Faut-il, oui ou non, créer un revenu minimum d'insertion, d'existence ou de citoyenneté pour les moins de 25 ans ? S'il y a eu une question omniprésente lors des rencontres nationales « Autonomie de la jeunesse », le 22 janvier (1), c'est bien celle de la création d'une garantie de revenus pour les jeunes. A l'origine, un constat qui n'est pas nouveau :l'émergence d'une nouvelle période de la vie - entre adolescence et âge adulte - marquée par un allongement des études et une insertion professionnelle chaotique, entre contrats à durée déterminée (CDD), petits boulots et intérim. Un débat récurrent ? Certes (2). Mais, alors que sont attendus, en mars, deux rapports du Commissariat général du plan (3), il risque de reprendre de la vigueur. D'autant plus que, sur le terrain de la lutte contre l'exclusion, associations et travailleurs sociaux ne cessent de dénoncer la « dégradation de la situation » des jeunes en difficulté. Une situation qui pousse, d'ailleurs, de plus en plus de conseils généraux, à créer des mesures pour pallier l'insuffisance des aides financières ouvertes aux jeunes (voir encadré).
Même au parti socialiste, la réflexion évolue. Si l'opposition à la création d'un RMI-jeunes y reste entière, on a conscience d'être, peut-être plus qu'avant, au pied du mur. « La paupérisation des jeunes existe et ne pas la prendre en compte risque de mener à l'instauration d'un RMI-jeunes », notait en décembre la secrétaire nationale à la Solidarité au PS, Marisol Touraine, dans un rapport sur la précarité, présenté aux instances nationales (4). Et de proposer deux pistes de travail pour les jeunes en situation précaire : la création d'une « allocation de formation » pour les chômeurs, entamant un parcours long de qualification, et/ou l'instauration d'une « allocation de remplacement » qui prendrait le relais « en cas de disparition de revenus » pour les jeunes engagés « dans un parcours d'insertion sociale et professionnelle ». Une inflexion politique ? Oui, précise la députée. « Nous ne pouvons continuer, simplement, à refuser la logique d'assistance. Nous avons conscience qu'il faut réellement aborder la question de l'aide financière. C'est un tabou ancien qu'il faut faire éclater. Pas question, pour autant, d'envisager un revenu. Nous lui préférons un soutien financier dans le cadre d'un parcours vers l'emploi. »
La situation de certains jeunes est, il est vrai, de plus en plus préoccupante. Certes, la récente embellie sur le front de l'emploi a particulièrement profité aux moins de 25 ans (depuis juin 1997, le chômage des jeunes a chuté de 28 %), mais surtout aux plus qualifiés d'entre eux. Laissant sur le bord de la route beaucoup de ceux qui étaient déjà en situation précaire et dont les difficultés semblent aller en s'accroissant. Voilà deux ou trois ans déjà qu'associations, services sociaux et structures d'accueil d'urgence tirent la sonnette d'alarme face à l'émergence d'une génération de jeunes, de plus en plus déstructurés et sans ressources. Actuellement, les moins de 25 ans représentent près du tiers des personnes en centres d'hébergement et de réadaptation sociale (CHRS).
On le sait : les moins de 25 ans ne peuvent prétendre au RMI sauf s'ils sont comme 35 000 d'entre eux, chargés de famille. Quant à l'assurance chômage, elle ne leur est ouverte qu'à la condition d'avoir travaillé a minima quatre mois au cours des huit derniers mois. Résultats : deux jeunes chômeurs sur trois ne sont pas indemnisés. Et, quand ils le sont, la durée de l'indemnisation se révèle trop courte. Reste alors l'ultime recours, le fonds d'aide aux jeunes (FAJ) départemental. Mais celui-ci n'intervient que de manière ponctuelle... Pas de quoi, dans ces conditions, sécuriser les parcours d'insertion. Ce que ne permet pas plus, aujourd'hui, le programme « Trajet d'accès à l'emploi » (TRACE), mis en place dans le cadre de la loi contre les exclusions, elle-même présentée comme un « pendant » de la loi sur le RMI. « Pour les jeunes, ce que nous devons trouver, c'est l'emploi. Ce n'est pas un revenu d'assistance au début de leur vie », expliquait Lionel Jospin, en février 1998.
TRACE, pourtant, prévoit d'accorder une attention particulière aux « difficultés matérielles » des jeunes. A cette fin, 120 millions de francs ont été attribués aux FAJ en 1999. Des fonds notamment mobilisables pendant les périodes du parcours de 18 mois durant lesquelles les jeunes, dans l'attente d'un stage ou d'un contrat de travail, se retrouvent sans rémunération. Certes, cela a été précisé : il ne s'agit pas de leur assurer un complément de revenu. Reste que, plus d'un an après le lancement de TRACE, alors que près de 60 000 jeunes sont entrés dans le dispositif, la mobilisation des FAJ reste difficile. La députée Hélène Mignon (PS), chargée de l'évaluation de la loi contre l'exclusion, l'a pointé, en octobre, dans son rapport d'étape. Le Conseil national des politiques de lutte contre l'exclusion (CNLE) a surenchéri en décembre, déplorant que « la totalité des crédits disponibles au titre du FAJ n'est pas utilisée » et incitant les FAJ à se mobiliser pour assurer une « garantie de continuité de ressources aux jeunes ». « La situation s'améliore mais la mobilisation reste difficile. Dans certains départements, les commissions d'attribution ont gardé les vieux réflexes de l'aide ponctuelle : elles accordent 200 ou 300 F mais ne prennent pas en charge une caution de loyer », note Hélène Mignon, qui va remettre, fin février, son rapport à la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale . Le ministère de l'Emploi et de la Solidarité attend, lui, la remise, en avril, de l'évaluation nationale pour se prononcer sur TRACE, qui essuie d'autres critiques, la principale étant que le dispositif a accueilli, jusqu'à présent, peu de jeunes en grande difficulté.
La dégradation manifeste de la situation interpelle, en tous les cas, les acteurs de la lutte contre l'exclusion. La Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale (FNARS) a revu sa position. Longtemps opposée à l'extension du RMI aux moins de 25 ans, elle réclame aujourd'hui que « personne ne soit exclu » d'un droit à un revenu minimum. « Nous avons aujourd'hui la couverture maladie universelle [CMU] , alors pourquoi pas un revenu universel ? », interroge Jean-Paul Péneau, son directeur général, qui tire un constat d'échec des politiques publiques mises en place. « Nous avons fait une erreur en 1988, lors de la création du RMI, explique-t-il. Nous pensions qu'il fallait mettre en place des dispositifs plus dynamisants pour les jeunes. Comme cela a été le cas avec le programme Paque et, aujourd'hui, TRACE . Il faut reconnaître que ce n'est pas suffisant. La société n'a toujours pas ouvert ses portes aux jeunes. » L'UNAF reste, elle, officiellement opposée à l'extension du RMI aux moins de 25 ans. « Il existe toujours un risque que les jeunes s'installent dans l'aide sociale », commente Ghislaine Angles-d'Auriac, chargée de mission jeunesse . Reste qu' « en interne, les avis sont partagés. Pour certains, la solution réside dans la prolongation du versement des allocations familiales ; pour d'autres, dans le principe d'une indemnisation : revenu social ou allocation jeune adulte. Face à l'urgence de ce problème de solvabilisation, nous avons décidé d'entamer une réflexion sur le sujet. » Quant aux professionnels de l'action sociale, ils sont en pleine ambivalence. « Ils restent écartelés, commente Patrick Rouyer, directeur, à Paris, d'un service d'insertion des jeunes . Laisser les jeunes sans ressources leur est de plus en plus insupportable. Mais ils ne peuvent pas accepter, simplement, de distribuer de l'argent, ce qui serait un terrible constat d'échec. Ils ne veulent pas mettre les jeunes dans une situation de démobilisation. Car il existe toujours un risque de créer un syndrome d'assistance. Il faut faire en sorte que la prestation financière, aujourd'hui nécessaire, implique une dimension réelle d'échange. La solution n'est pas pour nous, en tout cas, du côté d'une mesure globalisante comme pourrait l'être l'extension du RMI aux jeunes. »
Pour beaucoup, avant d'en venir à des mesures radicales, il faut améliorer les dispositifs mis en place pour les jeunes les plus en difficulté et, en parallèle, rechercher des modalités d'une meilleure prise en charge de l'ensemble des jeunes dans le cadre du régime d'indemnisation chômage. C'est la position du Secours catholique, comme des CEMEA. « Nous ne sommes pas favorables à l'extension du RMI aux jeunes tant que n'a pas été réellement mis en œuvre le dispositif TRACE, qui présente beaucoup d'intérêt, notamment pour l'individualisation des parcours. Etendre le RMI aux jeunes pourrait être une catastrophe et nous le vivrions comme une démission éducative », commente François Chobeaux, responsable du département des politiques sociales au CEMEA. Même constat à l'Uniopss : « TRACE nous paraît être un dispositif intéressant, mais il ne permet pas de sécuriser financièrement le parcours des jeunes. Nous souhaitons que tous les jeunes entrés dans TRACE bénéficient d'une garantie de ressources quand ils se retrouvent, au cours de leur parcours, sans ressources. Car ils s'engagent dans une démarche », explique Hugues Feltesse, son directeur général. Pour cela, il faudrait que le gouvernement dégage des budgets supplémentaires. Comme le précise Jean-Marie Terrien, directeur de l'Association nationale des directeurs de missions locales, « complètement hostile à l'extension du RMI aux jeunes », « les fonds attribués aux FAJ pour TRACE permettraient seulement, s'ils étaient tous mobilisés, d'aider, pendant un mois et demi, tous les jeunes du dispositif à hauteur d'une rémunération de stagiaire de la formation professionnelle, soit 2 000 F par mois ». Il souhaite aussi que tous les bénéficiaires de TRACE obtiennent une garantie de ressources, pendant les périodes d'attente , « avec a minima un droit de tirage de trois mois sur les 18 mois du parcours ». Ce qui supposerait, toujours, un effort financier de la part du gouvernement.
Anne Fairise
Face à l'insuffisance des aides accordées aux jeunes, les conseils généraux sont de plus en plus nombreux à mettre en place des mesures. Depuis fin 1998, l'Ille-et-Vilaine propose aux jeunes, ayant un projet professionnel, un accompagnement personnalisé et une bourse différentielle d'un montant maximal de 2 000 F par mois : une mesure baptisée « Bourse emploi 35 » (5) . La Gironde expérimente, depuis fin 1999, un contrat d'accompagnement à l'autonomie (CAA) auprès des jeunes en grande difficulté hors de tout dispositif : un suivi personnalisé avec, « éventuellement », une aide financière de 500 à 2 000 F par mois, sur six mois au maximum. Le Rhône a décidé d'aider particulièrement les jeunes qui ont été suivis par les services de l'aide sociale à l'enfance (ASE) pendant au moins 18 mois, pour éviter la « rupture de parcours » à 21 ans, via un suivi éducatif et une allocation de 3 000 F par mois « sur une durée variable », pouvant aller jusqu'à plusieurs années. Mais l'initiative la plus ancienne revient à la Seine-Maritime où existe, depuis 1988, un véritable RMI-jeunes : le « complément départemental de ressources » (CDR). Cette allocation mensuelle accordée pendant un an - soit 2 000 F pour les jeunes isolés ; 3 000 F pour un couple - est ouverte à tout jeune, inscrit à l'ANPE ou en recherche d'emploi ou de formation, ayant un logement ou résidant en foyer. En 1999, un millier de jeunes en ont bénéficié et le conseil général y a consacré 7 millions de francs.
(1) Voir ASH n° 2150 du 21-01-00.
(2) Voir ASH n° 2062 du 13-03-98.
(3) Le rapport de Dominique Charvet sur les moyens à mettre en place pour améliorer l'insertion des jeunes (voir ASH n° 2152 du 4-02-00) et celui de Jean-Michel Belorgey sur les minima sociaux.
(4) Voir ASH n° 2145 du 10-12-99.
(5) Voir ASH n° 2145 du 10-12-99.