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Le pari difficile des centres éducatifs renforcés

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L'heure du premier bilan a sonné pour les centres éducatifs renforcés. S'ils ont su développer des pratiques éducatives fortes pour les mineurs délinquants, ces centres cherchent toujours leur voie.

« Il y a quatre ans, nous nous sommes lancés dans l'aventure des centres éducatifs renforcés afin de combler le vide existant entre la maison d'enfants, la prison et la rue », se souvient Richard Siakowski, directeur départemental de la protection judiciaire de la jeunesse  (PJJ) de l'Aveyron. Créées le 18 janvier 1996, dans le cadre du pacte de relance pour la ville, les anciennes unités à encadrement éducatif renforcé (UEER), devenues centres éducatifs renforcés (CER) en février 1999, accueillent un maximum de huit mineurs délinquants multirécidivistes pour un « séjour de rupture » d'une durée moyenne de trois mois, sur la base d'un éducateur par jeune. Ils concernent entre 500 et 700 adolescents de 13 à 18 ans, dont 90 % sont placés au titre de l'ordonnance du 2 février 1945. Actuellement, 21 centres sont en activité. Un chiffre qui devrait être porté à 100 à l'horizon 2001.

Après les quelques atermoiements des débuts sur l'équilibre à trouver entre éducation et répression dans ce type de centres, les CER sont présentés clairement aujourd'hui comme une réponse éducative à la délinquance des mineurs. Cette ligne a été réaffirmée par la ministre de la Justice, Elisabeth Guigou, lors de son allocution d'ouverture aux premières journées d'études sur les pratiques éducatives dans les centres éducatifs renforcés (1). Une orientation défendue également par Denis Salas, maître de conférence à l'Ecole nationale de la magistrature. Pour lui, cette « institution du bout des institutions » vise à « éviter le schéma américain : “ trois délits et c'est la prison à vie” ».

« Du pirate au matelot »

« Chaque CER réinvente le double aspect de l'acte éducatif : respect des règles élémentaires de vie en société et promotion d'un sujet individuel libre, capable de responsabilité et d'imputation », insiste-t-il. Selon la formule imagée de Jean-Laurent Hus, responsable du CER maritime JLAM- Nautic, qui fait du bateau habitable son support pédagogique, il s'agit de « faire passer le jeune de pirate à matelot, afin de pouvoir ensemble envisager l'horizon ».

La remise sur pied de ces jeunes déstructurés passe d'abord par l'organisation d'un bilan médical, psychologique, socio- familial et scolaire. Ensuite, une des clés de cette démarche éducative est sans conteste la pluridisciplinarité. Celle-ci trouve sa place dans l'éventail des activités proposées par les différents CER : pratique d'activités sportives, par exemple, à La Sauve (Gironde) ou à « Acro bath » (Gard), activités périscolaires et stages en entreprises, comme à Porspoder (Finistère), chantiers humanitaires à l'étranger, à La Minardière (Isère). Et même nouvelles technologies, comme au CER La Poujade (Midi-Pyrénées), qui amènent les jeunes à réaliser un produit culturel sur Internet.

Cette pluridisciplinarité se retrouve aussi dans la présence, prévue par le cahier des charges des CER, d'un psychologue clinicien au sein de l'équipe éducative. Une action, là encore, différemment comprise suivant les centres. Certains estiment que le clinicien doit avant tout avoir une fonction d'étayage global du séjour du jeune. D'autres, au contraire, à l'instar de Sophie Elliott, psychologue au CER La Minardière, prônent une intégration à part entière du psychologue au sein de l'équipe éducative. « Si nous sommes parfois appelés “leviers affectifs”, c'est parce que nous réalisons un vrai travail d'accompagnement sur le vécu de ces jeunes, qui réactive énormément de problématiques », affirme la jeune femme. Laquelle souligne le caractère fondamental de la présence d'un clinicien dans les commissions d'admission. « Cela permet de lire entre les lignes de dossiers parfois fragmentaires et souvent complexes. » Le débat est d'importance, car le nombre de mineurs à la frontière du social et de la psychiatrie augmente régulièrement. Elisabeth Guigou a d'ailleurs annoncé la tenue, au printemps prochain, d'un séminaire de travail sur ce sujet, en collaboration avec la direction des hôpitaux et la direction générale de la santé.

Des jeunes au devenir incertain

Tout éducative qu'elle soit, la mission des CER n'en repose pas moins sur la contrainte, ne serait-ce que pour mener à bien le postulat pédagogique de base du séjour : une rupture, un déconditionnement brutal des jeunes. Or la vie en communauté, des semaines durant, avec ces adolescents qui ne connaissent que la violence, entraîne une pression parfois insoutenable. Une pression encore renforcée par le hiatus entre le temps éducatif, qui s'inscrit dans des délais très courts, et le temps judiciaire, malheureusement beaucoup plus long. « Si un jeune démolit un éducateur et que le juge nous répond : “Je vous reçois en audience d'incident dans deux semaines”, à quoi cela sert-il ?  », résume crûment Patricia Chapron, éducatrice à La Sauve.

Surtout, une profonde incertitude prévaut encore trop souvent sur le devenir de ces adolescents après la session. Car, avec un taux de 25 % de récidive, la sortie demeure le point faible du dispositif. « Le passage à l'acte peut même réapparaître dès l'approche de la fin de la session », note Patricia Chapron. Cette remarque soulève la question de la durée maximale à accorder à un séjour sans tomber dans une prise en charge à long terme, qui s'éloignerait de la mission attribuée aux CER. En ce sens, trois séjours consécutifs sont reconnus comme un seuil critique.

