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Des établissements au savoir-faire méconnu

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Faute de planification et de pilotage, les instituts de rééducation pour jeunes inadaptés sont loin de couvrir les besoins. Il conviendrait de promouvoir de nouveaux modes de prise en charge, privilégiant souplesse et travail en réseau.

Hyperactifs ou inhibés, caractériels, insupportables et incasables, les enfants et adolescents qui relèvent des instituts de rééducation (IR) souffrent de troubles du comportement. La notion est complexe. Elle recouvre des pathologies dont la nature, les causes et les manifestations sont extrêmement variées. Les jeunes orientés en IR sont-ils malades, mauvais élèves, victimes, délinquants ? Ils peuvent répondre à l'un des critères ou à tous. Faute d'un terme plus précis, on les réunit sous le vocable de jeunes inadaptés. Leur point commun : la souffrance et le rejet.

A la convergence de quatre demandes - sociale, scolaire, psychiatrique et judiciaire -, l'institution met en œuvre un savoir-faire méconnu, au carrefour de quatre logiques d'intervention séparées. Au-delà de l'hétérogénéité qui caractérise les publics accueillis, les pratiques et les références conceptuelles, les professionnels du secteur ont senti la nécessité de se rassembler pour réfléchir à une définition commune et faire reconnaître la place des instituts de rééducation dans les politiques sociales et médico-sociales en faveur de l'enfance. En 1996, ils créaient l'Association nationale des instituts de rééducation (AIRe)   (1). Laquelle se félicite aujourd'hui de voir ses préoccupations reprises par l'inspection générale des affaires sociales  (IGAS), dans son rapport sur ces établissements (2).

« Nous avons constaté une très forte implication des acteurs gestionnaires et des tutelles, en même temps qu'un sentiment d'impuissance face à l'urgence sociale », souligne Pierre Soutou, l'un des deux rapporteurs, lors des quatrièmes journées d'études organisées par l'AIRe (3). Observant que le secteur est « le moins connu et le moins piloté de la politique de l'enfance », il note à quel point l'inadaptation des jeunes reflète la destructuration et la souffrance des familles et pointe la difficulté à repérer les enfants, dont beaucoup ne le sont pas assez tôt. Un même enfant peut être dépisté au moins par trois instances : l'aide sociale à l'enfance, qui détecte des carences affectives et éducatives ; le juge des enfants, s'il y a délit ou pour protéger le mineur en danger (le magistrat pouvant d'ailleurs, pour confier l'enfant à l'IR, ne pas attendre l'examen par la commission départementale d'éducation spéciale)  ; enfin l'école, le plus souvent à l'origine du signalement. Turbulent, violent, l'élève qui perturbe la classe au-delà du seuil de tolérance est exclu. « Seulement, c'est souvent en fin de primaire, le retard scolaire s'accumulant, que l'on envisage l'orientation, remarque Pierre Soutou. Et c'est le passage à l'acte qui va produire un effet de loupe, alors qu'il est déjà trop tard. »

Une orientation souvent due au hasard

Selon l'IGAS, l'orientation est plus souvent due au hasard de l'offre locale ou du parcours social ou judiciaire de l'enfant. La famille a rarement le choix et l'on assiste à une course poursuite pour les places, généralement insuffisantes, les institutions et services en charge de l'enfance inadaptée se trouvant saturés ou inégalement répartis sur le territoire. En raison de leur encombrement, les commissions départementales d'éducation spéciale (CDES), harcelées par la pression locale, en sont réduites à gérer les échéances et ne sont pas véritablement un lieu d'orientation.

