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Former des référents pour les publics fragiles

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Légale depuis le 1er janvier 1999, la monnaie unique nous reste encore largement étrangère. Pour tenter de rendre l'euro plus familier à certains publics fragiles, pouvoirs publics et associations développent des actions de sensibilisation spécifiques.

« On ne se rendra pas compte du prix des choses et on aura l'impression de ne rien dépenser »  ; « Ils ne mettent pas des comptes ronds, c'est toujours des virgules et des machins pour embêter les autres »  ; « C'est probable qu'on nous roulera de tous les côtés »  ; « Ça va être la noyade, je n'ose pas y penser. » Glanées, ici et là, auprès de personnes fréquentant des organismes caritatifs, des associations de consommateurs ou des institutions de retraités, ces quelques réflexions illustrent certaines des craintes générées par le passage à l'euro.

Bouleversant habitudes, échelles de valeurs et repères, cette transformation monétaire, sans équivalent dans l'histoire, constitue, de fait, une révolution dont les multiples implications psychologiques et culturelles débordent largement l'aspect strictement économique du phénomène. Et nul doute que l'apprentissage de ce nouveau langage risque d'être particulièrement difficile pour certains publics (1). Il s'agit, selon l'institut CSA, de personnes caractérisées par la faiblesse de leurs revenus (moins de 7 500 F/mois), par leur âge (plus de 65 ans) et/ou par leur absence de diplôme. Les uns et les autres - et particulièrement les non-diplômés -se disent moins favorables à l'euro, moins bien informés et plus inquiets que la moyenne des Français.

Des actions de sensibilisation adaptées

Constants depuis la création de ce baromètre semestriel, en avril 1996, soulignait Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce et à l'artisanat, lors d'une journée de réflexion récemment organisée à Paris (2), ces écarts d'opinion, de certaines catégories de la population, montrent bien l'importance de réaliser des actions de sensibilisation qui leur soient spécifiquement dédiées. Et la nécessité de ne pas oublier, non plus, d'adapter tous les outils concernant l'euro aux personnes qui, du fait d'un handicap physique, ont, elles aussi, des difficultés particulières d'accès à l'information :soit environ 4 millions de sourds ou malentendants - dont quelque 60 % ont des problèmes d'illettrisme - et 1 200 000 aveugles ou malvoyants (sans compter les personnes de plus de 70 ans qui ont des difficultés de vision handicapantes, sans être pour autant qualifiées de malvoyantes). « Or qui peut le plus, peut le moins », résume en substance Hamou Bouakkaz, responsable du projet euro au Comité national de promotion sociale des aveugles et amblyopes. Autrement dit, le matériel pédagogique de sensibilisation, conçu pour les déficients visuels, « peut rendre grand service aux illettrés, mais aussi aux autres, de la même manière que les cannelures prévues sur les pièces d e monnaie, pour satisfaire aux besoins des aveugles, seront utiles à tout le monde ». Dans le même esprit, des supports de communication visuels adaptés aux sourds, où le texte est réduit à l'essentiel et très simplifié, peut judicieusement être utilisé avec toute personne maîtrisant mal l'écrit, surtout quand il est rédigé en sabir technocratique.

De ce langage, lui-même a réussi à s'extraire en travaillant avec les populations concernées, reconnaît Thierry Vissol, chef d'unité à la Commission européenne. D'ailleurs, mettant en garde contre les effets potentiellement stigmatisants de toute catégorisation, le responsable du passage à l'euro pour les consommateurs estime que les problèmes sont de même nature pour tout le monde : seule change la façon de les exprimer. Si spécificité il y a,  elle ne se situe donc pas du côté des publics, mais doit être recherchée dans l'attention particulière à leur porter, afin d'imaginer, avec eux, des réponses adaptées à leurs besoins.

