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Pour ou contre une allocation universelle ?

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A la place des systèmes de protection sociale existants, certains plaident pour des « droits de tirage sociaux » (congés, formation, retraite) inscrits sur des comptes individuels progressivement acquis par l'exercice d'un travail.

En ces périodes de grands bouleversements et d'incertitudes sur le sens et la pérennité des tendances observées en matière de chômage, notre « imaginaire » quant à l'avenir des politiques sociales s'alimente à deux courants très différents.

Pour lutter efficacement contre la pauvreté, beaucoup mettent leurs espoirs dans l'institution d'un revenu minimum universel, idée qui correspond à des conceptions très différentes : allocation identique, versée à tout le monde sans exception, sur une base individuelle et sans condition de ressources ; revenu de « citoyenneté » permettant de développer des conditions minimales de liberté face à des emplois trop rares ou à des conditions de travail et de rémunérations dégradées ; reprise par l'Etat de l'ensemble de la redistribution sociale par une allocation qui concilie efficacité économique et équité sociale et se substitue à l'ensemble des prestations sociales existantes. La simplicité de cette solution est séduisante. Finis la complexité, les lacunes, les retards, la multiplicité des guichets, la surcharge du travail social par des démarches administratives en tout genre. Mais ce filet minimum généralisé se substituerait, au moins en partie, à la protection sociale assurantielle. Or, on sait le rôle que joue celle-ci pour maintenir une partie de la population au-dessus du seuil de pauvreté. En ce cas, le minimum sera-t-il porté et maintenu à un niveau décent ? Ne sera-t-il pas mal supporté, à la longue, par ceux qui n'en bénéficieront pas et qui risquent de vouloir en alléger la charge ? Les mêmes ne tendront-ils pas à réclamer que les personnes titulaires de minima et en mesure d'exercer un emploi soient soumises à un système de workfare généralisé, qui serait contraire à l'utopie même qui anime certains projets ? La société verra-t-elle coexister durablement, sans violences, une population qualifiée, intégrée, ouverte à l'échange international, au monde nouveau, et une autre « au minimum », dont la fragilisation professionnelle s'accompagne d'un déclin du sentiment d'espérance, d'une incapacité ressentie de pouvoir agir sur son existence individuelle et sur l'avenir collectif ?

A la réflexion, cette perspective comporte des risques considérables, même si des forces puissantes, qui tiennent aux conditions mêmes du monde d'aujourd'hui, peuvent conduire à sa mise en place, même si les inconvénients ci-dessus évoqués peuvent être combattus efficacement par des modalités appropriées de mise en place.

Une autre perspective existe, développée depuis quelques années par le juriste Alain Supiot, et discutée au sein de groupes de travail du Commissariat du plan. Elle consiste à refonder nos systèmes de protection à partir des transformations profondes du travail qui se produisent sous nos yeux. Si le travail devient, en règle générale, beaucoup plus qualifié (ce qui donne à l'éducation, à la formation, à l'entretien des compétences, une valeur cardinale), il est aussi plus mobile, fractionné, avec de fréquentes interruptions ; les aspirations présentes le conduisent à devenir « pluriel »  : c'est-à-dire à dépasser l'emploi pour une « activité » plus large, comportant, concomitamment ou successivement, des engagements citoyens, associatifs, familiaux (aux périodes adaptées de l'existence, lorsque les enfants en ont besoin, lorsqu'une maladie grave affecte un proche), des congés formation, des

congés sabbatiques... L'objectif serait alors de reconstruire des sécurités susceptibles de prendre en compte ces évolutions et de rendre le maximum de personnes capables de les affronter : c'est-à-dire maintenir les personnes, aux différents moments de leur vie, dans un « état professionnel » qui garantisse le maintien et la mise à jour de leurs capacités de travail au sens large. Seraient alors instaurés, à la place des systèmes de protection sociale existants, des « droits de tirage sociaux » (congés, formation, retraite) inscrits sur des comptes individuels progressivement acquis par l'exercice d'un travail, celui-ci s'étendant, bien au-delà du travail salarié,

au travail indépendant, bénévole, au travail d'utilité publique, au temps de formation continue acquis. La « provision » pourrait être alimentée par l'Etat, les collectivités territoriales, les organismes de protection sociale, les individus eux-mêmes. A côté de ces droits sociaux redéfinis, existeraient des droits universels garantis indépendamment du travail (soins de santé, revenu minimum d'insertion). Une telle évolution, plus intégrative, plus solidaire, serait susceptible d'éviter la transformation de l'Etat social en un Etat d'assistance, voire de charité.

Quelles que soient nos conceptions en la matière, il est important de connaître ces travaux et d'en débattre. Il ne faut laisser, ni au déterminisme apparent de certaines évolutions, ni aux discussions d'experts, le soin de forger la société où nous voulons vivre.

Par Marie-Thérèse Join-Lambert Inspectrice générale des affaires sociales

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