Recevoir la newsletter

L'apprentissage difficile d'un nouveau partenariat

Article réservé aux abonnés

La loi contre les exclusions a imposé aux associations intermédiaires, intervenant sur le secteur marchand, d'obtenir un agrément de leurs salariés par l'ANPE. La mise en place de cette procédure ne s'est pas faite sans heurts. Mais la situation devrait s'améliorer.

Depuis le 1er juillet, les associations intermédiaires  (AI) qui mettent à disposition des personnes en entreprise doivent, au préalable, obtenir l'aval de l'Agence nationale pour l'emploi (ANPE). Celle-ci est chargée de délivrer un agrément de la personne, sur la base d'un diagnostic individuel « professionnel et social ». Ainsi en a décidé la loi de lutte contre les exclusions, adoptée en juillet 1998, qui a fortement restreint le champ d'intervention des AI sur le secteur marchand et imposé cette procédure (1). Objectifs :s'assurer que sont recrutées les personnes les plus éloignées du monde professionnel, mais aussi mutualiser les moyens pour faciliter l'accès à l'emploi ordinaire.

Un partenariat naissant

Cette obligation n'est pas pour déplaire à la Coordination des organismes d'aide aux chômeurs par l'emploi  (Coorace), qui regroupe un tiers des 1 130 AI existant dans l'Hexagone. « Ce nouveau partenariat avec l'ANPE est une avancée importante. Il induit une coresponsabilité dans le cadre du suivi des personnes que nous mettons à disposition et une recherche commune de solutions », explique sa présidente, Jacqueline Saint-Yves. Pour fixer le mode de coopération, la Coorace a signé, en juillet dernier, un accord-cadre national avec l'ANPE, qui commence à se décliner dans les régions. Il préconise, notamment, la création, au plan local, d'un « comité technique d'animation », réunissant les agents de l'ANPE, les responsables des associations intermédiaires, les travailleurs sociaux, pour échanger des informations sur le public ciblé et organiser les parcours. Il rappelle aussi la nécessité, pour les AI, de signer une convention de coopération avec l'agence locale pour l'emploi dont elles dépendent. Cette procédure est dorénavant indispensable pour intervenir en entreprise.

Toutefois, les premiers mois de mise en œuvre de ce nouveau partenariat ont fait émerger quelques difficultés. Même si la situation s'améliore, comme le notait, mi-octobre, Hélène Mignon, députée  (PS) de la Haute-Garonne, chargée de l'évaluation des dispositifs nés de la loi de lutte contre les exclusions. « Après une période où les interpellations par les organismes d'insertion par l'activité économique, et en particulier par les associations intermédiaires, se sont multipliées, on constate aujourd'hui une évolution positive de la situation », expliquait-elle en présentant, le 13 octobre, un bilan de cette loi, devant la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale (2). Et de noter, néanmoins, qu'entre les agences locales de l'emploi et les associations intermédiaires, « il peut localement persister des blocages relationnels, qui sont d'autant moins admissibles qu'ils mettent finalement en jeu la situation de personnes très fragiles ». Certains membres de la Coorace s'étaient alors fait l'écho de ces difficultés auprès de la direction générale de l'ANPE. Et une réunion était organisée, mi-octobre, avec les référents de la Coorace chargés de suivre l'évolution du partenariat naissant en région, pour signaler les points de dysfonctionnement. L'occasion, pour certains, de dénoncer un « climat de méfiance », une « méconnaissance du métier des associations intermédiaires », voire une « suspicion sur leurs compétences ».

Principaux problèmes ? Des délais de délivrance des agréments jugés parfois trop longs (entre-temps la mission en entreprise n'a pu être pourvue et a été perdue), des refus d'agréments non justifiés par l'ANPE ou qui, selon la Coorace, ne sont pas justifiables... Raison des litiges, la notion de « personne en difficulté » n'est pas la même de part et d'autre. De fait, en la matière, la loi ne précise pas la typologie des publics concernés par les agréments. Elle renvoie à une appréciation individualisée des besoins des personnes sur la base du diagnostic réalisé par l'ANPE, en direct ou à partir des informations transmises par les missions locales, les plans d'insertion par l'économique (PLIE), les travailleurs sociaux ou les associations intermédiaires. Mais ces dernières ne peuvent, en aucun cas, assurer elles-mêmes le diagnostic des personnes qu'elles sont susceptibles d'embaucher par la suite.

