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Prévenir la répétition du passage à l'acte

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Entre 15 et 24 ans, près de 1 000 jeunes meurent, chaque année, par suicide. Dubitatifs sur les possibilités d'intervenir en amont du passage à l'acte, les psychiatres s'estiment mieux à même de prévenir - d'éventuelles et fréquentes - récidives.

Deuxième cause de mortalité chez les 15-24 ans, loin derrière les accidents de la circulation, les décès par suicide concernent, trois fois sur quatre, des jeunes gens. Inversement, et dans les mêmes proportions, les tentatives de suicide - estimées à 40 000 par an dans cette classe d'âge -, s'avèrent être un fait essentiellement féminin. Or, après son geste, seul un suicidant sur quatre serait hospitalisé. Et ce, alors qu'environ un tiers des adolescents récidivent, le plus souvent au cours de l'année qui suit (1 à 2 % des suicidants décèdent dans ce délai). Ces données alimenteront, à n'en pas douter, les débats organisés lors de la IVe journée nationale pour la prévention du suicide, qui se tient aujourd'hui, sur le thème « Choisir la vie ». (1)

L'impossible prévention primaire ?

On connaît mieux, aujourd'hui, la constellation des facteurs - familiaux, psychologiques et psychopathologiques, comportementaux, sociaux - qui augmentent les risques de passage à l'acte. Par ailleurs, les  « autopsies psychologiques » de jeunes décédés par suicide, réalisées en menant des entretiens avec leur entourage, permettent de tenter d'appréhender les ressorts de ces trajectoires brutalement interrompues.

Néanmoins, compte tenu de la multiplicité des situations sous-jacentes à un geste suicidaire, la prévention « primaire » se révèle très difficile (2). Aux Etats-Unis, des programmes d'information ont été expérimentés en milieu scolaire. Mais, à l'aune du taux de tentatives enregistré les mois suivants chez les jeunes concernés, par rapport aux adolescents n'en ayant pas bénéficié, ces séances ont non seulement fait la preuve de leur inefficacité, mais aussi de leur possible nocivité. En parler rendrait-il l'acte suicidaire plus fascinant, accessible, banalement reproductible ? En tout cas, « il semble que lorsque l'on commence à faire des conférences sur le suicide, on arrive plutôt à une augmentation qu'à une diminution du nombre de tentatives », signalait la psychiatre Viviane Kovess, lors d'une journée d'étude consacrée à la prise en charge des jeunes suicidants (3).

Relativement impuissants face à la prévention d'un passage à l'acte qui tient lieu de mise en mots, les spécialistes paraissent mieux armés pour aider les jeunes dont la tentative a échoué et contribuer à prévenir d'éventuelles récidives.

Le danger, c'est la banalisation, souligne le psychiatre Philippe Jeammet. Une banalisation « d'autant plus à craindre que beaucoup de familles dénient la gravité du geste, comme si la reconnaître, c'était la créer, mais aussi risquer de révéler les conflits familiaux sous-jacents ». Or il ne faudrait pas qu'à ce déni compréhensible s'ajoute la complicité, même involontaire, du corps médical, met en garde Philippe Jeammet, invitant à ne pas méconnaître la gravité potentielle de toute tentative de suicide et la nécessaire attention à porter à ses suites. Reste que, pour faire évoluer les pratiques, il convient de savoir quel type de prise en charge développer afin que les jeunes s'engagent dans une démarche de soins.

Se donner le temps d'une évaluation globale

A cet égard, les premiers éléments d'information communiqués par Marie Choquet, épidémiologiste, et Virginie Granboulan, pédopsychiatre, à partir de leur enquête sur la prise en charge hospitalière des jeunes suicidants (voir encadré au verso), sont très instructifs. L'hôpital apparaît bien comme le lieu central où se joue une grande partie de la compliance future de l'adolescent et de sa capacité à accepter l'aide des adultes, si tant est, notamment, qu'il reste hospitalisé au moins trois jours.