Faute de diagnostic affiné, des jeunes placés en maison d'enfants à caractère social ou en foyer de la protection judiciaire de la jeunesse demanderaient une prise en charge en institut de rééducation. Inversement, sont dirigés vers ces établissements des enfants en échec scolaire qui ne manifestent pas de troubles du comportement. Mais sont exposés à en développer, du fait même de cette orientation. « L'idéologie de la prévention peut avoir un rôle aggravant, affirme José Puig, inspecteur de l'Education nationale, président de la CDES d'Indre-et-Loire. Elle exonère à l'avance le système scolaire d'un certain nombre d'échecs et légitime l'exclusion qui risque d'aboutir à une marginalisation sociale plus ou moins définitive, alors que l'école est un formidable outil de prévention universelle. »

Ce qui manque surtout aux CDES, c'est la connaissance de l'histoire des enfants, les moyens d'assurer leur suivi, d'évaluer leurs progrès, d'autant plus qu'à leur sortie, les adolescents bénéficient rarement d'un accompagnement thérapeutique. L'IGAS préconise la mise en place de méthodes d'observation des flux transversaux (d'un type d'établissement à l'autre, d'un département à l'autre) permettant une étude épidémiologique de la population accueillie. Et, pour favoriser une véritable planification pluriannuelle et pluridisciplinaire, elle recommande l'articulation des schémas médico- sociaux avec ceux concernant la psychiatrie infanto-juvénile et l'équipement social en faveur de l'enfance.

Les investigations sur le terrain ont montré un décalage entre la réalité et les textes. L'internat est le modèle dominant, alors qu'on ne devrait y recourir qu'en dernier ressort. « Quand les troubles du comportement sont en lien avec la carence des parents et que ceux-ci refusent de coopérer, le placement ordonné par le juge est l'aboutissement de relations tendues entre la famille et les premiers interlocuteurs qui attendent de la judiciarisation le respect de la procédure d'assistance éducative », explique Antoinette Le Peltier-Durel, juge des enfants au tribunal de Caen. Mais s'il est des cas où l'éloignement s'impose, l'objectif est le retour au foyer. Et beaucoup déplorent « la politique de réhabilitation des châteaux », qui fait vivre artificiellement des internats pour créer des emplois, mais va à l'encontre du maintien du lien de proximité entre l'enfant et sa famille.

On a pu constater que ces jeunes, dont le comportement met les adultes en échec, appartiennent pour bon nombre à des milieux familiaux où prédominent des troubles mentaux et des perturbations psychologiques graves. « On raisonne dans le champ de l'enfant et de l'adolescent, remarque Jean-Yves Lefourne, psychiatre et psychanalyste, en oubliant que 40 % des parents souffrent de difficultés psychologiques. A nous de faire exister la notion d'enfant dans l'esprit de nos collègues psychiatres qui s'occupent des adultes. »

Des équipes commencent aussi à impliquer les familles dans le processus de prise en charge de leur enfant. Et, en amont, hors institution, des expériences de « guidance parentale » sont menées dans les services d'éducation spéciale et de soins à domicile (SESSAD). D'ailleurs, des parents, conscients de l'enjeu, se réunissent en association (4) pour échanger entre eux et exprimer leurs attentes vis-à-vis des professionnels. Ils souhaitent ne pas être jugés, mais mieux écoutés et soutenus dans leurs relations avec leur enfant. Et, se plaignant des perturbations causées par les plus violents, ils demandent des lieux spécifiques pour les accueillir...

En cela, ils rejoignent certains professionnels qui, estimant qu'on ne peut pas faire cohabiter des publics trop différents, soulèvent la question des multiples habilitations. Les instituts de rééducation doivent-ils continuer à être habilités justice ? Oui, répondent d'autres gestionnaires :les jeunes placés au titre de l'ordonnance de 1945, et qui d'ailleurs gardent leur éducateur référent, ne sont pas plus difficiles que des psychotiques, l'équilibre à maintenir étant du ressort du chef d'établissement. Sur ce sujet, l'IGAS ne tranche pas et invite à la réflexion : pourquoi le fait qu'un enfant ait des troubles du comportement entraînerait-il le financement exclusif par l'assurance maladie, alors même que le besoin d'assistance au titre de prévention de la délinquance serait prépondérant dans certaines situations ?

