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« UN TRAVAILLEUR SOCIAL FÉMININ-MASCULIN PLURIEL, ENGAGÉ ET RESPECTÉ »

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Nouvelle réaction à notre débat sur « L'avenir du social à l'aube du XXIe siècle ». Cette semaine, Laurent Gavelle, directeur d'établissement, répond notamment à la contribution d'Alain Vilbrod sur le travailleur social de l'an 2000 (1).

« Le travailleur social, progéniture commune du catholicisme social, des mouvements laïc, ouvrier et d'éducation populaire, est par essence militant. Je ne vais pas revenir sur le débat initié au cours de l'année écoulée, mais avancer que celui-ci est profondément engagé parce qu'il ne peut pas rester neutre devant les conséquences d'une société de plus en plus ravagée par la déréglementation dans tous les domaines, avec les fléaux endémiques du chômage et de son corollaire, l'exclusion. Certes le militantisme d'aujourd'hui se cherche, avec l'érosion des repères, le recul de la participation civique, le désintérêt pour la chose publique et la suspicion de la politique telle qu'elle s'institutionnalise. Mais il ne sera jamais le militantisme des années 70, qui ne reproduisait pas non plus celui des années 40, qui marque la naissance de “l'éducation spécialisée”, selon Michel Chauvière. C'est à partir de ce concept, avec l'ajout du système de protection sociale, de la création des DDASS et d'un imposant dispositif juridique et institutionnel, qu'est né ce que l'on nomme “ le travail social “.

« Oublions les Cassandres qui prédisent, depuis sa naissance, l'arrêt de mort, mais constamment différé, de la constellation professionnelle des travailleurs sociaux et soulignons, comme le rappelle Eric Hobsbawn, qu'un siècle ne se déroule pas en fonction d'un début et d'une fin de sa chronologie exacte (2). D'emblée, levons également la question de la crise existentielle dans la mesure où la professionnalisation du social, avec sa myriade de métiers dans de nombreux champs et une population d'usagers très hétérogène, a réglé leur problème identitaire, avec des modèles de référence implicites ou explicites. Même si cette identité résulte d'une construction permanente de réajustements et d'interactions qui ne se situe pas seulement au niveau de la technicité des savoir-faire mais également par rapport à la “mauvaise” conscience et la culpabilité qui caractérisent le secteur médico social (3).

Des métiers au féminin

« Décidément les femmes sont à l'honneur : de la dure réalité de vie des mannequins plastiquement impeccables à la mobilisation des “chiennes de garde” et de l'association “Mix-Cité”, dont un bon quart ou tiers masculin, faut-il le préciser, avec les médias qui s'arrachent leurs figures de proue, pour présenter, audimat oblige, la situation des discriminations sexistes dans une société qui sublime la femme dans des modèles de valorisation sans commune mesure avec la réalité... des travailleurs sociaux au féminin. Largement sous-représentées dans les postes à responsabilités, les travailleuses sociales ont, en revanche, le monopole des postes de ce que Pierre Bourdieu appelle la main gauche de l'Etat et elles n'échappent donc pas aux mécanismes bien huilés du système patriarcal et de diverses formes d'assujettissement.

« Professions féminisées à l'extrême dans la nébuleuse des emplois de faible qualification, elles ne peuvent que constater qu'il n'y a pas de réel changement tant les hauts niveaux de responsabilité sont “trustés” par les hommes. Mais une réalité peut en cacher une autre avec, d'un côté, les experts et, de l'autre, les besogneux, dans la mesure où il en est du monde comme du panier : il y a le dessus et le dessous. Le dessus, c'est la partie noble, l'élite, le gratin qui hérite des responsabilités comme de l'héritage familial. Le dessous, c'est la plèbe, la populace, les tâcherons à qui l'on accorde généralement le droit de se taire. Et là pas de distinction de sexe, les travailleurs sociaux de tout bord appartiennent inévitablement à la deuxième catégorie.

« Car on nous aura tout fait, de la charité au social light, en passant par le social show-biz, avec l'argument théorique, habilement martelé, que la division entre l'économique et le social n'a plus lieu d'être, en masquant l'objectif qui consiste à en finir avec l'autonomie du social et à l'intégrer, voire le digérer, une bonne fois pour toutes, dans la logique économique avec une insolence joyeuse et sans retenue de la vague néo-libérale, apparemment triomphante, suite à l'effondrement des systèmes de l'économie entièrement administrée.

« Et puis, pour nous mettre K.-O., l'évaluation comme tentative de résolution des dysfonctionnements. Mais à qui l'on peut faire tout dire et son contraire, de la RCB des années 80 à la méthode PASS, en passant par le ralliement aux logiques du management rédempteur jusqu'à l'argument technologique de la révolution informationnelle, société formatée et synchronisée, allégorie de notre monde caractérisé par le repli sur soi, l'uniformisation des esprits et des cultures. Certes, ces mutations technologiques et sociales profondes transforment les modèles d'organisation et professionnels du social, mais ces bouleversements radicaux sont à mettre en perspective des besoins nouveaux liés aux exigences de la personne, usager ou professionnel, sans jamais sacrifier sur l'autel du réalisme les principes éthiques.

