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L'urgence d'une rénovation

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La réforme des tutelles, espérée de longue date par l'ensemble des acteurs, devrait intervenir cette année. Nombreuses sont, en effet, les lacunes du système : un nombre de mesures qui explose, des libertés individuelles parfois négligées, un financement inégalitaire...

Septembre 1997 : rapport du cabinet FORS, commandé par le ministère des Affaires sociales (1). Novembre 1998 : rapport des inspections générales des affaires sociales, des services judiciaires et des finances (2). Novembre 1999 : rapport d'étape du groupe interministériel présidé par Jean Favard, conseiller à la Cour de cassation. Les pouvoirs publics ne cessent d'ausculter les inadaptations, voire les dérives, du système français de protection juridique des majeurs. A tel point que, d'état des lieux en état des lieux, on désespérait de voir un jour la concrétisation d'une réforme. Pourtant, Elisabeth Guigou et Dominique Gillot sont venues l'affirmer haut et fort lors des récentes assises de la tutelle (3), l'année 2000 constituera une étape importante dans la modernisation des tutelles, curatelles et tutelles aux prestations sociales. Laquelle s'appuiera sur les conclusions définitives de la commission Favard, attendues vers la fin du premier trimestre.

Les enjeux de cette réforme sont loin d'être marginaux. 500 000 personnes sont concernées par les mesures de protection,  soit 1 % de la population des plus de 18 ans, une proportion inégalée en Europe. Et la tendance est à la hausse, en raison, notamment, du vieillissement de la population et de l'érosion des solidarités familiales. Ainsi, le nombre des tutelles d'Etat a augmenté, en moyenne, de près de 17 % par an entre 1992 et 1997. Mais, plus fondamentalement, rappelle Monique Sassier, directrice générale adjointe de l'UNAF et rapporteur de ces assises, « la protection des majeurs est un formidable défi pour notre société, soucieuse d'affirmer, de promouvoir et de restaurer la liberté, la dignité, la responsabilité comme des principes fondateurs pour chacun ».

La loi du 3 janvier 1968 sur les tutelles et curatelles aurait-elle occulté ces principes ?Considérée très largement comme un excellent instrument juridique qu'il serait dangereux de démanteler, cette loi affirme au contraire, en rupture avec les textes antérieurs, le souci de protéger, outre les biens de la personne, ses droits fondamentaux. La nécessité de la mesure - c'est-à-dire l'impossibilité de pourvoir autrement aux intérêts de l'adulte -, son caractère aussi provisoire que possible, son adaptation à chaque individu, tout cela était déjà contenu dans la loi. « Ces principes étant posés, unanimement reconnus, nous sommes loin de cet idéal », reconnaît cependant la ministre de la Justice, pour qui « réaffirmer le cadre juridique initial, parfois perdu de vue » s'avère indispensable. Au cours de ces 30 dernières années, la protection du patrimoine a trop souvent fait passer l'individu, ses souhaits, ses espoirs, ses attentes, au second plan.

Cette exigence de « placer la personne, avant même la sauvegarde de ses biens, au cœur de toute évolution du dispositif », partagée, comme l'indique le pré-rapport Favard, par les principaux acteurs de la tutelle, n'est pas seulement hexagonale. Une recommandation du Conseil de l'Europe, en février dernier (4), mettait en avant la prééminence du « bien-être » de l'individu. Autre point phare du texte, la préservation maximale de la capacité. « Le droit de vote, la possibilité de se marier, de consentir à un traitement médical, d'exercer son autorité parentale... doivent faire l'objet d'une appréciation fine », explique Nathalie Riomet, magistrate, et l'une des rédactrices de cette recommandation. L'esprit de ce texte, à l'évidence, reflète l'évolution du regard que les sociétés occidentales posent sur le public des mesures de protection. Sur les personnes handicapées mentales, par exemple, qui ont acquis une plus grande autonomie sociale et professionnelle.

Vers une quatrième mesure ?

