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Une justice adulte pour les jeunes délinquants ?

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Ce titre, sur lequel il m'a été demandé de réagir, est provocateur. Il évoque l'idée d'une justice aussi infantile que les populations « jeunes » (mineures ou majeures) qu'elle traite et qui s'emploierait actuellement à une entreprise de maturation. La médiation et la réparation, expérimentées depuis une quinzaine d'années, mais institutionnalisées depuis une loi du 4 janvier 1993, en seraient les instruments.

Mais de quelle justice parle-t-on ? De la justice des mineurs qui s'efforce depuis 1945 d'apporter discrètement des réponses éducatives aux transgressions adolescentes ? De la justice des majeurs qui depuis deux siècles distribue cérémonieusement des sanctions à somme nulle d'où tous, la victime niée, l'auteur méprisé, la collectivité mise à l'écart, sortent perdants ? Les deux sont questionnées. La bienveillance traditionnelle de la première est mise à mal par une génération de rebelles, mal socialisés, réfractaires aux interventions éducatives classiques, la brutalité aveugle de la seconde dégrade les individus et attise les conflits au lieu de les apaiser. Toutes les réponses judiciaires sont donc à la recherche d'un second souffle, d'un nouveau modèle plus démocratique qui permette à la fois de prévenir la récidive, de réparer les victimes et la collectivité.

Sans pour autant sombrer dans un vertige répressif à l'américaine, nombre de criminologues et d'acteurs judiciaires sont conscients qu'il faut en finir avec la clémence traditionnelle de nos parquets et de nos juridictions, distribuant selon leurs places, une multitude de classements sans suite, d'admonestations, de sursis simples ou avec mise à l'épreuve. Autant de brevets d'impunité pour de jeunes esprits qui en retirent un sentiment de toute-puissance et qui poussent certains d'entre eux à aller chercher toujours plus loin, toujours plus fort, le coup d'arrêt que leur inconscient implore.

Désormais à chaque transgression sa réponse. Une réponse pas forcément sévère, répressive, mais une réponse structurante et une réponse rapide. Structurante pour prendre un sens dans l'histoire du jeune, rapide pour être bien comprise quand les effets du « présentisme » rendent aveugles à tout ce qui ne s'inscrit pas dans l'ici et le maintenant.

Cette stratégie n'est pas sans danger. Quand les pouvoirs des parquets deviennent plus importants (ce sont eux qui orientent massivement vers la réparation et toujours vers la médiation), les libertés individuelles sont menacées. Quand les réponses se font trop rapides, les droits de la défense sont escamotés et les vertus de la réflexion sacrifiées sur l'autel de l'urgence.

Vouloir « faire réparation »

La réparation et la médiation présentent l'avantage de pouvoir être mises en œuvre rapidement et de prendre ensuite leur temps. Mais attention, pas de confusion. Il ne s'agit pas de faire du « rappel à la loi », de froncer les sourcils, d'agiter son doigt en guise de menace, de faire la grosse voix pour prodiguer une morale de bazar. Les délégués du procureur se chargent de ces besognes. La médiation et la réparation jouent ailleurs, dans la cour des grands.

Les deux mesures ont pour commun dénominateur de vouloir « faire réparation ». Il ne faut pas entendre par là une simple réparation matérielle, mais une réparation symbolique, intellectuelle et affective qui concerne à la fois le plaignant, le mis en cause et la collectivité. Dans le système français la réparation est conçue principalement comme un travail éducatif centré sur le mis en cause mineur, mais nous sommes le seul pays occidental à faire cette distinction. Partout, on ne parle que de médiation. Il s'agit d'un processus consensuel, l'adhésion est un préalable obligé, qui vise, sous le contrôle et avec l'aide d'un tiers appelé médiateur, à chercher des solutions au conflit qui oppose deux ou plusieurs personnes ou groupes. Le médiateur est impartial et indépendant, n'a pas à dire qui a raison et qui a tort. Il est simplement le catalyseur et le garant méthodologique d'un processus de communication. L'accord éventuel n'est jamais le fait d'un médiateur, mais celui des intéressés qui en sont les sujets actifs.

Au lieu d'attiser l'adversité, d'accentuer les différences, comme le fait la justice, la médiation encourage le dialogue et l'entente mutuelle entre les opposants d'un conflit, recherche leurs points communs, organise une coopération. Les relations entre plaignant et mis en cause sont primordiales. Ils ont une responsabilité dans la résolution du problème, car l'Etat ne détient plus le monopole de la réponse pénale et le procès n'est plus contrôlé par des professionnels. Cette responsabilité est mise en œuvre par la participation du plaignant et du mis en cause à la recherche d'une solution qui leur convienne (médiation) et dans le choix de réponses qui s'efforcent de privilégier la réalisation d'un « bien » en réponse au « mal » causé (réparation). Plutôt que de distribuer des sanctions à somme nulle qui ne satisfont personne (logique perdant/perdant), le but est de promouvoir des réponses judiciaires assurant la réconciliation des opposants (logique gagnant/gagnant). L'accent est alors porté sur le futur et non pas sur le passé.

La médiation et, dans une moindre mesure, la réparation représentent probablement l'amorce d'une révolution culturelle chez tous les acteurs publics ou privés qui collaborent à l'œuvre de justice. Mais leur instrumentalisation par certains parquets peu sensibles à la philosophie politique qui les porte, les tentations toujours sous-jacentes dans nos sociétés en recomposition, d'une pénalisation des comportements sociaux, rendent fragile leur assise. Il n'est jamais facile de devenir adulte.

Par Jacques Faget Chercheur au CNRS

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