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Ces « parentés plurielles » à ajuster

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Comment les acteurs du placement familial peuvent-ils adapter leur suppléance aux difficultés singulières de chaque enfant placé ? En repérant les différents axes d'exercice de la parentalité.

« Le placement familial nous met tous en position de parents », soulignait Alain Boucher, président de l'Association nationale des placements familiaux  (ANPF), lors de ses journées d'étude à Nantes (1). Mais précisément, parce que ces parentés-là, partielles et provisoires, n'ont rien d'évident, les professionnels sont conduits, aujourd'hui comme hier, à questionner le sens même de la parentalité.

Au fond, qu'est-ce qu'être un parent et, pour tout dire, un « bon » parent ? Les délégataires n'en finissent pas de s'interroger sur leurs capacités à remplir la fonction dont ils sont chargés. « Avec cet enfant qui nous a été confié sans mode d'emploi, comment s'assurer que nous sommes le bon choix ? », se demandent ainsi des assistantes maternelles. Une inquiétude à laquelle fait écho un éducateur, qui voudrait « être sûr de faire comme il faut », avant de constater que, finalement, « au quotidien, on fait ce qu'on peut. Comme les parents. » Si éduquer un enfant n'est simple pour personne, « la façon dont l'imaginaire social voudrait nous présenter ce qu'est une bonne famille- avec deux parents toujours amoureux, des enfants merveilleux et une unité résidentielle sur mesure -, n'arrange pas les affaires », souligne le psychanalyste Alain Brice. Et cette « tromperie » n'en finit pas d'occasionner des dégâts, notamment chez « beaucoup de jeunes couples, à problèmes familiaux antérieurs, qui sont souvent ceux dont les enfants seront placés », déplore-t-il.

La neutralité affective est impossible

A l'impossible, nul n'est donc tenu. Pas plus les parents « d'origine » que les familles « d'accueil » - appellations que le sociologue Saül Katz invite à revisiter (voir encadré au verso). On a longtemps attendu des assistantes maternelles que, professionnalité oblige, elles fassent l'impasse sur leurs sentiments. Ne risqueraient-elles pas, sinon, de s'approprier l'enfant qui partage leur quotidien, usurpant ainsi un rôle dont elles ne sont que les doublures ? Cette posture intenable est dépassée, et c'est heureux, se réjouit Catherine Glon, avocate spécialiste de la justice des mineurs. Mais, si la neutralité affective est, de fait, impossible, précise Saül Katz, « cela ne justifie absolument rien : accepter la charge d'enfants suppose des compétences qui n'ont rien à voir avec les qualités de cœur, mais avec les bouquins ». Autrement dit, « assistantes maternelles ou'intellectuels de service ", même combat : il faut lire. C'est le service minimal que vous ayez à rendre aux enfants que vous accueillez ». Le sociologue veut également rassurer les professionnelles sur un autre sujet délicat : celui de leurs rapports, parfois tendus, avec les éducateurs. Une bonne entente serait bien sûr souhaitable. Mais il faut se méfier de certains consensus, contribuant à « quadriller » la vie des enfants. Car les tensions constituent sans doute, pour eux, autant d'espaces de respiration. « Qu'il y ait un certain désaccord entre des intervenants divers me semblerait donc prometteur, sinon à cultiver... », conclut Saül Katz.

Elément clé de ce jeu des familles, où personne ne détient toutes les cartes, la confrontation renvoie à un préalable : la confiance entre les différents acteurs du placement familial, permettant à chacun, respectueux de l'autre, de tenir toute sa place et rien que sa place. Ainsi, fait observer Reynald Brisais, maître de conférences en psychologie sociale à l'université de Nantes, il n'est pas tolérable que des éducateurs transforment chacune de leur visite dans la famille d'accueil en véritable inspection, s'arrogeant un droit qui ne relève pas du service de placement. Sans compter certaines tendances à la toute-puissance : « J'ai été témoin de situations où il n'est pas rare de voir signer de nombreux papiers à la place des parents », précise Jean-Marc Constancias, éducateur spécialisé, stigmatisant la « disqualification implicite des familles ».

