« La ministre de l'Emploi et de la Solidarité pense-t-elle servir la cause des droits de l'Enfant en tirant sur ceux qui sont leurs protecteurs au quotidien ? », interroge Pascal Vivet, chargé de mission au conseil général de Seine-et-Marne. En effet, au cours du colloque organisé le 18 novembre, Martine Aubry a estimé intolérable que certains placements d'enfants « soient motivés par des raisons purement économiques » (1). Ajoutant, dans une interview accordée le même jour à La Voix du Nord, que le signalement est souvent une façon pour les professionnels « de se laver les mains de difficultés [...] ». Selon elle, il est donc nécessaire de « remettre le personnel social sur le terrain ». Car « dans de nombreux départements, on ne connaît plus les familles que par des numéros de dossier », alors qu'auparavant les assistantes sociales étaient présentes sur le terrain. « Notre ministre fait preuve d'une bien mauvaise connaissance du secteur », ironise, sur le site Internet des ASH (2), François Chobeaux, responsable du département politiques sociales des CEMEA. Pour lui, l'appel aux assistantes sociales sent « bon le travail des dames visiteuses du XIXe siècle » et souligne l'urgence, pour la ministre, de « s'informer de l'évolution des métiers, et des pratiques ». Ces propos sont d'autant plus mal reçus que Martine Aubry a, jusqu'ici, brillé surtout par sa discrétion sur le travail social. Elle ne sort de sa réserve que pour reprendre à son compte certains discours (relayés, notamment, par ATD quart monde), selon lesquels la crise serait à l'origine d'un accroissement des placements d'enfants. « Pourtant, on ne trouve nulle part, dans les données chiffrées sur la maltraitance, la preuve d'une recrudescence des placements fondés sur la grande précarité des familles », s'étonne Jean-Pierre Rosenczveig, président du tribunal pour enfants de Bobigny. De plus, en faisant peser sur les travailleurs sociaux la responsabilité de l'augmentation des placements, la ministre opère un raccourci peu apprécié des professionnels. Et le juge des enfants ? « C'est à lui pourtant qu'il appartient, en toute indépendance, de décider s'il convient ou non de retirer l'enfant », rappelle Denis Vernadat, président du Cnaemo. La loi exige d'ailleurs une situation de danger, voire une incapacité des parents à exercer leurs responsabilités.
De fait, si l'on note une augmentation des signalements- qui ne peuvent être assimilés à des placements -, il ne s'agit en aucun cas « de se laver les mains », s'irrite Robert Bouquin, président de l'Unasea. C'est « une démarche responsable et citoyenne, souvent difficile ». Il n'empêche que la dégradation des conditions de vie peut mettre des enfants en danger et « cela fait longtemps que nous avons dénoncé la précarisation des situations », s'agace Christine Garcette, présidente de l'ANAS. Alors, comment reprocher, aujourd'hui, aux assistants sociaux de trop signaler quand ils n'ont plus les moyens de la prévention, que le temps d'évaluation des situations et d'accompagnement leur est de moins en moins accordé et qu'ils sont soumis à la pression de l'opinion publique et de leurs employeurs pour intervenir en urgence ?
Bien sûr, et tous les professionnels en conviennent, la judiciarisation des mesures ne règle rien. Reste que l'AEMO administrative est largement sous-utilisée, que le jeu de ping-pong département-justice nuit bien souvent à la qualité des interventions, que l'augmentation des moyens n'a guère suivi celle des « cas »... Maintenant, à qui la faute ?
Isabelle Sarazin
(1) Une mission justice/affaires sociales a d'ailleurs été décidée. Voir ce numéro.
(2) Dans le Forum :