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Un accompagnement social pour les squatters

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A Lyon, les professionnels de l'ALPIL défendent leur pratique d'accompagnement social du squat. Ils militent en faveur d'une politique pragmatique, qui prenne en compte les différents modes d'habitat.

Quatorze tsiganes, dont neuf enfants, ayant fui l'ex-Yougoslavie pour ne pas avoir à choisir entre le camp des Serbes et celui des Kosovars, ont terminé leur périple à Lyon en septembre dernier, dans un squat, près de la gare de Perrache. Expulsées, ces personnes se retrouvent aujourd'hui dans un F3 du quartier de la Guillotière, sans eau, sans électricité ni chauffage et sans un sou : c'est une des réalités du squat à Lyon. Diverses, celles-ci ne peuvent en tout cas se réduire à l'image du jeune marginal agressif.

Les squatters sont tout autant des toxicomanes, des familles roumaines, des personnes trop jeunes pour toucher le revenu minimum d'insertion, des militants de l'autogestion, ou encore des jeunes Polonais, Lituaniens, Tchèques en errance en Europe avec un statut de touriste, constate-t-on à l'Association lyonnaise pour la promotion et l'insertion par le logement (ALPIL)   (1). Cette association, spécialisée dans les problèmes de logement et confrontée en première ligne au phénomène du squat, évalue ainsi à 500 le nombre de personnes ayant transité par un squat, à Lyon, en 1998. Pas tout à fait, donc, un phénomène marginal. Si la structure du bâti lyonnais (beaucoup de logements dégradés, vacants et bien situés) ainsi que la culture alternative des squats militants du quartier de la Croix-Rousse peuvent expliquer en partie l'ampleur du phénomène, la situation locale reflète assez bien la réalité nationale des villes, grandes et moyennes.

Or, à Lyon comme ailleurs, le phénomène met à mal le travail social, interrogé dans ses méthodes, ses limites et son positionnement. Il souligne les insuffisances et les inadaptations des politiques de logement. Au point qu'un rapport du Comité national de l'accueil des personnes en difficulté, à partir d'une enquête de la direction de l'action sociale, se penchait, en mai dernier, sur la question et réveillait le débat (2). « Comment mettre en œuvre un accompagnement social des personnes habitant en squat sans cautionner la situation ? », s'interrogeaient ses auteurs. Souhaitant fournir quelques repères aux intervenants, ils insistaient sur les dangers du squat et plaidaient pour que toute intervention ait, pour objectif premier, sa disparition.

Dépasser la logique d'ordre public

Quelques mois après, malgré la satisfaction de voir les autorités se pencher enfin sur le sujet, les réactions sur le terrain restent vives. « Que la justice ou la police se fixe un tel objectif, d'accord, mais que l'action sociale se donne le même, là je dis non, s'insurge Marc Uhry, l'un des chargés de mission de l'ALPIL. Concernant les locataires, le secrétaire d'Etat au logement, Louis Besson, a déclaré qu'il fallait substituer une logique d'action sociale à une logique d'ordre public. Pourquoi ne pas le faire pour les squatters ? » A l'instar de la Fédération des associations pour la promotion et l'insertion par le logement (FAPIL), l'association lyonnaise déplore en effet que le phénomène soit encore principalement abordé, en France, sous l'angle de l'effraction et du trouble à l'ordre public. Une telle approche a, selon elle, deux conséquences graves. D'une part, l'application d'une pure logique d'ordre public multiplie les expulsions. Lesquelles, non seulement, recréent un trouble (un autre squat) mais produisent une errance qui annule tout effort d'accompagnement social, oblige à repartir de zéro et éloigne davantage encore les personnes de leurs droits. D'autre part, les expulsions se font trop souvent dans le non-respect des règles et des droits des personnes. «  Il est important d'admettre aujourd'hui que pour l'énorme majorité des personnes concernées, cet habitat n'est pas choisi. C'est pourquoi, il nous semble déplacé de traiter les squats comme une somme d'infractions individuelles délibérées », écrivaient les professionnels de l'ALPIL, dans un document dressant un état des lieux de la question à Lyon, en 1999. D'autant, explique Marc Uhry, dépassant un débat qui lui semble stérile, «  qu'un projet d'accès au logement de droit commun n'est pas exclusif d'un vrai accompagnement social au squat et que travailler à la sortie du squat sans accompagnement est impossible  ». Un positionnement clair qui guide l'intervention quotidienne de l'association.