Vers une coopération accordée ?

Travailler ensemble ne signifie pas que les familles d'origine acceptent, de gaieté de cœur, que leur enfant puisse être aimé par d'autres et, pire, puisse aimer lui aussi d'autres adultes. D'où la nécessité d'une triangulation des rapports entre parents et accueillants, qui ne peuvent être considérés comme des partenaires, insiste Reynald Brisais. De fait, « ils ne jouent pas sur le même terrain ».

« C'est toujours une violence qui est faite aux géniteurs de déplacer leur enfant, commente Jean-Marc Botta, pédopsychiatre. Mais je pense que leur adhésion n'est pas nécessaire : c'est à nous, professionnels, qu'est confiée la mission de prendre soin de l'enfant », lorsqu'ils sont dans l'incapacité de s'installer dans une parentalité suffisante pour remplir leur rôle d'éducateurs. Ce sont précisément ces éventuels dysfonctionnements qu'il convient d'analyser finement pour savoir, le cas échéant, auxquels il faut remédier, précise Jean-Marc Botta. Et, le pédopsychiatre invite à parler de « suppléance à des fonctions parentales » et non de « suppléance familiale ». Mais il ne faut pas se contenter de déplacer l'enfant, poursuit le praticien  il est nécessaire aussi de travailler, avec ses parents, à construire les compétences qui leur manquent. Comme le font, par exemple, les psychomotriciens aidant les jeunes mères en difficulté à déchiffrer les signaux adressés par leurs bébés. Et, bien sûr, une fois constatée la restauration de ces capacités, explique Jean-Marc Botta, il est nécessaire de mettre fin à leur suppléance - sachant que ce terme ne peut pas être signifié par l'institution. Car « les éducateurs, comme les familles d'accueil, pensent, généralement, que ce n'est jamais le bon moment, pour un enfant, de retourner avec ses parents ».

Les trois axes de la parentalité

Pour analyser l'ensemble des fonctions attendues des parents et pouvoir repérer, le cas échéant, celles sur lesquelles faire porter la délégation, Catherine Sellenet, maître de conférences en psychosociologie à l'université de Nantes, propose de réfléchir à partir des trois axes de la parentalité dégagés par le groupe de recherche du professeur Houzel, auquel elle a participé (2). A savoir :l'exercice, l'expérience et la pratique de la parentalité. C'est-à-dire respectivement : les droits et devoirs dont est investi tout parent à la naissance d'un enfant  l'expérience subjective, cons ciente et inconsciente, correspondant à l'intime ressenti de chaque parent  la pratique des soins parentaux quotidiens, avec le cortège d'interactions comportementales qui s'établissent entre parents et enfants.

Cette lecture, souligne Catherine Sellenet, permet de comprendre d'éventuels dysfonctionnements. On peut, en effet, être un parent adéquat sur l'axe de la pratique, sur un mode quasi opérationnel ou technique, mais ne pas se sentir « parent » de l'enfant  ou, à l'inverse, comme c'est souvent le cas pour les parents des enfants placés, revendiquer très fort sa parentalité sur l'axe du ressenti ou de l'exercice ( « ce sont nos enfants, disent les parents, vous n'avez pas le droit de nous les enlever » ), mais être dans l'incapacité de la mettre en œuvre au quotidien. « Toute délégation, déclare la psychosociologue, devrait être'personnalisée ",'individualisée ", respecter l'axe de l'exercice de la parentalité, permettre aux parents d'être réellement les acteurs des décisions prises pour les enfants, tenir compte, sur l'axe de l'expérience, des désengagements possibles des parents, des blessures narcissiques et, surtout, se limiter, sur l'axe de la pratique, aux zones fragiles de la parentalité. »

Reste que ces « parentés plurielles », selon l'expression de l'anthropologue Anne Cadoret, sont d'autant plus difficiles à ajuster que, contrairement à d'autres, notre société ne promeut pas la multiparentalité fondée ni sur la filiation, ni sur l'alliance, mais sur l'affectif. « J'ai deux mamans, chantonne pourtant le clown (3). Peut-être que ça fait trop. Mais c'est la vie : la vie qui nous aime sans compter ! Sans compter le nombre de mamans qu'il faudrait, de chaudes mamans qu'on peut compter sur elles pour devenir une hirondelle, un aviateur, même une étoile... »

Caroline Helfter

FAMILLES SOUS SURVEILLANCE

Lorsqu'un enfant va dans une famille « d'accueil » - ce qui laisserait à penser que celle où il est né n'est pas accueillante -, on parle d'enfant « placé ». Faux, rétorque Saül Katz, maître de conférences en sociologie à l'université Paris-V. Lorsqu'ils naissent, les enfants sont placés dans les familles « normales », improprement qualifées de « naturelles » ou « d'origine »  - alors que toute famille est une construction sociale et que, seule, la société est au point de départ des différentes configurations familiales. Quand une instance administrative ou judiciaire déplace un enfant de la famille dans laquelle il est né, pour le replacer dans une famille dite d'accueil, c'est bien parce que personne n'est censé élever son enfant comme il veut-  « et heureusement ! »  - mais comme il doit. Autrement dit, toute famille fonctionne par délégation du pouvoir d'Etat. Celles qui intériorisent ce regard en s'autosurveillant elles-mêmes sont considérées comme « normales », alors que d'autres, en difficulté, feront l'objet d'une suveillance extérieure. « C'est sur le fond de cette désignation sociale qu'apparaît le placement familial, dispositif palliatif, c'est-à-dire extra-ordinaire », ajoute de son côté Reynald Brisais, maître de conférences en psychologie sociale à l'université de Nantes. Il n'y avait pourtant rien d'anormal à mettre ses enfants en nourrice pendant leur petite enfance, avant que le XVIIIe siècle invente la « bonne » mère : celle qui assure elle-même leur élevage. Constitué sur le terrain de cette représentation estimant qu'un enfant ne doit être éduqué que par ses parents, le patron de la famille noyau se met alors en place tout au long du siècle dernier. Jusqu'à ce que l'Etat déclare l'incompétence des familles dans le domaine de l'instruction et attribue ce rôle à l'école, à la fin du siècle dernier. A partir de là, toute une série d'institutions ordinaires de garde, de soins et de loisirs, destinées à l'enfance, sont créées sur le même principe. Elles seront ensuite elles-mêmes doublées par des institutions spécialisées, visant à soutenir et à surveiller les parents en difficulté. Au nombre de ces dernières, souligne Reynald Brisais, le service de placement familial a cela de singulier qu'il ne constitue pas le lieu de réalisation directe de la mesure : « Celle-ci s'effectue dans une famille dont la particularité est d'être, d'abord et seulement, une famille. » Peut-on, pour autant, la considérer comme une institution médico-sociale ? Et où se situe-t-elle dans la constellation des structures d'aide et de contrôle qui entourent les familles, d'accueil comme d'origine ? « Tout n'est pas qu'une affaire de position à tenir, mais chaque position est en même temps, elle-même, une prise de position qui donne sens à l'intervention », affirme Reynald Brisais.

Notes

(1)   « Le placement familial ou la parentalité en tensions », les 30 septembre et 1er octobre à Nantes - ANPF : 34, rue de Paradis - 75010 Paris - Tél. 01 47 70 23 95.

(2)  Voir ASH n° 2066 du 10-04-98.

(3)  Michel Boutet, qui, avec son complice Jean-Louis Cousseau, des « Quelqu'uns », a su, tout au long de ces journées, trouver les mots justes pour dire les maux des enfants et de leurs accueillants.

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