Comprendre le processus

Pour les identifier, des groupes de travail ont été constitués dans le cadre du projet « Euro Facile », lancé depuis deux ans par la Commission européenne. Amenées à formuler leurs attentes, les personnes en difficultés sociale et économique ou handicapées, ainsi réunies, ne se sont pas, d'abord et avant tout, montrées préoccupées par des questions d'ordre technique (problèmes de conversion, d'arrondi, etc.), mais intellectuel : les intéressés affirment leur désir de comprendre le processus engagé, à la fois dans sa dimension historique et dans ce qu'il implique pour eux-mêmes. D'où leur souhait de disposer d'outils d'information qui aient du sens par rapport à leur vécu personnel et ne soient pas truffés d'exemples fort éloignés de leur quotidien. Cette proximité culturelle doit, en outre, se doubler d'une proximité psychologique avec l'émetteur chargé de favoriser la compréhension du nouveau langage monétaire : qui veut développer la confiance dans la monnaie unique doit être, lui-même, quelqu'un à qui on peut se fier.

Les psychosociologues, participant à l'opération « Euro Facile », estiment que les acteurs les mieux à même de donner du crédit à la nouvelle monnaie sont des intervenants de proximité. D'où l'importance de former et d'outiller ces médiateurs locaux - tout en se méfiant de ne pas gauchir le message par une hyperinflation de bonnes volontés qui ferait écran à l'expression des populations concernées.

Comme il s'agit d'impliquer un grand nombre d'ambassadeurs de l'euro, plusieurs organismes tablent sur la formation de référents, pouvant ensuite essaimer dans leur propre structure. Tel est, par exemple, l'objectif de l'Institut européen interrégional de la consommation (IEIC), opérateur, pour la France, du programme « Euro Facile ». 650 personnes, totalement prises en charge sur le plan financier, seront formées par cet organisme - et dotées d'une mallette pédagogique destinée à faciliter leur travail ultérieur ; on attend d'elles, en retour, qu'elles s'engagent à former, dans leur réseau, un minimum de 20 collaborateurs ou partenaires : soit des intervenants qui assureront, ensuite, la formation des acteurs de terrain au contact des publics ciblés (travailleurs sociaux, animateurs d'associations, etc.), soit directement ces médiateurs de proximité eux-mêmes (3). La Caisse des dépôts et consignations (CDC), impliquée dans cette action, entend en faire un instrument d'intégration financière des populations modestes, de plus en plus souvent rejetées par le système bancaire. Il ne s'agit pas là de philanthropie, précise Pierre Saragoussi, conseiller du directeur général de la CDC, mais d'un intérêt économique bien compris, car cette « débancarisation » croissante peut être catastrophique pour les établissements financiers.

Relais essentiel pour deux millions et demi d'allocataires (dont les titulaires du RMI), les guichetiers et postiers vont aussi être formés à l'euro au cours de l'année. Il leur faudra en effet une compétente et avertie patience pour rassurer des usagers qui se retrouveront face à 396 € en lieu et place des 2 600 F escomptés. « En outre, indique Jacques Jordan, directeur de la mission euro à La Poste, nous avons, d'ores et déjà, 140 emplois-jeunes entièrement dédiés à l'euro et forts d'une expérience de 12 mois : répartis sur tout le territoire, ils sont à la disposition des associations qui le souhaitent, pour venir former leurs bénévoles »   (4).

L'Union féminine civique et sociale (UFCS) organise aussi, dans toute la France, des formations destinées aux travailleurs sociaux et aux responsables associatifs (5). Munis du kit d'animation « Si l'euro m'était compté » -permettant de simuler des achats avec des fac-similés de pièces et billets -, ces derniers sont ensuite en mesure d'aider leurs interlocuteurs à acquérir de nouveaux référentiels de prix, afin de ne pas faire exploser leur budget.

Mobilisation au plus près du terrain

En relation avec 3 600 000 familles locataires - « soit environ un cinquième de la population française, peu réceptive aux messages instutionnels comme à la communication des banques », selon Jean-Michel Doré, son délégué général adjoint -, l'Union nationale des fédérations d'organismes HLM mise également sur l'intérêt d'une information de proximité. Pour être en mesure de la diffuser, gardiens et personnels d'accueil des HLM ont été dotés d'un guide pratique leur permettant de répondre aux questions et aux inquiétudes des habitants.

Ayant également majoritairement affaire à des personnes démunies dans son activité de gestion des tutelles, l'Union nationale des associations familiales (UNAF) se préoccupe aussi des conséquences du passage à la monnaie unique pour ces publics. D'où l'utilité de former adéquatement les tuteurs ; et l'importance d'un tel programme : une enquête qualitative montre, en effet, qu'en termes d'implication comme d'information par rapport à l'euro - et à l'Europe -, ces professionnels sont, grosso modo, dans la même position que les personnes sous tutelle qu'il leur faudra accompagner (6).

Au plus près des personnes âgées dépendantes, les aides-ménagères à domicile peuvent également jouer ce rôle de soutien éclairé. A condition, évidemment, d'y être, elles aussi, préparées. Conduite par la caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV) et l'Institut national de la retraite active (INRAC), une telle formation a été réalisée, à titre expérimental, auprès de 188 professionnelles. A leur plus grande satisfaction : elles apprécient à la fois l'intérêt des connaissances acquises, et celui qu'on leur manifeste en les estimant capables de devenir, ainsi, actrices de la formation d'autrui. Il leur fallait encore gagner la confiance des personnes âgées, qui ne va pas toujours de soi. Sous cet angle-là, également, les premiers résultats sont encourageants : les personnes âgées jugent plutôt positive l'expérience. Mais bien sûr, commente Elisabeth Humbert- Botin, secrétaire générale de la CNAV, il faut maintenant étudier dans quelles conditions déployer largement ce dispositif (7).

Le passage en vraie grandeur constitue effectivement le cœur du problème. C'est pourquoi, en renfort des professionnels, les pouvoirs publics comptent bien favoriser l'émergence d'un important mouvement de solidarité intergénérationnelle. Par l'intermédiaire de l'INRAC, les seniors sont en passe de répondre présent : 4 000 jeunes retraités bénévoles devraient être recrutés et formés cette année, pour assurer durablement, dans leur canton, une mission de pédagogues de l'euro. On en attend tout autant des enfants et des adolescents scolarisés, souvent moteurs quand il s'agit d'initier leur entourage à la nouveauté. Leur entremise est particulièrement précieuse, fait-on observer à ATD quart monde, pour atteindre les adultes pauvres, parmi lesquels le taux d'illettrisme est élevé et qui, en outre, sont fréquemment méfiants par rapport à d'éventuels médiateurs institués. D'ailleurs, suivant l'analyse présentée au groupe de travail « Euro Facile » par cet organisme caritatif, c'est précisément en tenant compte des besoins spécifiques des publics les plus démunis, donc, a priori, les plus éloignés de l'euro, que l'on aura la certitude d'avoir entrepris des actions d'information couvrant le mieux les besoins de l'ensemble de la population.

Caroline Helfter

Notes

(1)  Voir ASH n° 2100 du 1-01-99.

(2)   « L'euro pour tous », rencontre organisée, le 25 janvier, par le ministère de l'Economie et des Finances - Rens. : Véronique Bénard - Tél. 01 53 18 87 49.

(3)  Les structures intéressées peuvent contacter l'IEIC : 79, rue Gantois - 59000 Lille - Tél. 03 20 21 92 50.

(4)  Pour se procurer l'annuaire de ces animateurs, contacter la Mission euro de La Poste au 01 41 41 77 83.

(5)  UFCS : 6, rue Béranger - 75003 Paris - Tél. 01 44 54 50 54.

(6)  Voir ASH n° 2124 du 18-06-99.

(7)  La CNAV a également réalisé un guide euro (disponible gracieusement), destiné aux intervenants auprès des personnes âgées, qui recense actions et contacts utiles - Voir ASH n° 2152 du 4-02-00.

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