Deux logiques qui s'affrontent

« Il faut le temps que le partenariat se mette en place. Parfois, les agents de l'ANPE sont plus sur le diagnostic professionnel et nous, sur le diagnostic social. Surtout, certaines agences locales pour l'emploi privilégient des critères administratifs, tels que la durée d'inscription au chômage, sans prendre en compte le reste. Or, des personnes, même sans emploi depuis peu, peuvent vivre de réelles situations de détresse », commente Nicolas Héraud, chargé par la Coorace d'être le référent ANPE pour les Pays-de-la-Loire. Lieu justement où le nouveau partenariat se déroule bien, « dans 80 % des cas ». Ici, comme dans la plupart des régions, un accord-cadre a été signé, mi-septembre, avec la direction régionale de l'ANPE, pour harmoniser les pratiques. Cette convention reprend la grille de prédiagnostic proposée au niveau national par la Coorace, qui retient six critères d'évaluation :le projet professionnel, l'expérience, le niveau de formation, l'adéquation du projet et du profil, celle du profil et du marché du travail et, enfin, la mobilité. Mais encore faut-il que cela soit appliqué localement... Dans les Pays-de-la-Loire, « des problèmes ont été notés avec seulement trois ou quatre agences locales pour l'emploi », reprend Nicolas Héraud. Preuve d'un dialogue parfois difficile : cette lettre envoyée par une agence locale pour l'emploi à une association intermédiaire, dans laquelle elle refusait un agrément, sans le justifier (l'ANPE n'y est pas obligée), et renvoyait l'AI sur un éventuel recours administratif... Mais, poursuit Nicolas Héraud, « les problèmes remontés à la direction régionale de l'ANPE trouvent généralement une issue positive ».

Même constat en Poitou-Charentes, où la grille de prédiagnostic a également été intégrée à l'accord-cadre régional. « Mais nous avons du mal à la faire prendre en compte localement. Les agents considèrent souvent, en premier lieu, les critères administratifs », explique Bernard Martin, référent régional de la Coorace, qui espère bientôt signer des accords départementaux avec l'ANPE pour « peser plus sur les pratiques locales ». Souvent loin d'être harmonisées. Bernard Martin, lui-même responsable d'une association intermédiaire à Cognac, en a la preuve chaque jour. « Trois associations intermédiaires sont présentes sur le bassin d'emploi. L'une d'elles voit acceptées quasiment toutes ses demandes d'agrément. Les deux autres essuient des refus dans 98 % des cas. Or le public concerné est le même. Cela donne l'impression que la délivrance des agréments se fait de manière très disparate. »

Manque de moyens ?

Pour lui, comme pour Nicolas Héraud (Pays-de-la-Loire), la question des moyens accordés à l'ANPE pour assumer ce nouveau rôle est posée. Elle explique, aussi, au-delà des différences de pratiques, les problèmes rencontrés. « Certes, dans chaque agence, un référent en charge des relations avec les structures d'insertion par l'économique a été nommé. Mais il le fait souvent en plus de ses responsabilités antérieures », commente Nicolas Héraud. Cette situation semble particulièrement aiguë dans le Languedoc-Roussillon, connu pour accuser un déficit d'agents ANPE. D'ailleurs, le 12 octobre dernier, ces derniers étaient en grève, dans l'Hérault, pour dénoncer le manque de moyens. Ce qui ne facilite guère la mise en place du partenariat. Le Languedoc-Roussillon est ainsi, selon la Coorace, la région où il peine le plus à prendre forme. Début novembre, l'accord-cadre régional n'était toujours pas signé. « L'ANPE est déjà très prise par le programme'nouveaux départs " », commente Béatrice Landry, référente régionale de la Coorace. Pour devancer les difficultés de délivrance des agréments par l'ANPE, elle avait proposé à la direction régionale, dès le mois de mars, une expérimentation, en lui indiquant le nombre de personnes potentiellement concernées (40 156 étaient inscrites dans les AI, dont 11 153 avaient été mises à disposition en 1997). Mais l'expérience n'a jamais eu lieu.