« Le travail social, c'est ce rassemblement de femmes et d'hommes qui, outre la construction d'une parole collective autour d'enjeux centraux et de la question du sens, conçoivent leur action, autour de valeurs fortes partagées, dans le présent des choses et sur le terrain du réel, lieu ancré dans la dimension de territorialité où se vivent des actes co-élaborés avec des moyens compatibles avec les fins et qui résistent aux modes successives. Il s'inscrit aussi dans un monde de la complexité avec des interventions diverses, disparates, contradictoires, pavées de bonnes intentions et voulant s'installer dans l'humainement possible avec, comme le disait Deligny, les risques à prendre quand  “l'état, l'état des choses, l'état d'esprit, les institutions, les forteresses demandent de ne pas prendre de risques”. Bref,  nous affirmons une mission de service public avec l'éthique, le retour du refoulé, souligne Saül Karsz (4), et la déontologie comme moments d'élucidation de l'intervention sociale.

A l'interface de l'individuel et du collectif

« De sa marmite, le travailleur social ne tire aucune potion magique ou recettes. Il est humblement sollicité pour résoudre des problèmes de plus en plus complexes où s'entrechoquent et s'enchevêtrent blessure, souffrance, détresse et mal-vie, dans un contexte socio-économique qui met ainsi à rude épreuve les qualités humaines et physiques de l'individu, même si ce n'est pas Germinal ou Les travailleurs de la mer. Il se trouve cependant à l'interface des actions individuelles et collectives avec des pratiques professionnelles multiformes et des compétences transversales qui doivent favoriser l'expression des besoins-aspirations des personnes qu'il accompagne, la mobilisation de leurs capacités et la prise en compte de leurs limites, sans se projeter ou parler à leur place. Mais sans perdre pour autant la référence de l'aide à la personne, dont il s'agit de faciliter le développement, il doit intégrer la dimension socio-politique de son intervention dans la mesure où la multiplication des dispositifs sociaux constitue une source d'interrogations inhérentes au contexte de mutation dans lequel l'action s'inscrit. A charge des pouvoirs publics d'énoncer une philosophie claire, dans une délibération élargie des choix, avec des engagements concrets et des réformes ambitieuses sur le terrain.

Acteurs de changement

« Les travailleurs sociaux redécouvrent, grâce à la conjugaison de la croissance retrouvée et de la RTT, l'un des enjeux fondamentaux du jeu social : le conflit, qui s'inscrit dans la crise du travail salarié. Car au-delà des revendications matérielles légitimes, explicitement formulées, il s'agit de se faire respecter et reconnaître comme d'authentiques acteurs, sans tomber dans le corporatisme. Symbole des temps, même les cadres, qui sont aussi des travailleurs sociaux, autrefois désespérément muets, n'hésitent plus à exprimer leur ras-le-bol et leur mouvement de protestation, puissant, collectivement élaboré et pragmatique, émane, sans véritable consigne des états majors, en osmose avec un engagement dans une mixité sur le plan organisationnel (cf. le bras de fer ministère-cadres dans la CC 66). Cette déstabilisation du salariat, qui intervient dans le cadre d'une crise de la représentation politique liée au désengagement de l'Etat dans la vie sociale, nuit considérablement à l'élaboration d'un travail de proximité, où à partir des situations que vivent les populations en difficulté, on pourrait faire avancer des solutions en parallèle de celles des institutions publiques, qui, faute de crédit moral et d'efficacité, ont contribué à l'effacement de la chose publique et ont, pour le moins, impérativement à se reconsidérer aux yeux des citoyens.

« Aussi, considérer les travailleurs sociaux comme des cols blancs nantis et montrés du doigt pour leurs avantages conventionnels, sorte de garde prétorienne d'un système professionnel atomisé, revient, encore une fois, à constater que les tentatives “sociologiques” de division sont bien vivaces. N'est pas Bourdieu qui veut, n'en déplaise à Alain Vilbrod.

« Pour donner du sens à la perspective d'une forme de sécurité d'emploi- formation chère à Marie-Thérèse Join-Lambert (5), chacun doit pouvoir bénéficier d'une activité professionnelle en faisant de la formation aux qualifications professionnelles tout au long de la vie un enjeu majeur, avec un regard sur une possible remise à plat des pratiques, comme toute réflexion portant à la question des différents savoirs enseignés et sur leur mode d'appropriation, naturellement en rupture avec les seules valeurs du marché. Les évolutions de la société commandent une formation continue à tout moment, temps d'une reconversion personnelle avec de nouvelles pistes de vie et d'activité. La période où l'on entrait dans un établissement ou service pour y rester l'essentiel de sa “carrière” est définitivement révolue, dans la mesure où le nombre d'années passées dans un poste, et a priori pour le bien- être de l'usager, constitue finalement plus un frein qu'un facteur de ressources de l'exercice professionnel (6).

« En guise de conclusion, j'en terminerai en citant une phrase célèbre de Max Weber (dans Le savant et le politique ) : “On n'aurait jamais pu atteindre le possible si dans le monde on ne s'était pas toujours et sans cesse attaqué à l'impossible.” Forme de revanche de la main gauche sur la main droite, pour le plus grand profit des personnes dont les travailleurs sociaux assument quotidiennement l'accompagnement. »

Laurent Gavelle Directeur d'établissement 42, rue Jean-Jacques-Rousseau 92130 Issy-les-Moulineaux Tél. 01 46 48 85 85.

Notes

(1)  Voir ASH n° 2149 du 14-01-00.

(2)  L'âge des extrêmes - Coédition Complexe/Le Monde diplomatique - 1999.

(3)  Voir TSA n° 726.

(4)  Voir ASH n° 2092 du 6-11-98.

(5)  Voir ASH n° 2149 du 14-01-00.

(6)  Voir ASH n° 2137 du 15-10-99.

Tribune Libre

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