Au regard de ces changements, les manquements constatés, en France, dans l'application de la loi ne sont que plus insupportables. Les certificats médicaux, trop souvent, ne sont pas assez circonstanciés, alors qu'ils doivent établir en quoi l'altération des facultés mentales ou corporelles entraîne le besoin d'une protection juridique. En outre, un tiers des majeurs environ ne sont pas entendus par le juge au moment de sa décision, alors que seule une contre-indication médicale peut faire renoncer à cette audition. « Or, c'est une question essentielle pour le respect de la dignité », souligne Jean Favard , qui préconise des « pratiques procédurales en accord avec les principes fondateurs ».

Cela, toutefois, ne suffit pas, estiment les associations tutélaires, pour qui il convient de créer une nouvelle mesure destinée à combler les carences du système. De plus en plus de tutelles ou curatelles, en effet, sont motivées par des difficultés économiques et sociales. L'étude sur les majeurs protégés dévoilée lors de ces assises (5) évalue ce public, situé « à l'intersection des pathologies mentales et des problématiques sociales », à 20 % des adultes suivis par les associations. Pour eux, la tutelle constitue une mesure sociale de dernier recours. Mais ils auraient, dans leur majorité, davantage besoin d'un accompagnement socio-éducatif que d'une protection juridique privative de droits (6). Au contraire de la tutelle et de la curatelle, la tutelle aux prestations sociales adultes (TPSA) -régie par la loi du 18 octobre 1966 et intégrée au code de la sécurité sociale- prévoit un tel accompagnement dans les actes de la vie quotidienne, le majeur devant être associé à la construction d'un projet de vie. Elle ne suspend, de plus, aucun droit. Mais elle est réservée à la gestion de certains minima sociaux (7). Les associations proposent donc d'instaurer une sorte de TPSA élargie - mais incluse, comme les tutelles et les curatelles, dans le code civil-, un « conseil patrimonial et social », qui « imposerait le caractère éducatif de l'intervention tout en permettant de gérer l'ensemble des prestations de la personne protégée sans la priver des droits civiques ».

Protéger la sphère intime

Tout le monde n'est pas convaincu de la nécessité d'une nouvelle mesure. Jean Favard se dit « méfiant », estimant, en substance, que chaque disposition actuelle pourrait comporter un volet « social et éducatif ». Et que certaines des mesures demeurent sous-employées, à l'image de la curatelle allégée, qui permet au majeur de percevoir ses revenus et d'effectuer seul nombre d'actes juridiques. D'autres encore, s'interrogent sur l'opportunité d'inscrire dans le code civil, sous quelque forme que ce soit, la notion même d' « éducation des adultes ». « Jusqu'où va ce devoir d'éducation sans empiéter sur la sphère d'intimité ? », s'interroge Catherine Chadelat, sous-directrice de la législation civile, de la nationalité et de la procédure au ministère de la Justice.

La question du contrôle de l'entrée dans les mesures apparaît, en effet, cruciale dans la perspective d'une réforme. Pour éviter de « judiciariser sans nécessité des problèmes sociétaux », la commission Favard propose l'instauration, en amont de toute décision, d'une évaluation médico-sociale approfondie. Elle permettrait de préciser la situation de l'intéressé, ses conditions de vie économiques et sociales. Ensuite, les équipes pluridisciplinaires chargées de la réaliser prendraient, ou non, la responsabilité de saisir le magistrat d'une demande de protection. Les juges des tutelles étant dépourvus de moyens d'investigation propres, ils disposeraient alors d'une information plus complète, garantissant davantage la nécessité des mesures. Car actuellement, « le juge reçoit des informations seulement de personnes ayant pour perspective d'obtenir une mesure :travailleurs sociaux, médecins… », rappelle Thierry Verheyde, président du tribunal d'instance de Roubaix. Cette évaluation constituerait, en outre, un premier niveau de régulation, susceptible d'enrayer l'augmentation des mesures, et de dégager des moyens pour leur révision périodique et systématique, aujourd'hui aléatoire. Selon Jean Favard, elle aurait aussi le mérite d'affiner l'appréciation portée sur la capacité de la famille à remplir pleinement sa mission de protection. Malgré la priorité donnée à la gestion familiale des mesures par la loi de 1968, seulement la moitié d'entre elles environ en relèvent, les autres étant confiées soit à un gérant, par exemple un agent administratif de l'établissement de soins, soit à l'Etat, qui délègue cette mission aux associations.

