Recevoir la newsletter

« LA RESPONSABILITÉ PÉNALE DES ACTEURS DU TRAVAIL SOCIAL »

Article réservé aux abonnés

Face à l'augmentation des condamnations frappant les acteurs du social, « les professionnels ont autant à attendre de l'amélioration de l'organisation des services que d'un changement de la loi pénale », affirme Jean-Marc Lhuillier, professeur à l'ENSP (1).

«Immédiatement une distinction s'impose. Il ne viendrait en effet à l'esprit de personne de regretter l'évolution actuelle de la loi pénale, visant à condamner plus sévèrement les agressions commises volontairement sur les personnes âgées ni les abus de pouvoir sur les personnes handicapées, ni a fortiori la répression accrue élaborée récemment par le législateur pour protéger les enfants mineurs. Mais nul ne contestera également la nécessité de différencier ces délinquants des professionnels du secteur social, auteurs de signalements jugés tardifs ou imprécis ou “gardiens” chargés de prendre en charge des usagers du travail social victimes d'accidents. Or, actuellement, un droit pénal aveuglé, pour ne pas dire aveugle, semble frapper tous les professionnels de la même façon.

Le constat

«Au regard de notre objet, il existe deux grands champs d'incrimination pénale dans le secteur social : la non-assistance à personne en danger et les incriminations pour les fautes involontaires.

« En effet soit un simple retard dans le signalement, soit même une mauvaise compréhension des interlocuteurs, de celui qui transmet et de celui qui reçoit l'information, peuvent conduire à une incrimination pénale de non-assistance à personne en danger (art. 223-6 du code pénal). Malgré les nouveaux textes, issus de la réforme du code pénal en 1994, pour concilier le secret professionnel et l'information de la justice et qui cherchaient entre autres à éviter l'incrimination pénale des acteurs du travail social, la Cour de cassation et les juridictions premières continuent à incriminer pénalement de nombreux acteurs. [...]A notre connaissance, il n'existe pas actuellement un seul département français où un problème de cette nature ne se soit pas déjà posé, à défaut de statistiques plus précises.

« Concernant les incriminations pour les fautes involontaires, il convient de mettre en perspective les objectifs du travail social au regard des incriminations pénales. Les responsables sociaux ont souvent pour mission de prendre en charge des personnes qui, par définition, posent des difficultés à la société : enfants en danger, enfants délinquants, enfants et adultes handicapés, personnes âgées désorientées. Or la mission de ces acteurs est de favoriser le plus possible l'autonomie de ces personnes. Les textes d'orientation des politiques sociales sont explicites. Pour les personnes adultes handicapées, la loi n° 75-534 d'orientation en faveur des personnes handicapées précise, dans son article 1er, que l'objectif est d'assurer aux personnes toute l'autonomie dont elles sont capables pour accéder, autant que faire se peut, “aux institutions ouvertes à l'ensemble de la population, et leur maintien dans un cadre ordinaire de vie et de travail”. [...] Cet exemple pris dans le secteur du handicap pourrait être développé pour les autres services sociaux, de l'aide sociale à l'enfance, d'AEMO, où également, par définition, un risque éducatif a été constaté. Sans oublier la situation des personnes âgées, où la conciliation des équilibres entre liberté et sécurité n'est pas toujours établie (2). Ainsi la notion de risque est au cœur même du processus de prise en charge des personnes accueillies dans le secteur social. Or le risque peut quelquefois conduire à l'accident, au dommage et à la responsabilité pénale du responsable du travail social.

« Les faits générateurs sont connus. Ils concernent souvent la sécurité des usagers pour des fautes de surveillance, d'organisation, les accidents pendant les loisirs, notamment les noyades et les accidents de transport. Dans ces affaires, la seule chose certaine est la mise en cause pénale du responsable et du surveillant direct, les résultats des jugements sont eux plus aléatoires et il serait possible de donner quelques exemples contradictoires.[...]

Les conséquences de la pénalisation

«Les conséquences actuelles sont nombreuses. Elles participent au bouleversement des équilibres institutionnels, des finalités du travail pour les usagers et des conditions de travail pour les salariés.

« Concernant la non-assistance à personne en danger, notamment dans le secteur de la protection de l'enfance, la crainte de l'incrimination pénale a provoqué, avec d'autres facteurs, un bouleversement de l'équilibre de la protection administrative et judiciaire. La protection administrative disparaît au profit de la protection judiciaire. Les condamnations pénales entraînent la fin d'une collaboration nécessaire pour la protection de l'enfance. Mettre en prison son collaborateur ne peut-il être considéré comme le degré zéro de la collaboration ?

« Concernant les condamnations pour les fautes involontaires, les directeurs modifient les projets pédagogiques. On constate que les loisirs des personnes handicapées s'orientent plus vers la campagne que vers la mer. Sous la pression des juges et des assureurs, on peut craindre une orientation plus sécuritaire de l'action sociale. L'on se souvient d'un fait divers pendant un été où un moniteur de natation avait interdit la natation en mer pour des personnes handicapées. [...]

« De plus, il n'est pas nécessaire de souligner les mauvaises conditions de travail dans ce climat. Les accusations concernant les relations sexuelles des mineurs avec des majeurs sont redoutables pour les responsables. Les travailleurs sociaux, l'ensemble des personnels craignent de recevoir des mineurs seuls. Le travail péda- gogique en face à face devient impossible. Les relations professionnelles se crispent et se focalisent sur certains actes, comme la distribution des médicaments dans les établissements sociaux. Enfin, nous ne développerons pas les épreuves personnelles pour les personnes mises en examen et relaxées quelques mois plus tard.

Quelques propositions

«Elles concernent naturellement l'amélioration des textes législatifs et normatifs, la protection juridique et la formation des acteurs du travail social.

« L'amélioration des textes vise, en premier, les codes pénal et de procédure pénale. Cela fait partie de la règle du jeu en France. Dès que quelque chose va mal, on promet de changer la loi. Cependant, faisons un premier constat. C'est celui du peu de résultat, jusqu'à présent, des modifications des textes législatifs. Tout se passe comme si, malgré ces changements et la volonté du législateur, les magistrats répressifs continuaient sur leur lancée. [...]

« Aussi est-il proposé de faire des distinctions pour engager la responsabilité pénale entre les fautes directes et indirectes, les fautes graves et légères. La première distinction renvoie à tous les débats sur le concept de lien de causalité. Elle n'est pas si évidente qu'elle en a l'air. Il restera à déterminer ce qu'est une faute directe ou une faute indirecte. A notre avis, la marge d'appréciation du juge, “du sentiment” du juge, sera toujours importante dans ce secteur. La seconde distinction renvoie au concept de faute plus facile à élaborer. [...]

« Au regard de la responsabilité pénale des personnes morales, loin des débats des spécialistes, le simple bon sens n'est-il pas de constater que la responsabilité pénale des personnes morales est avant tout une extension de la responsabilité pénale ?La condamnation d'une personne morale n'a pas à notre avis un sens évident si l'on cherche à restaurer la finalité de la responsabilité pénale. Si les plaignants peuvent gagner un peu d'argent, le risque est grand de voir se multiplier les engagements des responsabilités des institutions publiques ou privées conventionnées sur fonds publics.

« Mauvaise solution apparaît, également, la création de régimes spécifiques de responsabilité en fonction des statuts des personnes. C'est la fonction même du droit qui est en cause. Les statuts particuliers de responsabilité posent de nombreuses questions au regard de l'équité. Nous constatons de plus que le système spécifique de la responsabilité administrative des enseignants, par exemple, s'il a été un moment favorable, ne l'est plus entièrement actuellement.

« En revanche, tout ce qui peut améliorer l'organisation des services a des conséquences directes sur les questions de responsabilité. Un effort important de production de normes, si possible claires par l'ensemble des acteurs, tant le législateur que l'administration, les gestionnaires que les directeurs, faciliterait le travail social. Au regard des problèmes de responsabilité, la création de commissions de conciliation, de commissions déontologiques de soutien et d'aide aux professionnels ne peuvent qu'être souhaitées. Les professionnels ont autant à attendre de l'amélioration de l'organisation des services que d'un changement de la loi pénale.

« L'amélioration de la protection juridique et de la formation des acteurs du travail social enfin. Pour les fonctionnaires, le législateur est à nouveau intervenu en 1996. Naturellement, il est souhaitable que ces protections se développent et soient mises en œuvre également dans le secteur privé malgré les difficultés rencontrées, tant la mise en examen provoque des effets d'isolement importants. A notre avis, comme il semble difficile de juguler le rôle actuel des magistrats, notamment instructeurs, c'est plus vers la défense des acteurs publics et privés qu'il faut se diriger. La justice a pour effet et fonction d'isoler les personnes. En fonction des situations, l'employeur se doit de défendre son salarié.

« Enfin la formation en droit et procédure pénale. Le droit pénal doit être enseigné de façon importante, puisque le juge pénal intervient actuellement dans le fonctionnement de l'administration et des services privés. On ne dira jamais assez l'importance de la formation pour que les acteurs puissent au minimum comprendre le fonctionnement de la procédure et afin que les effets de la justice pénale, notamment l'isolement, ne produisent pas leurs effets avant toute condamnation.

« Pour être excessif, je dirais que les acteurs du travail social doivent se familiariser avec le droit pour apprivoiser la justice pénale, comme le font les délinquants dont certains s'occupent. Ceci n'est pas le moindre paradoxe de la situation.

« En conclusion, ce phénomène concernant le secteur social, qu'une nouvelle loi ne résoudra pas en un coup de baguette magique, nécessite une analyse certainement plus précise que ces quelques impressions. Les responsables du secteur social, syndicats, groupes de pression divers, administrations locales ou centrales devraient y réfléchir sans doute plus collectivement ». 

Jean-Marc Lhuillier Professeur à l'Ecole nationale de la santé publique Avenue du Professeur-Léon-Bernard 35043 Rennes cedex

Notes

(1)  A la demande du ministère des Affaires sociales et de l'Emploi, Jean-Marc Lhuillier a plaidé la cause du secteur social et médico-social devant la commission Jean Massot au Conseil d'Etat - Le rapport de la commission Massot est publié à la Documentation française - Voir ASH n° 2147 du 24-12-99.

(2)  Revue de droit sanitaire et social, 1999.

Tribune Libre

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur