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Un revenu contre un projet professionnel

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Un soutien financier, un accompagnement : voilà ce que le conseil général propose aux 18-25 ans ayant un projet professionnel. Saluée par tous les intervenants, la « Bourse emploi 35 » renvoie au débat relatif à la création d'une garantie de ressources pour les jeunes en difficulté.

Comment aider les jeunes âgés de 18 à 25 ans, disposant de faibles ressources et ne pouvant compter sur un soutien familial, à prendre ou à poursuivre le chemin de l'insertion professionnelle ? L'insuffisance des aides financières qui leur sont ouvertes est connue. Ce constat, l'Ille-et-Vilaine l'a fait, comme d'autres départements. Le bilan a été rapide. « L'aide apportée aux jeunes suivis par l'aide sociale à l'enfance s'arrête, une fois qu'ils ont atteint 21 ans. Les problèmes financiers sont cruciaux pour ce public. Par ailleurs, de manière plus générale, le Fonds d'aide aux jeunes  [FAJ] n'intervient que de manière ponctuelle, en attribuant des aides sur trois mois maximum, qui ne sont que très exceptionnellement renouvelables. Quant au soutien apporté par les centres communaux d'action sociale [CCAS] , il s'avère très inégal. Non seulement il est facultatif, relevant d'un choix politique, mais il est aussi fonction de la richesse des villes », commente Emmanuelle Perpère, en charge du dispositif « Bourse emploi 35 » au conseil général. Celui-ci a été créé en juin 1998, spécialement pour pallier ces insuffisances (1).

Soutenir les projets professionnels

Les objectifs du conseil général ? S'inscrire dans la durée en proposant aux jeunes ayant un projet professionnel un accompagnement personnalisé et une bourse différentielle d'un montant maximal de 2 000 F par mois. Cette dernière est attribuée pour une période pouvant aller jusqu'à six mois, renouvelable deux fois (2). S'inscrire, aussi, dans une logique de proximité en s'appuyant sur les interlocuteurs habituels des 18-25 ans (missions locales, assistantes sociales, etc.) et en complémentarité des dispositifs d'aide existants. De fait, l'attribution de la bourse emploi se fait par la commission gérant le FAJ. De quoi permettre une continuité dans le suivi de ce public et le passage éventuel d'un dispositif à l'autre.

Pas question, néanmoins, de parler de RMI-jeunes. Le conseil général a mis des conditions à l'obtention de l'aide financière. « A la différence du RMI, la bourse emploi n'est pas un droit de type administratif », explique Emmanuelle Perpère. Sa délivrance repose sur un préalable, le contrat passé entre le bénéficiaire et son référent. Celui-ci l'accompagne dans la réalisation de son projet et le rencontre tous les mois pour faire le point, s'assurer que les démarches sont effectives. L'aide financière se veut ainsi la contrepartie de la prise en charge, par le jeune, de son projet. A ce titre, elle n'est pas systématique. « Le versement n'est jamais automatique : il y a toujours un contact préalable avec le référent, que ce soit une ren- contre ou un entretien téléphonique, si, par exemple, le jeune est parti faire un stage hors du département », commente Laurent Pérone, directeur de la mission locale de Redon. Autre façon de cadrer le dispositif : « L'accent a été mis sur la notion de réalisation d'un projet professionnel », reprend Emmanuelle Perpère, qui tire un « bilan positif » de la première année d'expérimentation. « Elle a montré que la bourse emploi est un bon outil de prévention. Parce qu'elle intervient entre la fin de la scolarité et l'entrée dans la vie active, elle permet d'éviter que des jeunes en difficulté ne se précarisent. »

Un dispositif pertinent mais encore sous-utilisé

Comme le note, dans son évaluation, l'Association rennaise d'études sociologiques  (ARES)   (3), dépendant de l'université Rennes-II, l'expérience « a apporté satisfaction aux jeunes et aux professionnels : elle constitue un outil et des moyens financiers supplémentaires pour l'insertion de cette catégorie d'âge ». « Ce dispositif répond à un réel besoin, notamment pour ceux qui ne peuvent entrer dans le programme TRACE », commente Joseph Legrand, directeur de la mission locale de Fougères. Preuve que le dispositif correspond bien à son objet : près d'un tiers des jeunes interrogés ne peuvent s'appuyer sur leur famille pour les aider et 69 % déclarent n'avoir aucunes ressources personnelles.

Reste que la bourse emploi n'a touché qu'un public très restreint. Au total, 152 jeunes, âgés en majorité de 22 à 24 ans et peu qualifiés (53 % sont de niveau V ou inférieur), en ont bénéficié. Un faible nombre qui s'explique, en partie, par le fait que le dispositif, lancé en octobre 1998 sur six zones géographiques, n'a été généralisé à tout le département qu'à partir de mars dernier. Mais, « à l'unanimité », note l'ARES, « on admet que ce dispositif a été sous-utilisé ». L'enveloppe budgétaire votée par le conseil général en janvier 1998 (5 millions de francs) et reconduite en 1999 n'a, ainsi, été utilisée qu'à hauteur d'un tiers. Surtout, l'inscription dans la durée ne correspond pas au souhait initial : « le plus souvent », les jeunes ne bénéficient pas d'un « accompagnement à moyen ou long terme ». Quant aux aides financières, elles sont accordées majoritairement sur une durée de trois mois et, pour un tiers, sur six mois. Et peu ont été renouvelées (6,5 %). « La bourse emploi demeure une aide trop ponctuelle et elle est relayée par des aides d'urgence plus ponctuelles encore », conclut l'ARES. En outre, elle atteint rarement le plafond ouvert par le dispositif, « malgré, le plus souvent des ressources très faibles » des bénéficiaires.

Rien d'étonnant pour Emmanuelle Perpère : « Nous étions dans la phase d'expérimentation du dispositif. Il faut le temps qu'il soit connu et que les professionnels s'en saisissent. Mais cela démontre aussi que ces derniers l'ont utilisé avec pré- caution, dans un souci de rigueur. Il y a peut-être une forme d'autocensure. » Autre explication : des critères peut-être trop restrictifs pour les plafonds de ressources des parents (6 541 F mensuels), ce qui écarte du dispositif des familles aux revenus pourtant modestes. Près d'un tiers des dossiers proposés ont été refusés pour cette raison. Enfin, explique Christophe Moreau, chercheur à l'ARES, qui a réalisé l'évaluation : il y a eu un « décalage entre les projets des jeunes et les critères d'attribution axés sur la réalisation d'un projet professionnel ». Un quart des 208 dossiers présentés au total n'ont pas connu de suite. Raison invoquée dans un cas sur quatre : la nature du projet n'était pas compatible avec l'objectif du dispositif. Soit que le projet professionnel n'était pas en voie de réalisation, soit que la demande relevait plutôt d'une aide à la subsistance, d'un problème de logement, etc.

Néanmoins, le rapport de l'ARES révèle une certaine souplesse de la mesure : « Les projets aidés ne sont pas tous en adéquation avec l'objectif initial du dispositif, qui insistait sur la notion de réalisation d'un projet professionnel. » Si un tiers des jeunes ont bien été aidés pour mettre en place leur projet professionnel (via une formation ou la préparation de concours), 58 % ont obtenu la bourse dans une phase « préalable à la réalisation du projet ». Ils étaient en recherche d'emploi, de contrat de qualification ou d'orientation. Et, dans 7 % des cas, la bourse relevait plus d'une aide à la personne ou à la subsistance. Cela montre que les différents acteurs ont eu une lecture très différente de la notion de « projet professionnel », aidant des jeunes plus ou moins proches de l'emploi.

« Le cadre est sujet à interprétation », note l'ARES, qui a mis en évidence une rigueur plus ou moins grande des différentes commissions d'attribution par rapport aux critères d'obtention de la bourse. Certaines ont exigé que les projets professionnels soient en cours de réalisation  d'autres ont choisi d'aider des jeunes en amont du projet. D'où une grande disparité dans le taux d'acceptation des dossiers (43 % à Vitré contre 92 % à Fougères par exemple) et une inégalité de traitement des jeunes concernés sur le territoire du département.

De la même manière, l'accompagnement mis en place concerne, dans certains cas, l'insertion professionnelle proprement dite ( « l'axe privilégié des missions locales » )  dans d'autres cas, il relève plus de l'insertion sociale au sens large. « Toute la difficulté réside dans le fait qu'on travaille sur le projet déclaré du jeune. Certains ont besoin de temps pour le structurer. Avec cette bourse emploi, nous avons aidé certains d'entre eux qui avaient des problèmes de subsistance mais aussi un projet professionnel bien défini. Par contre, quand leur projet n'était pas clair, nous ne les avons pas fait entrer dans le dispositif », commente Laurent Pérone, directeur de la mission locale de Redon. Même écho à celle de Rennes : « Nous n'avons pas monté de dossier pour un jeune, sans projet déclaré, en proie à un problème de logement. En revanche, si celui-ci disait être en recherche d'emploi, nous l'avons fait. Mais, il est vrai que la limite n'est pas aisée à déterminer. D'autant qu'il est toujours difficile de mesurer l'engagement de la personne. Cela dépend beaucoup de la relation qui se noue avec son référent et renvoie, il est vrai, à de la subjectivité », explique Philippe Sage.

Reste que, selon Christophe Moreau, des jeunes « nécessitant un accompagnement sur différents plans (santé, logement, famille)  » sont entrés « en grand nombre » dans le dispositif de la bourse emploi. Certains référents - qui préfèrent garder l'anonymat - avouent, d'ailleurs, l'avoir « un peu détourné », « pour aider des publics en situation de précarité à se stabiliser ». Bref, pour régler les problèmes périphériques à l'emploi. De quoi rejoindre, à travers ces différentes conceptions, une nouvelle fois, le débat sur le RMI-jeunes... Même si tous les intervenants

- missions locales en premier lieu - sont contre l'ouverture d'un droit objectif à une aide financière, jugeant dangereux le passage direct du monde scolaire à une aide, sans qu'il y ait eu confrontation préalable à l'univers du travail.

Mais tous s'accordent à dire que la mise en place de la bourse a fait réémerger le public, déjà connu, des jeunes très éloignés de l'emploi, et peu pris en compte dans les dispositifs d'aide actuels. Et mis en évidence le besoin d'accompagnement dans la durée et d'une aide financière pour ces derniers. Cette préoccupation des intervenants a été entendue au conseil général. « La réflexion devra être menée, au sein de la mission insertion. Mais rien n'est engagé pour l'instant », note Emmanuelle Perpère.

Le dispositif reconduit

En attendant, le conseil général a reconduit la mesure pour l'an 2000, tout en réaffirmant la nécessité que les bénéficiaires soient bien engagés dans la réalisation d'un projet professionnel, renvoyant de fait les aides à la personne sur d'autres dispositifs. Il a modifié aussi certains critères : le plafond de ressources des parents a été augmenté  pour les jeunes en rupture familiale, écartés quelquefois du dispositif parce qu'ils ne pouvaient justifier du montant de ressources des parents, une évaluation sociale sera menée afin de bien attester de l'absence de solidarité familiale. Enfin, le conseil général a décidé de soutenir financièrement les missions locales, qui jouent un rôle central dans l'accompagnement de ces publics. « Un grand pas en avant », commente Emmanuelle Perpère. Jusqu'alors, les cinq missions locales du département ne recevaient pas d'aide du département.

Anne Fairise

Notes

(1)  Conseil général d'Ille-et-Vilaine - DAS 35 : 13, avenue de Cercillé - BP 3164 - 35031 Rennes cedex - Tél. 02 99 02 35 35.

(2)  Les jeunes doivent être résidents dans le département depuis un an, avoir des ressources inférieures ou égales à 2 700 F/mois ou des parents dont les revenus n'excèdent pas 6 541 F/mois, ne pas avoir d'enfant à charge et ne pas avoir de statut universitaire. Sur le lancement du dispositif, voir ASH n° 2106 du 12-02-99.

(3)  Evaluation portant sur 165 dossiers et une étude qualitative (entretiens auprès de jeunes et de professionnels). ARES : 4, place Saint-Melaine - 35000 Rennes - Tél. 02 99 27 61 70.

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