L'ALPIL : DÉBLOQUER L'ACCÈS AU LOGEMENT

Fondée en 1979 par des militants issus notamment de la lutte contre les marchands de sommeil, l'Association lyonnaise pour la promotion et l'insertion par le logement (ALPIL) rassemble aujourd'hui 15 salariés. Adhérente à la Fédération des associations pour la promotion et l'insertion par le logement (FAPIL), elle est agréée « loi Besson » et reçoit des financements multiples (ville de Lyon, communes périphériques, communauté urbaine de Lyon, conseil général au titre du RMI et du FSL, Etat, FAS, Europe...). Sa culture autogestionnaire et son recrutement militant vont de pair avec un positionnement de partenariat actif avec les institutions concernées par les problèmes de logement, sa démarche se différenciant ici nettement de celles d'associations purement militantes. Le cœur de son activité consiste à accueillir, dans ses permanences, toute personne en difficulté de logement pour la conseiller, l'aider, l'aiguiller dans ses démarches. L'ALPIL a ainsi été en contact avec 2 000 personnes en 1998. L'association travaille également à la production de solutions aux besoins spécifiques de logement (meublés, terrains pour les gens du voyage) et a monté sa propre structure de gestion, qui offre de 200 à 250 logements temporaires. Enfin, elle anime des dispositifs et des actions spécifiques avec les acteurs concernés par la question du logement : lutte contre le saturnisme, observatoires de la demande sociale de logement (réseaux et groupes de réflexion par arrondissement).

Se poser en médiateur

Car au-delà de la diversité des situations, très importante à saisir pour sortir des clichés et adapter les réponses, « les squatters rencontrent tous les mêmes problèmes :statut résidentiel et rapport à l'autorité institutionnelle, inconfort, accès aux droits sociaux et médicaux, absence de choix du mode d'habitat », constate l'ALPIL. Souvent, une des premières tâches de l'association consiste à se poser en médiateur dans le conflit qui oppose l'habitant au propriétaire. Il s'agit au moins de négocier de bonnes conditions de départ, pour éviter les drames humains au moment de l'expulsion, et de faire en sorte que les procédures soient respectées et, en particulier, la parole des squatters entendue par le juge. « Les procédures d'expulsion anonymes, normalement exceptionnelles, sont en effet devenues la règle pour les squatters », explique Alexandre Rabot, notamment chargé des questions d'expulsion à l'ALPIL. Au mieux, l'objectif est d'obtenir un délai contre un engagement de départ volontaire, par exemple. C'est parfois la police elle-même qui sollicite l'ALPIL, lorsqu'elle « n'en peut plus de prendre, plusieurs fois dans l'hiver, les mêmes enfants par la main pour les mettre dehors ».

C'est pendant le délai obtenu qu'un travail peut se mettre en place. L'accompagnement socio-juridique des squats, tel que le conçoivent les professionnels de l'ALPIL, « consiste à faire le lien entre les squatters et les garants de leurs droits »   : assistants sociaux, caisses d'allocations familiales, avocats, centres de santé, magistrats, PMI. L'accès à l'eau, à la nourriture, à la santé, à l'école pour les enfants sont les enjeux immédiats. « Il ne s'agit pas de protéger le squat d'une intervention extérieure, mais, au contraire, de faire entrer les rapports entre les squatters et leur environnement dans les cadres définis par la loi », expliquent-ils.

