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Un nouveau cap pour les plates-formes d'accueil

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En apportant une réponse globale et collective aux nouveaux arrivants en France, les plates-formes d'accueil constituent un réel progrès. Reste à les articuler avec les dispositifs de droit commun.

« S'installer en France ne constitue pas seulement un problème administratif, mais c'est aussi une aventure humaine pour ceux qui ont fait le choix de quitter leur pays [...]et qui connaissent une phase de déracinement souvent douloureuse. L'action publique que nous menons a, certes, pour objectif de réduire ce délai permettant de retrouver des racines et des repères, mais doit aussi avoir pour but de favoriser la rencontre la plus large et la plus immédiate avec les populations d'accueil », notait Hubert Valade, sous-directeur des communautés immigrées à la direction de la population et des migrations (DPM), lors d'un récent colloque sur l'accueil des étrangers en France (1). Cette rencontre a permis de tirer les premiers enseignements de la mise en œuvre des plates-formes d'accueil des familles étrangères rejoignantes (2). Présentes dans 12 départements, ces structures, créées dans le sillage des plans départementaux d'accueil, institués par la circulaire du 12 mars 1993, doivent permettre de recevoir, dans un lieu unique, les conjoints de Français et les personnes arrivées dans le cadre du regroupement familial « migrants » ou « réfugiés » et d'apporter une réponse globale et partenariale à leurs premiers besoins.

Accueillir dans un lieu unique

Outre la direction départementale des affaires sanitaires et sociales  (DDASS), responsable du pilotage, et l'Office des migrations internationales  (OMI), maître d'œuvre, les plates-formes réunissent des auditeurs sociaux de l'OMI, en charge, notamment, de l'entretien individuel, et les assistants sociaux du Service social d'aide aux émigrants  (SSAE) et de l'Association de service social et familial aux migrants (ASSFAM), pour les bilans sociaux. Des représentants du Fonds d'action sociale pour les travailleurs immigrés et leurs familles  (FAS) interviennent, en particulier dans l'organisation des évaluations linguistiques des personnes accueillies.

Première constatation, les divers partenaires engagés dans le fonctionnement des plates-formes ont été rapidement confrontés à certaines pesanteurs. « Dans le Rhône, c'est 105 heures de réunion sur un an, explique Anne Marty, chef de service à la DDASS du Rhône. En outre, il faut très vite résoudre le point de blocage que constituent les effets concurrentiels entre organismes. » Si la grande majorité des observateurs reconnaissent les progrès apportés par ce dispositif et estiment que l'intérêt collectif l'emporte finalement sur les enjeux particuliers, nombre d'entre eux mesurent également les difficultés inhérentes aux nouvelles pratiques qu'il suscite. Pour Françoise Enel, consultante chargée de l'évaluation des deux premières structures, dans le Rhône et la Seine-Saint-Denis, les plates-formes constituent des « nœuds de paradoxes ».  « On constate, par exemple, que les personnes jugent satisfaisantes les relations entre les différents opérateurs, tandis qu'on voit apparaître, en même temps, une série de mécanismes qui tendent à pénaliser ce partenariat. » Ce sont, par exemple, les carences dans le fonctionnement du pilotage, le poids des logiques financières ou encore les pesanteurs du passé, pour les services qui possédaient déjà des prérogatives et des savoir-faire dans le domaine de l'accueil.

Redéfinition des zones d'intervention

Il a donc fallu déterminer précisément le rôle de chacun, en particulier entre les auditeurs sociaux et les travailleurs sociaux. Forts de leur savoir-faire et des outils développés avant la création des plates-formes d'accueil, les services sociaux spécialisés ont ainsi été confrontés, au premier chef, par cette redéfinition des interventions de chacun. Avec ce nouveau dispositif, ce sont les auditeurs sociaux qui reçoivent les familles et les orientent ensuite, si nécessaire, vers les professionnels de l'action sociale. Ces derniers devront déceler les besoins d'accompagnement et préparer les relais avec les structures locales.

« La clarification des rôles des auditeurs sociaux et des assistants sociaux a nécessité une reconnaissance mutuelle, qui s'est faite progressivement en travaillant les articulations entre les uns et les autres, explique Chantal Henocque, directrice adjointe de l'ASSFAM. Les assistants sociaux ont, par exemple, trouvé tout naturellement leur place dans la gestion de l'attente. Les plates-formes génèrent en effet un timing complexe des différentes étapes et cette gestion est quelque chose de lourd. »

La place des formations linguistiques, proposées après le bilan effectué au sein des plates-formes d'accueil, a également suscité de nombreuses questions. Henry Dardel, délégué régional (PACA) du FAS, a tenu à rappeler les priorités des démarches entamées par les étrangers arrivant en France : « Il ne faut pas oublier, quand même, que la génération précédente s'est intégrée dans notre pays essentiellement par le travail, la connaissance de la langue venant par la suite. » Si la maîtrise de la langue demeure bien entendu un objectif majeur, pas question néanmoins de répondre à une demande d'emploi par une offre d'apprentissage linguistique.

Développer des outils d'accueil appropriés

Les premières expériences, notamment dans le Rhône, confirment ce clivage entre les préoccupations premières des arrivants et la volonté des partenaires engagés dans le dispositif d'inclure, dès l'accueil, une offre de formation en français. Comme l'explique Anne Marty : « Nous sommes un peu plus dubitatifs en ce qui concerne la formation linguistique. En effet, peu de personnes, finalement, restent dans ces parcours de formation.  » Pour des raisons compréhensibles, souligne la chef de service à la DDASS du Rhône, qui évoque la priorité donnée à la recherche d'emploi, les délais d'attente pour intégrer un organisme de formation, l'absence de rémunération ou encore le coût des transports.

