Quel bilan dressez-vous ?
- Je crois qu'au bout de dix ans, le service national d'accueil téléphonique pour l'enfance maltraitée (1) est devenu un centre ressources pour l'évaluation du phénomène de la maltraitance et de l'efficacité des politiques publiques en ce domaine. Il a réussi à dépasser les difficultés nées du partenariat entre l'Etat et les conseils généraux à propos de la protection de l'enfance. Je pense qu'aujourd'hui il remplit bien sa mission et que sa place est parfaitement identifiée parmi les autres intervenants. C'est ainsi qu'au fil du temps, nous avons progressé en moyens et en efficacité : le budget de 12 millions de francs en 1990 atteint aujourd'hui 17,4 millions ; l'effectif s'est accru, de 39 personnes à l'origine à 60 à ce jour. Ce qui nous a permis d'améliorer le traitement des appels puisque nous avons multiplié notre performance par six : nous sommes passés de 150 000 appels effectivement pris en charge en 1990 à 750 000 en 1999. Un progrès rendu possible par la mise en place d'un pré-accueil téléphonique qui permet l'orientation des demandes vers les chargés d'accueil : des professionnels de l'enfance, psychologues, juristes...
Quelles évolutions constatez-vous dans les appels reçus ?
- Globalement la répartition des appels est toujours la même : un tiers vient de l'entourage, un tiers de la famille, un tiers des enfants eux-mêmes. Néanmoins, depuis un an, les sollicitations émanant des parents et des grands-parents tendent à augmenter, ce qui montre l'importance du travail de prévention et de communication qui a été accompli auprès d'eux. Les parents n'ont plus peur de prendre leur téléphone pour exprimer leur désarroi vis-à-vis de leur enfant. Et nous confier leur peur de passer à l'acte si rien n'est fait pour les aider. On a compris désormais qu'en matière de maltraitance, on pouvait, en aidant les parents, protéger leurs enfants.
Comment se passent vos relations avec les travailleurs sociaux ?
- Nous avons environ 6,8 % d'appels de professionnels. Dans l'ordre, des enseignants, des intervenants sociaux et médico-sociaux, des associations. Signe que le service est aujourd'hui véritablement reconnu. Au début nous étions un peu surpris que les professionnels renvoient au service des situations de maltraitance dont ils avaient connaissance. Mais ils sont souvent débordés et ils ont besoin de se donner du temps et de la distance en nous demandant des avis sur certaines situations, parfois particulièrement délicates. Il leur arrive ainsi de conseiller aux personnes de nous appeler directement pour que nous procédions à une première évaluation.
Y a-t-il des écueils à l'action du service ?
- Dans le paysage global de la téléphonie sociale, le service national d'accueil téléphonique est le seul à avoir été créé par la loi . Ce qui lui confère, notamment, l'obligation légale de transmettre aux présidents de conseils généraux les informations qu'il recueille s'agissant des mineurs présumés maltraités. Cela ne va pas sans poser des problèmes d'ordre éthique et juridique. En effet, le service se base sur des informations déclaratives qui, lorsque les faits sont jugés suffisamment graves, peuvent conduire à ce que des situations soient transmises directement aux procureurs de la République sans évaluation administrative préalable. En Italie et en Grande-Bretagne, un choix différent a été fait puisque la transmission aux autorités compétentes n'est pas obligatoire. Nous aimerions qu'il en soit de même en France, afin d'éviter une trop grande judiciarisation des situations, au détriment parfois d'un accompagnement social et médical.
Propos recueillis par Isabelle Sarazin
(1) SNATEM : 63 bis, boulevard Bessières - 75017 Paris - Tél. 01 53 06 68 68.