Signer des conventions-cadres

Le consensus est acquis sur la nécessité d'ouvrir les établissements et de coordonner les acteurs concernés. Déjà, se sont opérés des redéploiements vers le semi-internat et les SESSAD, et une modulation des prises en charge jusqu'aux appartements thérapeutiques, en fonction de l'âge des jeunes et de la lourdeur des cas.  « Le travail en réseau s'accommode mal des attributions budgétaires, commente Pierre Soutou. Il faut casser les logiques administratives classiques. Quand les départements ne veulent plus payer parce qu'ils estiment que la maladie l'emporte sur l'éducatif, ce sont les enfants qui sont victimes de la maltraitance administrative. »

Pour sortir de l'impasse, l'inspecteur recommande de travailler en réseau en signant des conventions-cadres de coopération entre administrations et institutions, spécifiant le rôle et l'apport financier de chacun et les personnes référentes. Ainsi, les partenaires se donnent une obligation de moyens pour la réalisation du projet de chaque enfant, au long d'une prise en charge pouvant faire appel à toute une palette de prestations alternant diverses formes d'accueil. « La démarche de projet, où chacun s'est autorisé à juger le projet de l'autre et où on a hiérarchisé les priorités, reste une valeur sûre pour fédérer les énergies », affirme Michel Laforcade, directeur adjoint de la DRASS d'Aquitaine. Pour lui, nul besoin d'attendre la réforme de la loi de 1975, il suffit de revenir aux textes fondateurs et de replacer l'usager au centre de la mission des IR.

Françoise Gailliard

LIONEL DENIAU : « RECONNAÎTRE LA SPÉCIFICITÉ DES INSTITUTS DE RÉÉDUCATION »

Que demandez-vous ? - Avec les instituts de rééducation, on dispose d'un outil qui peut apporter une réponse à la question de la violence des jeunes et on ne l'utilise pas. Nous voulons que la place des ces établissements soit mieux repérée dans les politiques sociales et médico-sociales. Les jeunes souffrant de troubles du comportement ont besoin, à côté d'une réponse éducative et pédagogique, d'une prise en charge en termes de soins. Vous travaillez à l'élaboration d'une annexe spécifique (annexe XXXIV) aux instituts de rééducation. Pourquoi ? - L'idée est que la population des jeunes inadaptés, telle que définie dans les annexes XXIV au décret du 27 octobre 1989, devrait avoir une place spécifiques, qui la différencie de celle des jeunes déficients : handicapés moteurs, sensoriels ou mentaux. Certes, nous souhaitons rester dans le champ du médico-social, avec un financement sécurité sociale. Mais la prise en charge en institut de rééducation, l'éloignement, ne doivent être que momentanés : l'objectif est le retour en famille et en milieu scolaire ordinaire. Et là, nous constatons les carences de l'Education nationale, qui parle beaucoup d'intégration, sauf pour ces enfants-là. Avez-vous le sentiment d'être entendu ? - L'idée d'une annexe XXXIV n'est pas refusée. Nous espérons faire aboutir nos propositions au sein d'un groupe de travail restreint avec des conseillers ministériels, qui devrait être mis en place prochainement. Propos recueillis par F. G. Lionel Deniau est président de l'Association des instituts de rééducation (AIRe).

Notes

(1)  AIRe : 17, rue Mgr-Millaux - BP 40 - 35221 Châteaubourg - Tél. 02 99 00 31 63.

(2)  Voir ASH n° 2141 du 12-11-99.

(3)   « L'IR au carrefour des demandes », les 22 et 23 novembre 1999 à Bordeaux.

(4)  Association des parents d'enfants différents - c/o Mme Villaume : 42, allée du Bois - 37390 La Membrolle-sur-Choisille - Tél. 02 47 51 88 97.

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