Dans 75 % des cas, précisent-elles, le service hospitalier où arrivent les jeunes, lors d'une tentative de suicide, est le service des urgences. Or 20 % de ces services, en France, n'ont pas de psychiatre, fait observer Frédérik Staïkowski, médecin urgentiste à l'hôpital Rothschild (Paris). Qui plus est, aux urgences, le regard des soignants est particulier, ajoute-t-il : compte tenu de leur encombrement, en particulier du nombre des patients accueillis dont l'état somatique est plus grave que celui des suicidants, « l'acte suicidaire y est souvent minimisé et considéré comme d'autant plus bénin qu'il ne nécessite pas toujours de véritables soins ». C'est pourquoi Frédérick Staïkowski en appelle à une formation complémentaire des soignants qui travaillent aux urgences, notamment des infirmiers psychiatriques, pour que ces services puissent être la première étape d'un « réveil psychologique ». Surtout que, faute de lits, après un passage aux urgences, qui souvent n'excède pas 24 heures, une grande partie des suicidants ne sera pas hospitalisée.

Psychiatre à l'hôpital pédiatrique Sainte-Justine, de Montréal, Patricia Garel ne considère pas que, face à une tentative de suicide, l'hospitalisation doive être systématiquement préconisée. Elle estime en revanche indispensable, aux urgences, de bénéficier d'un temps suffisant pour procéder à une évaluation clinique globale du jeune et rencontrer ses parents. Si nécessaire, l'adolescent peut ensuite être hospitalisé en médecine, afin d'éviter d'avoir à faire, trop vite, un diagnostic précis, ainsi qu'au vu des conséquences médicales de son geste, ou pour tenir compte des délais d'intervention des services sociaux éventuellement contactés. Il est également possible, à partir des urgences, d'orienter certains jeunes vers le service hospitalier de psychiatrie, lorsqu'il s'agit d'éliminer ou de confirmer un diagnostic, d'évaluer certaines situations particulières ou, quand un séjour à l'hôpital est jugé utile à la mise en route d'un traitement. Dans tous les cas, commente Patricia Garel, qu'il y ait, ou pas, hospitalisation de l'intéressé, « on insiste beaucoup sur la nécessité de toujours voir la famille et sur l'importance du réseau, sans lequel le travail aux urgences n'aurait pas de sens ».

Hospitaliser ou pas les jeunes suicidants ?

Lieu clé de la rencontre avec les adolescents en difficulté, l'institution hospitalière est thérapeutique en elle-même, estime, pour sa part, Xavier Pommereau, psychiatre au Centre Abadie (CHU de Bordeaux). « Aider l'adolescent à cheminer et à lancer un travail d'élaboration psychique passe, chez nous, par l'aménagement d'un espace réel qui constitue un cadre cohérent et contenant, restaurant des limites et des repères signifiants pour le sujet », explique-t-il, en développant les trois dimensions du travail de la clinique suicidaire. Celui-ci est mené simultanément avec l'adolescent, qui doit être volontaire pour cette hospitalisation ; avec ses parents, systématiquement reçus au cours des 48 premières heures suivant l'admission, puis revus ; et entre les 15 jeunes hospitalisés eux-mêmes. Mettant en avant l'intérêt de cette double spécialisation hospitalière, par rapport à la problématique suicidaire et à la tranche d'âge des patients, Xavier Pommereau insiste sur l'importance de ce qui se joue entre pairs. « Se fréquenter ne conduit pas les jeunes à s'échanger des recettes de suicide, commente-t-il, mais les incite, au contraire, à se débarrasser de ce comportement- symptôme, pour se regarder et se réfléchir mutuellement dans leur situation de souffrance. »

Se méfiant de tout dispositif qui prétendrait répondre, de manière univoque, à des situations qui ne le sont pas, Patrice Huerre, psychiatre, juge essentiel que s'articulent, au mieux, les interventions des somaticiens, des psychiatres, des travailleurs sociaux, des acteurs du champ scolaire et, le cas échéant, de ceux du secteur judiciaire. Qu'il soit directement privilégié, après le geste suicidaire, ou prenne le relais de l'hospitalisation, explique le psychiatre, un traitement ambulatoire implique en effet de pouvoir jouer sur une palette de lieux et d'intervenants, travaillant en étroite collaboration avec l'institution hospitalière. Et la bonne intelligence de ces professionnels s'avère déterminante pour garantir la cohérence du dispositif proposé au jeune.

