Dévoilé dans la presse avant sa sortie en librairie, prévue aujourd'hui, le « carnet de bord » (1) de Véronique Vasseur, médecin-chef de la prison parisienne de la Santé, a rouvert le débat sur le système carcéral français et les conditions de vie en détention. Hygiène déplorable, violence au quotidien, promiscuité sexuelle : le médecin décrit, dans cet ouvrage, une prison « quasi moyenâgeuse » où se déroulent des « horreurs quotidiennes ».
La chancellerie au pied du mur
La publication, le 14 janvier, de larges extraits dans Le Monde, a déclenché une vive réaction de la chancellerie : celle-ci a invité la presse à visiter la plus célèbre prison de France (1 202 détenus), expliquant dans un communiqué que « ces faits [ceux du livre] , à supposer avérés, doivent être relativisés au regard des améliorations qui ont été accomplies ». Mais la chancellerie a néanmoins reconnu que la Santé est un « établissement vétuste, ne répondant plus aux normes d'accueil et d'hébergement que notre pays est en droit d'attendre ». La ministre de la Justice, Elisabeth Guigou, est allée encore plus loin : elle est convenue, le 16 janvier, au « Grand Jury RTL - Le Monde » que « la situation dans beaucoup de nos prisons n'est pas digne d'un pays comme le nôtre » et a précisé que « même dans les prisons neuves […], la détention pose des problèmes très graves ». Telles les violences entre détenus, « y compris sexuelles », les suicides, les « problèmes de racket sur les personnes indigentes ou faibles ». Cependant, la ministre a rappelé qu'un programme de rénovation des cinq plus grands établissements pénitentiaires (dont la Santé), de celle du parc classique des prisons, et de construction de sept nouveaux établissements a été lancé (2). Mais, a-t-elle précisé, « en plus de ce programme de 5 milliards et demi de francs, il faudrait arriver à trouver 10 milliards de francs ».
Cette polémique, qui intervient alors que sont attendues, le 31 janvier, les conclusions de la commission Canivet chargée de faire des propositions pour améliorer le contrôle extérieur des prisons (3), n'a cessé de s'amplifier toute la semaine. « Le problème, c'est la loi du silence. La prise de parole doit se généraliser. Espérons que la commission Canivet sera à la hauteur et que la ministre aura le courage politique de l'imposer », expliquait l'Observatoire international des prisons (OIP) où l'on estime qu'un certain nombre de prisons françaises sont « à fermer d'urgence si on fait le choix de la dignité ». Les prisons françaises « restent […] un lieu d'inhumanité, même si depuis quelques années d'incontestables progrès ont été accomplis » a déclaré, pour sa part, la Ligue des droits de l'Homme, qui a rappelé l'urgence de « mettre en place un organisme indépendant chargé de la surveillance et du contrôle de l'univers carcéral ».
Un déficit de moyens
Le Syndicat national de l'ensemble des personnels de l'administration pénitentiaire (SNEPAP-FEN), majoritaire chez les personnels sociaux et les conseillers d'insertion et de probation, a apporté également son soutien à la démarche de Véronique Vasseur, tout en souhaitant élargir le débat . « Il faut améliorer la prise en charge médicale des détenus, c'est certain. Mais il ne faut pas oublier la prise en charge socio-éducative. En lançant la réforme des services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP), l'administration pénitentiaire a exprimé sa volonté d'améliorer cette dernière. Mais les moyens ne suivent pas », a déploré Francis Marini, secrétaire général du SNEPAP-FEN (4).
Les parlementaires sont également montés au créneau. Quatre députés de Démocratie libérale ont demandé la création d'une commission d'enquête pour « faire la lumière sur les conditions sanitaires du système pénitentiaire français ». Même préoccupation au Sénat où un socialiste, cette fois, l'ancien garde des Sceaux, Robert Badinter, a proposé la création d'une commission d'enquête sur les conditions de détention dans toutes les prisons françaises.
(1) Médecin-chef à la prison de la Santé, Véronique Vasseur - Ed. Le Cherche Midi éditeur - 98 F.
(2) Voir ASH n° 2129 du 20-08-99.
(3) Voir ASH n° 2129 du 20-08-99.
(4) Voir ASH n° 2140 du 5-11-99.