« Les moyens humains que l'ANPE consacre au partenariat avec les structures d'insertion par l'économique ont été pris sur ceux attribués dans le cadre du programme'nouveaux départs " », commente Michel Sansier, conseiller technique à l'ANPE en charge de l'insertion par l'économique. Il explique que, selon la taille du bassin d'emploi et le volume d'offres à traiter, les relations avec les structures d'insertion par l'économique sont traitées soit par un binôme d'agents, soit par une équipe qui s'en occupe en parallèle avec d'autres activités, soit enfin par une équipe s'y consacrant exclusivement. Au total, au moins « 800 agents à plein temps, mi-temps ou quart-temps ». Des moyens humains « dégagés » en fonction du nombre de personnes potentiellement concernées par la délivrance des agréments. L'ANPE l'a évalué à 150 000 personnes, la première année, toutes structures confondues (associations intermédiaires, mais aussi entreprises d'insertion, entreprises de travail temporaire d'insertion, etc.). En octobre, l'ANPE recensait 60 000 agréments délivrés, toutes structures d'insertion confondues, dont « 41 % dans la journée même ». Pas de quoi, selon Michel Sansier, parler de lourdeur administrative.

Un recadrage sévère

Reste que le nouveau partenariat avec l'ANPE s'inscrit dans la démarche de recadrage du domaine d'intervention des associations intermédiaires. Ce qui n'aide pas toujours au dialogue. « C'est vrai qu'il peut y avoir des tiraillements, surtout avec des structures d'insertion engagées dans une logique de coups de main. Délivrer un agrément est, pour nous, synonyme d'accompagnement long car il est délivré pour deux ans », explique Michel Sansier. La loi a, en effet, considérablement réduit le champ d'intervention des associations intermédiaires, souvent accusées de concurrencer l'intérim local, parce qu'elles pratiquent, à grande échelle, la mise à disposition en entreprise (près de 40 % de leur volume d'heures facturées). Faut-il limiter leur activité, pour éviter les abus, ou leur laisser le champ libre ? La loi a tranché pour la limitation stricte des interventions de ces associations, confiant plutôt aux entreprises de travail temporaire d'insertion le soin d'établir la jonction avec le monde du travail. Il est donc aujourd'hui impossible, pour les associations intermédiaires, de placer une personne en difficulté plus d'un mois dans une même entreprise et plus de 240 heures, au total, sur l'année. Conséquence : certaines associations « enregistrent une baisse de 50 % de leur activité. La question de leur viabilité économique est clairement posée », commente Jacqueline Saint-Yves. De là, pour certaines associations intermédiaires, à imputer leurs difficultés à l'ANPE, il n'y a qu'un pas...

Une opinion que ne partage pas Jean-Claude Boulard, président du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale  (CNLE). Pour lui, les difficultés des AI s'expliquent par les limitations imposées par la loi. D'ailleurs, le CNLE devrait rendre, le 8 décembre, un avis sur la situation des associations intermédiaires, jugées « en réelles difficultés ». « Les plus petites auront du mal à se maintenir sans se regrouper », affirme le député (PS) de la Sarthe, lui-même président d'une AI. Quant à la Coorace, elle s'apprête à dresser un bilan à la fin du premier trimestre 2000.

Anne Fairise

Notes

(1)  Voir ASH n° 2115 du 16-04-99.

(2)  Voir ASH n° 2138 du 22-10-99.

LES ACTEURS

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur