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L'invention de l' « illettrisme »

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 Préalable nécessaire :prendre de la distance. Le lecteur est, d'emblée, appelé « à déformer sa vision spontanée du monde ». Précaution utile : l'entreprise à laquelle s'attaque Bernard Lahire est délicate et, son sujet, l'illettrisme, aujourd'hui considéré comme une priorité nationale, souffre peu la remise en question. C'est, pourtant, ce que fait le sociologue lyonnais qui montre que la vision collective de l'illettrisme a tout d'une « invention ». Attention, précise-t-il, il ne s'agit pas de nier l'existence des illettrés : depuis toujours, nombreux sont les hommes et les femmes éprouvant des difficultés de lecture. Ce sur quoi, simplement, Bernard Lahire met l'accent, c'est « l'extraordinaire machinerie - imaginée par personne mais résultant d'une multitude de discours, d'actes et d'institutions - qui a créé, par la magie d'un immense et intense travail symbolique, un “problème social”  ». Un problème social qui ne correspond plus à son objet. Pour cela, il a fallu presque deux décennies : depuis l'invention du néologisme par ATD quart monde à la fin des années 70 jusqu'à la  « consécration étatique du problème », qui s'est traduite notamment par le rapport Des illettrés en France et par la création du Groupe interministériel de lutte contre l'illettrisme et l'inscription de l'illettrisme comme l'une des priorités nationales dans la loi contre les exclusions. Pendant toutes ces années, le discours sur le sujet n'a cessé de s'enflammer. Oscillant « entre misérabilisme exacerbé et populisme radical ». Charriant son lot d'émotions, même quand la cause entre dans « l'ère de la rationalisation et du professionnalisme ». Finissant par faire émerger une « nouvelle terre de mission philanthropique » et par réunir, sous la même bannière, les intérêts les plus divers : des experts jusqu'aux politiques de tous bords et aux stars de la chanson, du cinéma, du sport. Même les scientologues se sont mis de la partie... Et pourtant : personne n'a idée de l'ampleur du problème ni la même définition de l'illettrisme. Mais, comme le note l'auteur, les flous sémantique ou statistique sont la condition même de l'émergence du problème de l'illettrisme. Surtout, ce que Bernard Lahire pointe, c'est le poids des représentations de l'écrit, la valorisation sociale extrême de la culture lettrée et ses conséquences perverses : la stigmatisation de ceux qui ne maîtrisent pas la lecture, décrits comme de quasi « sous- homme (s)  » qui menacent l'ordre établi. Que voir derrière ces discours où « l'accès à l'écrit devient le seul et unique critère de l'intégralité de l'identité humaine et même de la condition humaine »  ? Pour Bernard Lahire, c'est clair : ce sont « des appels à la réassurance sociale » pour ceux qui pensent ne pas entrer dans la catégorie des « illettrés ».  A.F. L'invention de l' « illettrisme ». Rhétorique publique, éthiques et stigmates   - Bernard Lahire - Ed. La Découverte - 189 F.

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