Voilà bien où le bât blesse. « Le passage en centre éducatif n'a de sens que s'il est clairement posé comme étape dans un parcours éducatif à construire », rappelait la circulaire du 24 février 1999 (2). Pourtant, beaucoup qualifient de « mythe » le rôle de « fil rouge » de l'action éducative censé être tenu par les services de milieu ouvert. « L'éducateur référent extérieur est souvent un éducateur du SEAT, dont l'action se situe par définition dans l'urgence et non dans une continuité éducative  », juge Richard Siakowski, de la PJJ de l'Aveyron. Conséquence :certains passages en CER sont gérés comme des séjours en centres de placement d'urgence. Plus grave :de certains jeunes qui arrivent, on ne sait pas grand-chose, voire quasiment rien. « Or, sans historique, pas d'avenir, et sans avenir, on va dans le mur  », affirme un directeur de centre.

Une équipe forte qui s'appuie sur l'extérieur

Pour gérer ce va-et-vient permanent entre rupture et socialisation, la cohésion d'équipe est fondamentale. « Les réunions de synthèse permettent de faire le point et de recharger les batteries », défendent les éducateurs de La Minardière, qui signalent aussi l'importance du comité de pilotage et de suivi. « Nous obtenons de très bons résultats en travaillant par trinômes éducateur-animateur-psychologue qui marchent en symbiose et en complémentarité absolues les uns avec les autres », assure Jean-Laurent Hus.

Néanmoins, rien ne peut se faire sans relations avec les partenaires extérieurs. « Le bon fonctionnement de la relation triangulaire éducateurs-jeune-juge est une condition sine qua non à la réussite du projet éducatif, insiste Alain Bertheloot, directeur du CER Sillage (Guérande). Le rôle du juge ne doit pas s'arrêter à l'ordonnance de placement. » Pourtant, déplore-t-il, « beaucoup de jeunes ne rencontrent le juge, durant leur séjour, que pour le suivi de leurs affaires ».

L'intégration de la famille dans le processus de resocialisation constitue une autre interrogation. Dans la plupart des CER, les contacts téléphoniques avec celle-ci, bien qu'obligatoires, sont strictement limités et encadrés. Certaines structures prévoient néanmoins, au cours du séjour, un entretien-bilan qui réunit le jeune, la famille et l'éducateur référent extérieur, voire un ou plusieurs retours dans la famille. « Quelles que soient les orientations adoptées pendant le séjour, l'objectif doit être de tout faire pour que le jeune réintègre sa famille dans les meilleurs conditions à sa sortie  », souligne Francis Benoist, directeur départemental de la PJJ de l'Isère.

Enfin, la mise en place du programme d'activités, qui vise aussi à permette à ces mineurs de renouer avec une insertion sociale et professionnelle, ne peut être efficace que si elle s'appuie fortement sur des partenaires extérieurs (missions locales et PAIO, tissu associatif...).

Néanmoins, pour mener ces programmes dans les meilleures conditions, mieux vaudrait un encadrement parfaitement adapté. Ce qui n'est pas le cas à l'heure actuelle, du moins dans le secteur habilité. Or, sur 21 CER en fonctionnement en janvier, 17 en relèvent. « Certes, la formation PJJ, obligatoire pour travailler dans le secteur public, est bien adaptée aux conditions de travail en CER, admet Gervais Prulot, secrétaire général du Syndicat national des personnels éducatifs (SNPCE). Par contre, dans le secteur habilité, beaucoup de personnels ont le statut d'éducateurs spécialisés. Un diplôme d'Etat qui porte sur l'encadrement de publics en difficulté, tous handicaps confondus. La convention de 1966, qui régit le statut de ces éducateurs, n'est pas adaptée à un public aussi violent ! » D'où une forte « usure » des personnels et un fort turn-over des équipes. « Comment élaborer une stratégie éducative cohérente lorsque cinq éducateurs sur six ne tiennent pas plus d'une session ? » s'interroge un directeur de centre.

Le problème de la formation des personnels

Autre effet pervers de cette inadéquation de la convention de 1966 : face à ces départs en chaîne, le secteur habilité n'a pas eu d'autre solution que d'attirer à lui des personnels d'encadrement non spécifiquement formés à l'éducation spécialisée. Animateurs sportifs ou socio-culturels, voire veilleurs de nuit : autant de personnes qui effectuent au quotidien un véritable travail d'éducateur auprès des jeunes, ce que ni leur formation ni leur statut ne leur permet normalement de faire. « De ce fait, lorsqu'ils quittent le CER, cette expérience n'est absolument pas prise en compte par l'administration, souligne Françoise Laroche, secrétaire générale du SNPES- FSU. C'est pourquoi nous souhaiterions que ces personnels puissent faire valider cette expérience acquise en bénéficiant d'un accès privilégié au diplôme d'éducateur spécialisé. » Une question qui demeure toujours sans réponse du côté de la PJJ…

Outre ces énigmes, d'autres chantiers attendent encore la PJJ au cours des prochains mois. « Celui du soutien à la création et l'action de CER publics, aujourd'hui largement minoritaires face au secteur associatif habilité, plus à l'aise envers la pédagogie développée en CER, n'est pas le moindre », insiste Eliane Catusse, coordonnatrice du dossier des CER à l'administration centrale de la PJJ. Enfin, la territorialisation de l'action de la PJJ sera poursuivie, afin de mettre en place, dans chaque ressort juridictionnel, un dispositif éducatif approprié. L'adaptation concrète du nombre de CER à créer d'ici à 2001 sera faite en fonction des besoins sur le terrain et des demandes des juridictions.

Catherine Piraud

Notes

(1)  Du 4 au 6 janvier 2000, à Lyon - DPJJ : 13, place Vendôme - 75042 Paris cedex 01 - Tél. 01 44 77 60 60.

(2)  Voir ASH n° 2110 du 12-03-99.

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