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Accompagner les proches

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Le centre AFTER, à Paris, a été créé pour venir en aide aux familles et aux proches de toxicodépendants, trop souvent dépassés par ces situations. Que les personnes alcooliques ou toxicomanes soient ou non en traitement.

« Vous avez parfois des proches de dépendants qui sont à un niveau de saturation extrême et appellent pour avoir une adresse pour leur enfant ou leur conjoint. Quand on leur dit que c'est un lieu exclusivement pour eux, c'est parfois un vrai “scoop”. Et pour certains, venir une heure par semaine, c'est un pas énorme. Souvent, ils n'ont pas consacré autant de temps à eux-mêmes depuis des années.  » Pour François-Xavier Rousseau, responsable du centre Accompagnement des familles des toxicodépendants par l'entraide en réseau (AFTER)   (1), ces réactions constituent la meilleure preuve de l'utilité d'une structure dédiée aux proches de toxicodépendants.

Ecouter la souffrance du proche

Ouverte en janvier 1998, cette émanation de l'Association pour l'action humanitaire, fondée par Bernard Kouchner, jette une passerelle entre les différentes formes de dépendances, qu'elles soient liées à l'usage de drogue, d'alcool ou de médicaments. Elle offre un soutien inédit aux parents, conjoints, enfants, amis de dépendants actifs (2), souvent très démunis. Si les structures développant un soutien aux proches existent, elles proposent leurs services à l'entourage des toxicodépendants qu'elles traitent. Mais elles laissent, la plupart du temps, les familles des dépendants non pris en charge à leur sort. De même, note François-Xavier Rousseau, si les médecins généralistes peuvent expliquer à des parents de toxicodépendants actifs, lors d'un premier rendez-vous, quels sont les produits de substitution et la manière de les prendre, ils ne peuvent en aucun cas les suivre régulièrement. « Il existe bien sûr des structures qui font un gros travail de soutien aux parents, mais elles sont dans l'optique du soin au dépendant. Celui-ci reste au centre de la démarche. Au centre AFTER, nous prenons d'abord en compte la souffrance des proches », explique François-Xavier Rousseau. Pour accompagner cette population, peu habituée à être prise en considération et ressentant le plus souvent un fort sentiment d'abandon face au manque d'attention des centres spécialisés, le responsable et les deux psychologues de cette structure ont mis en place des modalités d'accueil et de suivi spécifiques.

Pour le premier contact, la permanence téléphonique a ainsi été préférée à l'accueil direct des personnes. Un « sas » indispensable pour permettre aux proches de dépendants de dépasser leurs craintes et de se recentrer sur leurs propres problèmes. « Quand ces personnes appellent ici, elles sont la plupart du temps complètement “satellisées” autour du problème du dépendant et elles se sont oubliées », relève François-Xavier Rousseau. Le premier appel au centre AFTER est donc généralement effectué dans le but d'aider la personne toxicomane ou alcoolique ; les psychologues profitent alors de ce contact téléphonique pour inciter les proches à revenir à leurs propres préoccupations. « Au départ, souligne Sandra Schenckery, psychologue, ils sont décentrés. Et c'est nous qui allons les amener à un questionnement personnel, à se demander “et nous dans tout ça ?” ». Après un premier entretien d'accueil, visant tout à la fois à recréer un espace de parole pour des personnes peu habituées à être écoutées et à cerner les difficultés rencontrées, un accompagnement au sein d'un groupe de parole ou un suivi individuel peut être proposé.

Dédramatiser lors du travail de groupe

Le contenu pédagogique des premiers groupes de parole a été abandonné au profit d'un travail axé sur l'expérience personnelle de chacun des membres du groupe. L'équipe encadrante a ainsi rapidement supprimé les séances d'information sur l'alcoolisme, la toxicomanie ou encore les produits existants pour s'orienter vers la relation du proche avec la personne en souffrance, pour laisser émerger le vécu des participants et pouvoir travailler sur les phénomènes d'identification. Comme l'explique Sandra Schenckery : « Les proches de dépendants qui suivent les groupes de parole ont vécu généralement des situations similaires et cela va faire écho. La parole prend valeur d'authenticité. » Outre l'effet contenant du groupe, qui offre aux personnes la possibilité de profiter de ce cadre rassurant pour verbaliser une souffrance longtemps tue, le travail collectif permet donc d'entendre plus facilement des paroles extérieures et de dédramatiser le ressenti des situations personnelles. Un contexte qui favorise par là même une réflexion de la famille ou des amis sur le fort sentiment de culpabilité qu'ils ont développé au fil du temps. « Ils sont confrontés à des problèmes de culpabilité, de violence, note François-Xavier Rousseau . Dans leur vie sociale, ils sont souvent très repliés sur eux-mêmes et ont fait le vide autour d'eux parce qu'ils n'osent plus inviter leurs amis, par exemple. »

