au Parlement (4).
Par ailleurs, pour assurer l'effectivité du droit des détenus, la mission préconise l'organisation, dans les prisons, de permanences d'avocats, « pour répondre à toute demande de consultation de la part d'un détenu, dès lors que celle-ci ne concerne pas directement l'affaire pour laquelle il est incarcéré ». L'étude recommande également de faciliter l'accès des détenus à l'aide juridictionnelle et de prévoir un droit de recours contre toutes les décisions de l'administration leur faisant grief.
Instaurer trois organes de contrôle extérieur
Dans sa résolution du 17 décembre 1998, le Parlement européen a demandé aux Etats membres d'instaurer un organe indépendant auquel les détenus puissent s'adresser en cas de violation de leurs droits, rappelle le rapport. Pour sa part, il suggère la création de trois organes de contrôle distincts.
A l'échelon national, le contrôle général des prisons serait chargé de vérifier la mise en œuvre dans les établissements pénitentiaires des conditions générales de détention (état des bâtiments et des cellules, hygiène et alimentation...) et du statut de détenu (droit à la santé, liens conservés avec leur famille...). Autorité indépendante, assistée d'un corps de contrôleurs des prisons, il serait nommé par le président de la République, sur proposition de la Commission nationale consultative des droits de l'Homme. Sa compétence s'étendrait également aux rapports entre l'administration et les détenus, aux pratiques professionnelles, à la déontologie des personnels pénitentiaires, à leur formation, à l'organisation et aux conditions de leur travail, ainsi qu'à l'évaluation des programmes de préparation à la sortie et des politiques d'insertion ou de réinsertion. Le contrôleur général détiendrait un pouvoir de contrôle permanent, de visite, d'audition, d'évaluation. Son rapport annuel serait rendu public.
Au niveau des régions pénitentiaires, Guy Canivet recommande la création d'un corps de médiateurs des prisons. Indépendants, ils seraient chargés de recevoir et d'examiner les requêtes des détenus sur des différends qui les opposent à l'administration. Ils seraient compétents pour proposer une solution acceptable par les deux parties mais ne disposeraient pas d'un pouvoir de décision. Dans l'exercice de leurs fonctions, les médiateurs auraient un pouvoir de visite, d'information générale, d'investigations et d'audition. Un rapport annuel de leur activité serait publié.
Enfin, dernier organe de contrôle, les délégués des médiateurs exerceraient une fonction d'observation des conditions générales de détention. L'objectif est de permettre à des citoyens de pénétrer dans les établissements pénitentiaires pour y effectuer « librement » des visites et rencontrer des détenus ou des membres du personnel.
(1) Voir ASH n° 2129 du 20-08-99.
(2) Au cours de ce conseil, qui se tiendra le 20 mars, et non le 23 comme annoncé, le rapport Farge sur les libérations conditionnelles sera également examiné. Voir ASH n° 2155 du 25-02-00.
(3) Voir ASH n° 2128 du 16-07-99.
(4) Voir ASH n° 2083 du 4-09-98.