«Comme le souligne Paul Durning dans son texte (1), il faut convenir et affirmer la vérité suivante : il n'y a pas de fragilité et encore moins de déficience intrinsèque des familles isolées (déplacées, sans famille élargie à proximité) ou monoparentales. Ceci est important dans un contexte où des affirmations généralisantes et lapidaires circulent trop facilement, à la fois dans les médias, dans certaines affirmations politiques, ainsi qu'au sein de nombreuses institutions éducatives, notamment scolaires. Il s'agit bien là de préjugés socio-éducatifs dommageables pour les intéressés.
« Toutefois, les problèmes et les difficultés des familles isolées me semblent suffisamment réels pour qu'on ne se contente pas, pour les aborder, d'une seule dénonciation du contenu idéologique latent. En effet, dans le cadre de notre pratique de soutien de la fonction éducative, il nous apparaît de plus en plus que les familles isolées, déplacées, réduites souffrent de difficultés acquises, souvent secondes mais toujours réelles, d'accessibilité et d'adéquation avec les structures éducatives en général.
« Que ce soit le cas de mamans seules, qui travaillent en horaires décalés et souvent loin et ne trouvent ni crèches, ni modes de garde adaptés, ou de personnes seules cumulant des problèmes de santé et des obligations éducatives lourdes, les exemples quotidiens sont nombreux qui démontrent les difficultés éducatives spécifiques rencontrées par les familles isolées ou fragilisées.
« La nature seconde et acquise de ces difficultés spécifiques pousse à établir deux constats essentiels, sans lesquels nous ne pourrons pas agir sur les véritables causes.
« D'une part, les institutions socio- éducatives sont aujourd'hui inadaptées, tant dans leur fonctionnement matériel et horaire que dans la conception et les attentes développées en direction des familles. Elles calquent en effet ordinairement leurs horaires d'ouverture sur des horaires de bureau à peine étendus, ce qui exclut énormément de parents et d'enfants de leur action normale. De plus, elles n'arrivent pas à prendre suffisamment en compte les particularités de toute famille quelque peu différente : il n'y a qu'à voir comme les écoles, par exemple, n'arrivent toujours pas à communiquer ne serait-ce que de rares bilans au parent séparé qui n'a pas la garde ordinaire de l'enfant ! Une chose aussi élémentaire réfute en acte, et quoi qu'on en dise, le principe même de la garde partagée !
« D'autre part, ces mêmes institutions développent des exigences qu'elles jugent minimales, en direction des familles des enfants qu'elles reçoivent, qui sont aujourd'hui hors de portée de nombreuses familles. Alors que faut-il faire ? Faut-il démultiplier les mesures de placement ou, au contraire, imaginer des modes d'accompagnement de l'exercice de la parentalité ?
« Face à un tel constat, les réponses spécialisées avancées par Paul Durning ne peuvent suffire, quand bien même on leur donnerait plus de moyens, plus d'ambition et plus d'harmonisation. Il faut imaginer autre chose, c'est-à-dire des modes de coéducation ordinaires qui permettent de prendre en compte les limites des possibilités éducatives de certains foyers, sans amener pour autant à des ruptures ou des séparations.
« Pour cela, de nouvelles pratiques sont nécessaires : il doit s'agir d'actions en milieu ouvert, de structures légères et de quartier de “veille éducative de proximité”. Mettre à la disposition des enfants et des parents des interlocuteurs éducatifs dans leur environnement, capables d'entretenir des relations à long terme et d'aider les familles à trouver des solutions aux problèmes quotidiens, est un des buts de nouvelles structures comme la Maison Robinson de Longjumeau.
« Plus qu'un gadget, établir les bases d'une véritable coéducation entre des équipes de proximité et des parents semble, à l'expérience, être devenu un nouvel enjeu d'urgence. »
Laurent Ott Educateur et enseignant. Auteur des Enfants seuls -Approche éducative - Ed. Dunod. Président de l'association Intermèdes : 28, rue des Marguerites - 91160 Longjumeau - Tél. 01 64 48 60 61.
(1) Voir ASH n° 2148 du 7-01-00.