Mais si le partenariat avec les associations partageant la même culture (accueil du tout-venant, inconditionnalité) comme Médecins du monde ou Ruptures, une association de santé communautaire avec les personnes toxicomanes, va de soi, les liens sont parfois moins évidents avec les services sociaux. Là aussi, l'association sert d'interface. « D'abord parce que le squat n'est pas l'entrée principale des travailleurs sociaux et qu'eux aussi sont nourris de fantasmes sur la question », avance Alexandre Rabot. Mais aussi, reconnaît Catherine Barnoin, responsable action sociale et enfance du conseil général du Rhône (Ier arrondissement de Lyon), « parce que nous sommes moins en première ligne, moins connus des squatters. Après tout, il faut garder en tête que nous sommes repérés, à juste titre, comme service public et donc rangés du côté des institutions. Nous sommes également ceux qui plaçons les enfants. Beaucoup de raisons de nous éviter ». Il n'en reste pas moins « qu'il faut nous interroger sur les raisons pour lesquelles nos services restent loin de ces publics », même si les assistants sociaux interviennent de temps en temps auprès des squatters, notamment dans les familles au titre de la protection de l'enfance, conclut Catherine Barnoin. Le principal obstacle à l'action concertée et suivie sur certaines situations demeure néanmoins les expulsions et les déplacements obligés des personnes.

Au-delà de cet accompagnement , « il faut réfléchir à l'utilité sociale de ces lieux et, parallèlement, aux raisons qui y ont amené ces personnes », estime Marc Uhry. Partant du constat que la situation de squat a, la plupart du temps, pour cause l'inexistence de solutions adaptées sur le marché, l'association prône le pragmatisme et l'invention. « Cela coûte très cher d'expulser à répétition et de faire rentrer des personnes en HLM ou en CHRS, alors que ces solutions ne sont pas adaptées. » L'ALPIL utilise ainsi toute la gamme de montages possible pour bâtir des solutions d'hébergement au cas par cas. Outre l'hébergement temporaire, l'hôtel ou la résidence sociale, qui peuvent constituer des sas, « nous savons remettre des logements vacants sur le marché en les réhabilitant et en leur donnant une vocation sociale, passer des conventions d'occupation précaire autorisant l'usage de l'immeuble jusqu'à sa destruction ou le début de travaux, par exemple », explique Marc Uhry.

Il peut s'agir aussi de saisir les opportunités, de s'appuyer sur l'énergie d'un collectif. L'ALPIL a ainsi servi de « traducteur » entre un collectif de 20 jeunes occupant des locaux après plusieurs expulsions et la collectivité locale, propriétaire. Cette action a pu aboutir à une prise en location temporaire, via la structure de gestion de l'association, avec à terme, probablement, un projet de revente à un organisme HLM pour créer une résidence autogérée.

Produire une offre diversifiée de logements

Mais malgré les outils existants, les montages sont parfois longs et complexes à réaliser. Et les obstacles se révèlent nombreux. Au regard des exemples étrangers - aides à la réhabilitation par les squatters à Berlin, mise à disposition des lieux vacants tant que le propriétaire n'a pas fait la preuve de son utilisation immédiate à Genève... -, l'association déplore les rigidités et le manque de pragmatisme de la politique française. Entre l'habitat individuel et le centre d'hébergement, peu de structures intermédiaires existent. Parmi celles à développer, l'ALPIL cite les habitats groupés répondant aux aspirations d'autogestion, les sleeping ou pensions de familles pour les toxicomanes, les hôtels familiaux pour les familles sans abri et les structures de type gîtes ou auberges très souples pour les routards. Car si, estime l'association, en l'absence de solutions adaptées, l'accompagnement au squat s'impose, la réponse sociale la plus satisfaisante se situe bien dans l'abandon des fantasmes d'agression et dans la production d'une offre diversifiée d'hébergement, reconnaissant la diversité des modes d'habiter.

Valérie Larmignat

Notes

(1)  ALPIL : 12, rue Croix-Pâquet - 69001 Lyon - Tél. 04 78 39 26 38.

(2)  Voir ASH n° 2119 du 14-05-99.

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