Dans tous les cas, ajoute Patrice Huerre, la structure ou la modalité de prise en charge de l'adolescent importe finalement moins que la manière dont lui-même et son entourage vont pouvoir donner sens à l'acte suicidaire, à la fois dans ses aspects actuels et transgénérationnels. De ce point de vue, la qualité de l'ancrage relationnel initial, qui peut s'établir entre le jeune et un ou plusieurs intervenants hospitaliers (médecin, psychologue, infirmier, éducateur, assistante sociale), est fondamentale. D'autant plus qu'elle garantit probablement, pour partie, l'engagement ultérieur de l'adolescent dans un suivi thérapeutique régulier, lui évitant d'avoir à réitérer son geste pour rencontrer quelqu'un qui reconnaisse sa détresse.

Caroline Helfter

PRISE EN CHARGE À L'HÔPITAL : ÉTAT DES LIEUX

A l'initiative de la Fondation de France, Marie Choquet, directrice de recherche à l'Inserm, et Virginie Granboulan, pédopsychiatre au centre hospitalier intercommunal de Créteil, ont étudié, entre 1997 et 1999, la façon dont les jeunes de 12 à 24 ans inclus, accueillis pour une tentative de suicide, sont pris en charge dans neuf centres hospitaliers. Cette étude constitue une première en France (4) . S'agissant des modalités de prise en charge hospitalière des suicidants, un facteur s'avère tout à fait déterminant : leur âge. Si la durée moyenne des séjours est de 4,3 jours, 64 %des moins de 18 ans, mais seulement 26 % des 18-24 ans, sont hospitalisés au moins 3 jours -quels que soient, par ailleurs, la gravité de leur pathologie, leur état psychologique, leur situation familiale et sociale et indépendamment, aussi, de leur sexe et du fait qu'il s'agisse, ou pas, d'une récidive. Les moins de 18 ans ont non seulement six fois plus de chances que leurs aînés de séjourner plus longtemps à l'hôpital, mais aussi trois fois plus de probabilités de se voir désigner une personne référente, qui fasse le lien entre les différents intervenants, et deux fois plus de chances qu'un rendez-vous avec un psychiatre soit pris, depuis l'hôpital, pour qu'ils soient suivis après leur sortie. A cet égard, une durée minimale d'hospitalisation de trois jours et la désignation d'un référent hospitalier représentent des atouts majeurs : chacun de ces deux facteurs multiplie par 2,5 les chances que le jeune soit ultérieurement suivi sur un plan psychologique. Lorsqu'un rendez-vous avec un thérapeute est pris, dès son séjour à l'hôpital, l'adolescent a alors presque quatre fois plus de chances de s'engager ultérieurement dans un suivi ; cinq fois plus quand le praticien hospitalier est lui-même entré en contact avec le psy indiqué. En revanche, il est particulièrement préoccupant de constater qu'en moyenne, un suicidant sur deux ne bénéficie d'aucune prise en charge psychologique à l'issue de son hospitalisation. Ce risque concerne essentiellement les garçons (deux tiers d'entre eux sont dans ce cas, contre 50 % des filles) et il augmente régulièrement avec l'âge des intéressés : les plus de 18 ans sont six fois sur dix dans ce cas, contre 40 % des moins de 16 ans et 50 % des 16-17 ans.

Notes

(1)  Union nationale pour la prévention du suicide : 36, rue de Gergovie - 75014 Paris - Tél. 01 45 45 68 81.

(2)  Pour répertorier et impulser les recherches afférentes à cette question, un programme national de prévention du suicide est conduit par la direction générale de la santé - Rens. : DGS - Dr Gallot - Bureau SP3 - 8, avenue de Ségur - 75350 Paris.

(3)  Organisée le 3 décembre, à Paris, par la Fondation de France : 40, avenue Hoche - 75008 Paris - Tél. 01 44 21 31 00.

(4)  582 jeunes (457 filles et 125 garçons) ont rempli un questionnaire pendant leur séjour à l'hôpital (les praticiens hospitaliers, ainsi qu'un certain nombre de parents, ont également participé à cette enquête), puis 3 et 12 mois après leur sortie. L'enquête a été poursuivie avec ceux qui l'avaient accepté.

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