Les considérations sonnantes et trébuchantes ne sont pas absentes de ces réflexions, tant sur le filtre d'une évaluation préalable que sur la préférence familiale, qui n'induit aucune dépense pour l'Etat. Le coût total des tutelles adultes est estimé, en France, à 1,15 milliard de francs, soit 0,015 % du PIB. « Petit budget parmi les budgets sociaux, celui des tutelles est devenu un point de mire du fait de son taux de croissance annuel à deux chiffres », remarque Henri Noguès. Une situation que l'économiste attribue au fait que « dès le départ, on a ignoré l'intendance et la logistique. Sans régulation, le système de financement s'est développé au gré des acteurs concernés. » D'où des modes de financement jugés à l'unanimité incohérents, voire inégalitaires. « Les moyens dont dispose le juge pour répondre à une même problématique sont fonction, pour partie, de la nature des ressources perçues par la personne », souligne le pré-rapport Favard : TPSA pour les titulaires de minima sociaux, à la charge des organismes versant ces prestations ; tutelle ou curatelle pour les personnes dont les ressources sont inexistantes ou sont d'une autre nature. Pénalisées par une incapacité, ces dernières, en prime, doivent participer au paiement de leur mesure. La tutelle en gérance, quant à elle, est entièrement à la charge du majeur.

Harmoniser les prix

Les niveaux de financement ne sont pas plus homogènes, variant selon les départements et, surtout, selon la nature de la mesure. La rémunération des TPSA va de 1 000 à 1 300 F par mois, en moyenne, mais le montant maximal de celles versées aux associations pour les tutelles et curatelles d'Etat est, actuellement, de 720 F. Cette disparité a des effets pervers. Les « doubles mesures », associant, pour une même personne, TPSA et curatelle, se sont en effet multipliées ces dernières années, souvent motivées essentiellement par le souci d'apporter aux associations une rétribution correcte. « C'est une monstruosité juridique, mais le financement est d'une telle complexité qu'une réponse d'astuce s'est construite », reconnaît Jean Favard.

Rien d'étonnant, donc, à ce que les associations réclament une uniformisation du financement, avec un seul organisme payeur, de préférence l'Etat. Ainsi qu'une conférence annuelle budgétaire qui définisse à l'avance, et non en fin d'année comme aujourd'hui, le prix du mois/tutelle. Surtout, elles souhaitent une harmonisation de ce montant, à un niveau proche de celui des TPSA, soit 1 200 F par mois et par mesure. Une rémunération à la hauteur, enfin, du coût réel des mesures. Depuis des années, ne serait-ce que parce que les autres intervenants sociaux ont tendance à se désengager lorsqu'une mesure de protection est prononcée, les délégués à la tutelle effectuent, dans l'ombre, sans reconnaissance, un accompagnement socio-éducatif, parfois intense. Ils espèrent à présent une clarification de leur mission, par l'inscription de ce travail dans les textes, sous quelque forme que ce soit, et une rétribution adaptée. C'est à cette aune que les acteurs de terrain jugeront de la validité de la réforme.

Céline Gargoly

Notes

(1)  Voir ASH n° 2037 du 19-09-97.

(2)  Voir ASH n° 2094 du 20-11-98.

(3)  Organisées du 16 au 18 décembre à Paris par l'Union nationale des associations familiales, l'Union nationale des associations de parents et d'amis de personnes handicapées mentales, la Fédération nationale des associations tutélaires, l'Union nationale des associations de sauvegarde de l'enfance et de l'adolescence, l'Association nationale des gérants de tutelles, la Fédération Croix-Marine. Contact : UNAF : 28, place Saint-Georges - 75009 Paris - Tél. 01 49 95 36 00.

(4)  Recommandation n° R99.4 du 23-02-99.

(5)  Voir ASH n° 2147 du 24-12-99.

(6)  La personne sous tutelle, par exemple, perd ses droits civiques.

(7)  Allocation aux adultes handicapés, revenu minimum d'insertion, avantages vieillesse, pension d'invalidité_

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