Parallèlement à ces difficultés, l'équipe soignante doit être attentive aux causes cachées, non dites, de la dépendance et qui peuvent rendre encore plus complexes les relations entre les toxicodépendants et leur entourage. Les psychologues sont ainsi parfois confrontés à des mères ne sachant pas comment apprendre à leur fils toxicomane ou alcoolique quelle est leur vraie filiation ou encore à des histoires d'inceste se répercutant sur la vie du proche et du dépendant. « Il y a souvent quelque chose qui est caché derrière le symptôme de dépendance, comme des cas de maltraitance ou d'inceste, souligne Sandra Schenckery. Mais il peut y avoir aussi une problématique concernant exclusivement le proche, comme une personne qui a vécu quelque chose d'incestueux et qui va rejouer quelque chose de ce passé avec un conjoint toxicomane. » Une façon, expliquent les psychologues du centre AFTER, de maîtriser a posteriori une situation qu'ils ont subie. Certains proches maintiennent même la situation de dépendance, malgré la violence et l'agressivité qui l'accompagnent, afin de conserver un lien qui « s'il est négatif, commente Sandra Schenckery, vaut mieux que pas de lien du tout ». Enfin, la personne en souffrance peut aussi devenir le prétexte qui va permettre à certains membres de sa famille de régler des difficultés qui leur sont propres, comme dans le cas de ce couple qui dissimulait ses problèmes conjugaux derrière ceux de leur fils de 35 ans, pourtant sorti d'affaire. « Les parents mettaient en avant la toxicomanie de leur enfant alors qu'il n'y avait plus de problème de ce côté là. Ça ne relevait plus de notre travail et nous les avons donc orientés vers une thérapie de couple », constate Sandra Schenckery.

Ne pas entretenir la dépendance de l'autre

Le groupe de parole n'est pourtant pas adapté à tous les proches qui poussent la porte de la structure et l'entretien d'accueil permet à l'équipe soignante de déterminer la forme d'accompagnement la plus adaptée. Pas question, par exemple, de mettre en danger un groupe constitué par l'arrivée d'un proche dont les difficultés ne peuvent être contenues par l'ensemble des personnes. « C'est toujours délicat d'introduire une personne dans le groupe, car il peut le vivre de façon intrusive, souligne Marc Henry, psychologue .Au-delà de ce qu'une personne évoque de son problème de proche de dépendant, on peut repérer une dépression importante qui va faire exploser le groupe. Et, ce dernier n'est pas là pour faire du soin face à une pathologie de cet ordre. » De son côté, l'accompagnement individuel trouve lui aussi ses limites, notamment lorsqu'une psychothérapie a été engagée. Difficile en effet d'entamer un travail individuel avec les personnes sans risquer d'interférer avec les problématiques soulevées au sein d'une thérapie extérieure. « Nous sommes très vigilants, car une personne qui va par exemple aborder une question particulièrement difficile avec son “psy” peut avoir tendance à rompre le lien et à venir vers nous pour chercher l'autorisation de dépasser ce problème », explique Sandra Schenckery. Sous réserve de l'information, voire de l'accord du psychothérapeute suivant la personne, la participation à un travail de groupe, plus complémentaire que l'entretien individuel, sera alors préconisée. Une autre limite rencontrée par l'équipe du centre AFTER réside dans l'attente chez certains d'une « solution miracle ».

Compte tenu de la complexité de ces situations et des relations entre les proches et les dépendants, l'équipe appréhende la notion de résultat avec beaucoup de circonspection. Ainsi, la simple démarche qui conduit un proche à s'adresser au centre peut être considérée comme un premier résultat. L'idée de « mouvement » pour des personnes, parfois enfermées dans leurs difficultés depuis des années, peut déjà être interprétée comme une évolution positive. Un proche qui décide d'engager une thérapie ou un autre capable d'envisager une certaine autonomisation du dépendant, voire la séparation avec celui-ci, sont autant de signes d'un résultat encourageant. « Une mère très possessive, qui va étouffer son enfant toxicomane, pourra prendre conscience de cette situation grâce au travail entamé ici et accepter plus facilement la séparation », affirme Sandra Schenckery.

Reste qu'au-delà de ces appréciations prudentes, les chiffres permettent d'évaluer l'importance du rôle tenu actuellement par le centre AFTER : lors de sa deuxième année de fonctionnement, la structure a reçu en effet deux fois plus de personnes qu'en 1998. Une évolution due notamment à la patiente mise en place d'un travail en réseau. Ce dernier permet au centre, d'une part, d'orienter les personnes dont les problèmes -conjugaux, psychiatriques... - ne relèvent pas uniquement de la dépendance du proche, vers des structures plus adaptées, et, d'autre part, de disposer de relais auprès des différentes institutions ne pouvant s'occuper elles-mêmes des familles de dépendants. « Nous étions un peu seuls au début. Or,  aujourd'hui, note avec satisfaction François-Xavier Rousseau, on constate une vraie reconnaissance. »

Henri Cormier

UNE AIDE AUX PARENTS ET CONJOINTS

Le centre AFTER propose aux proches de dépendants actifs ou suivis, des groupes d'entraide moyennant une participation - non obligatoire, suivant les moyens des personnes - de 50 F. Les groupes de parole sont animés par deux psychologues et réunissent au maximum dix personnes pour une durée de deux heures. Le centre propose également des entretiens individuels, en moyenne de 45 minutes, selon une fréquence hebdomadaire ou bimensuelle. Lors de la première année d'activité (1998), 128 personnes ont pris contact avec le centre AFTER et 74 d'entre elles ont été, accueillies, dont 82 % de femmes.40 % des personnes reçues étaient des parents du toxicodépendant, 32 % des conjoints et 12 % des frères ou des sœurs. Les produits les plus souvent cités par les proches ont été, par ordre d'importance : l'alcool, l'héroïne et le cannabis.

Notes

(1)  Centre AFTER : 4, place de Valois - 75001 Paris - Tél. 01 55 35 36 47.

(2)  Près de 80 % des toxicodépendants dont les proches consultent le centre ne sont pas dans un système de soins.

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