Ces interrogations sur les outils les plus appropriés pour augmenter, dès l'accueil, les chances d'une bonne intégration tiennent une large part dans les préoccupations des acteurs, comme l'illustrent les travaux menés par Ginette Francequin, maître de conférence au CNAM, qui s'occupe, depuis plusieurs années, de l'intégration des enfants de migrants. « Nous nous sommes également demandé comment accueillir les jeunes, avant qu'ils n'entrent au collège, au lycée ou avant qu'ils ne regagnent les missions locales, les cycles d'insertion professionnelle par alternance ou n'obtiennent une formation professionnelle, lorsqu'ils arrivent de l'étranger. Les jeunes de 16 à 25 ans que nous avons rencontrés ont de gros problèmes psychologiques, nés d'un sentiment d'abandon, de perte de repères, d'i dentité. [...] Et ils avaien t du mal à s'inv estir pour apprendre. » Ginette Francequin a aujourd'hui développé des outils permettant d'évaluer, du cours élémentaire au niveau 3e, et ce dans 20 langues différentes, les connaissances des enfants de migrants.

Mais l'expérience nouvelle de ces plates- formes a surtout mis en lumière les difficultés rencontrées pour ajuster les dispositifs d'accueil avec les instruments utilisés par les collectivités territoriales. Laurent Le Gozhi, maire adjoint de Nanterre, a ainsi cité l'exemple d'Ali. Après son départ d'Algérie, en 1992, cet informaticien de 45 ans a passé huit ans en France avant de pouvoir faire venir sa famille et n'a dû sa régularisation qu'à plusieurs interventions individuelles et à l'appui d'associations communautaires. « L'absence, dans cet exemple, de lien institutionnel entre l'OMI, la préfecture et les services locaux chargés d'appliquer cette politique de l'Etat est bien réelle », note Laurent Le Gozhi.

Rapidement, les plates-formes ont été confrontées à cette difficile question des modalités de coopération avec d'autres dispositifs de proximité. « Ces structures sont bien sûr jugées légitimes et remplissent un vide institutionnel antérieur, explique Françoise Enel. Mais on a aussi le sentiment que cette légitimité est encore trop faible pour bien s'articuler avec d'autres instruments, comme la politique de la ville,  les dispositifs de droit commun. » Jean-Paul Le Divenah, directeur adjoint du FAS, estime, pour sa part, que ce récent dispositif a besoin d'un nouveau souffle : « Cette politique d'accueil est essentiellement une politique d'Etat, mais les difficultés identifiées sur les plates-formes[...]  relèvent des compétences des collectivités locales. On est donc en face non d'une contradiction, mais d'un seuil à franchir pour qu'il y ait une meilleure articulation entre les deux éléments.  » Le FAS s'est d'ailleurs associé à la DPM et l'OMI pour envisager, à travers un groupe de travail,  des actions très concrètes, difficiles à mettre en œuvre. Explication de Jean- Paul Le Divenah : « Il pourrait s'agir de la communication, à une commune, de la liste des personnes reçues, sans porter atteinte évidemment au droit des personnes. »

Et les contrats de ville ?

La politique de la ville devrait fournir un moyen pour parvenir à une articulation plus efficace, ont également martelé plusieurs intervenants. Pour Raymond Chabrol, directeur de cabinet à la délégation interministérielle à la ville, il est ainsi nécessaire d'inclure systématiquement les questions d'intégration, en particulier les modalités actuelles d'accueil des étrangers, dans l'élaboration des contrats de ville.

Les inquiétudes restent vives, enfin, en ce qui concerne le retard que pourraient accumuler, en matière d'accueil, les départements dépourvus de plates-formes. S'il est clair que la proportion d'arrivées d'étrangers ne justifie pas, dans bon nombre de départements, la mise en place de ce nouveau dispositif, reconnaît Dominique Labroue, sous-directrice à la DPM, deux pistes peuvent néanmoins être explorées pour pallier cette absence de plate-forme. Raccrocher certains départements, ou parties de départements, à une plate-forme existante et examiner les transferts de savoir-faire qui pourraient être effectués vers ces départements.

Henri Cormier

PLUS DE 4 000 PERSONNES ACCUEILLIES

Après la création, à l'automne 1998, des deux premières plates-formes, dans le Rhône (3) et la Seine-Saint-Denis, le dispositif a été étendu en 1999 à dix autres départements : l'ensemble des départements de l'Ile-de-France, les Bouches-du-Rhône, la Haute-Garonne, le Nord et la Moselle. Du début de l'opération au 31 octobre 1999, 4 737 personnes ont été convoquées sur les plates-formes et 4 191 (soit 88,5 %) d'entre elles s'y sont effectivement rendues. Parmi celles-ci, 37,4 %ont rencontré l'assistante sociale et 42 %effectué le bilan linguistique.

Notes

(1)   « L'accueil des étrangers en France »,  16 novembre - Ministère de l'Emploi et de la Solidarité - DPM : 8, avenue de Ségur - 75350 Paris 07 SP.

(2)  Voir ASH n° 2090 du 23-10-98. A lire aussi « Plates-formes : un nouveau cadre pour l'accueil »  - Accueillir n° 219-220 - SSAE : 58A, rue du Dessous-des-Berges - 75013 Paris - Tél. 01 40 77 94 42 - 30 F.

(3)  Voir ASH n° 2106 du 12-02-99.

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