Educateurs spécialisés, assistants de service social, psychologues. Les professionnels des 130 institutions de travail social, sur lesquelles a porté l'étude, sont unanimes. L'écriture dans le cadre du travail social est problématique. Pour 35,4 % d'entre eux, elle est « l'objet de conflit ». Un tiers trouvent les écrits « difficiles à lire ou à comprendre », tandis que 73,4 %estiment qu'ils sont « difficiles à obtenir ». La raison ? Ce n'est pas tant du côté d'un manque de savoir technique qu'il faut la chercher mais, notent les auteurs, du côté des « spécificités de la position professionnelle ». Une position qui a pour objet « la relation à autrui à des fins éducatives et/ou thérapeutiques dans un contexte collectif et partenarial ».
S'ils sont unanimes à décrire cette difficulté, les professionnels l'expriment différemment selon leur fonction. Ainsi, les éducateurs spécialisés, pour qui le travail d'écriture est une « nécessité clinique » (permettant de garder mémoire et autorisant la distanciation), expriment leur désarroi, tiraillés entre cette vision et les écrits exigés d'eux. Les psychologues avouent des difficultés face à l'écriture propre au réseau de prise en charge et lui préfèrent, dans leur majorité, la communication orale, une minorité d'entre eux appelant néanmoins à « construire une politique institutionnelle de l'écrit ». Quant à l'encadrement, il développe différentes stratégies : soit il débarrasse les personnels de cette tâche ;soit il l'encadre « quotidiennement » ; soit il intègre l'écriture dans une « dynamique institutionnelle ».
Pour les auteurs, c'est clair : la difficulté énoncée d'écriture renvoie aux « conceptions différentes du travail clinique et de la place qui est donnée au sujet dans celui-ci ». De fait, « s'agit-il de transmettre de la connaissance à propos d'une personne, à partir d'une position d'observateur neutre, ou bien de produire un “savoir de la relation” ? » Un dilemme renforcé par un autre problème : la difficulté à trouver un espace pour « penser et se penser ». Résultat ? « Les professionnels sont conduits à se laisser porter par des modèles institués qu'ils n'interrogent que rarement ». D'autant plus que, pour la majorité, la question de l'écriture reste secondaire face à la réalité du métier et aux « situations vécues de plus en plus difficiles ». Une attitude issue également de l'histoire du travail social qui, rappellent les auteurs, s'est constitué sur la base du savoir-faire et du savoir-être et a rejeté l'écriture à la périphérie. L'écriture, notent-ils, est ainsi perçue, non pas comme un lieu d'élaboration ou de construction d'une pensée, mais simplement comme « celui d'une communication plus ou moins forcée ».
Voilà justement ce qu'il faut changer pour les auteurs, qui appellent à repenser l'écriture du travail social. Comment ? En la replaçant au centre du travail. L'occasion, pour eux, de « contribuer aux refondations des bases de constitution d'une professionnalité qui, sur bien des points, paraissent parvenues à épuisement ». Car, concluent-ils, « repenser l'écriture, c'est d'abord repenser la relation au sujet et à sa parole, qu'il s'agisse de clinique ou de communication ».
Anne Fairise
(1) L'écriture en situation professionnelle dans le travail social et l'éducation spécialisée - Sous la direction de Jacques Riffault - Disp. à Buc Ressources : 1 bis, rue Louis-Massotte - 78530 Buc - Tél. 01 39 20 19 94 - 120 F.