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A l'écoute de la souffrance psychique des étudiants

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Créé en 1977, le Bureau d'aide psychologique universitaire a vu son fonctionnement et ses pratiques changer sous le coup de l'augmentation importante des demandes et des évolutions du monde étudiant.

« On sent une plus grande précarité de la situation sociale des étudiants. Contrairement à ce que l'on pense souvent, le malaise étudiant est aujourd'hui étayé par une très grande solitude. » Ce constat d'Eric Bernard, directeur administratif du Bureau d'aide psychologique universitaire (BAPU)   (1) du Luxembourg, à Paris, reflète les situations nouvelles, parfois douloureuses, vécues par la population étudiante. Présent dès le lancement du BAPU-Luxembourg, en 1977, ce psychothérapeute a pu suivre l'évolution de ce public et de ses difficultés psychologiques à travers les jeunes accueillis dans les locaux de la rue Barbusse, depuis plus de deux décennies.

Créé alors qu'il n'existait qu'une autre structure de ce type (le BAPU de la rue Pascal, dépendant de la fondation Santé des étudiants de France), le BAPU-Luxembourg s'est imposé comme la plus importante consultation spécialisée pour les étudiants. Ce lieu médian entre la famille, le monde universitaire et, parfois même, celui du travail, cherche à apporter une réponse aux souffrances d'une population souvent peu encline à reconnaître ses troubles psychiques.

Des souffrances non dites

On vient souvent au BAPU, notent les thérapeutes, parce qu'on ressent un malaise et qu'on éprouve le besoin d'en parler à quelqu'un. « Il y a un important problème d'identification, car les étudiants se vivent comme appartenant au groupe des étudiants, note Roland Havas, psychiatre et directeur du BAPU. Dans la salle d'attente, ils sont entre eux, alors que dans un centre médico-pédagogique, par exemple, ils vont côtoyer un schizophrène qui vient chercher son traitement ou un'accès maniaque" en attente de l'ambulance. Ils ne le supportent pas. » Consciente de la place particulière du BAPU, l'équipe des 16 thérapeutes - 4 médecins et 12 psychologues, appuyés par une assistante sociale - a maintenu une organisation et un fonctionnement adaptés au public accueilli. Le premier contact avec un thérapeute est resté une règle incontournable, comme l'explique Roland Havas : « Ici, les étudiants sont reçus directement par le thérapeute qui est censé les suivre. C'est très important parce qu'il n'y a pas de phase d'évaluation. Ils ne sont donc pas obligés de raconter leur histoire deux fois de suite, à deux personnes différentes. »

Reste que le fonctionnement de la consultation et les pratiques de l'équipe soignante ont dû aussi évoluer à l'aune des transformations du monde étudiant. L'accroissement de la demande, liée à l'augmentation de cette population, a provoqué un allongement important de la liste d'attente. Si, en 1990, près de 95 % des étudiants ayant appelé le BAPU-Luxembourg étaient reçus par les médecins et psychologues, ils étaient moins de 40 % à obtenir un rendez-vous l'an dernier. « Nous sommes confrontés à un nombre croissant d'étudiants et à des moyens insuffisants, explique Roland Havas. Mais, lorsque nous avons un jeune en larmes, ou qui parle de suicide au téléphone, il est bien évident qu'on le reçoit. » Le service a dû gérer cette explosion de la demande et, au fil des années, le nombre de consultations hebdomadaires par personne a diminué. Alors qu'il était encore possible, voici quelques années, de recevoir un étudiant trois fois par semaine, la consultation bi-hebdomadaire semble devenue l'exception aujourd'hui.

Isolés et anonymes

Parallèlement, les thérapeutes ont vu les conditions de vie de ce public se durcir. Le passage d'un milieu scolaire, dans lequel le jeune est encore relativement pris en charge, au cadre, beaucoup moins rigide, du milieu universitaire est souvent ressenti comme anxiogène. A cela s'ajoute, note Eric Bernard, un isolement et un sentiment d'anonymat très difficiles à vivre pour certains étudiants : « L'image traditionnelle d'étudiants toujours ensemble est fausse. Certains d'entre eux ont un ou deux copains de référence et, quelquefois, ils ne se parlent même pas. Ils s'assoient à côté d'eux, c'est tout. Cela signifie beaucoup d'enfermement dans des souffrances non dites. » Un isolement qui intervient souvent, estiment les équipes du BAPU, sur fond de conditions d'études et de vie plus difficiles. A travers les jeunes en consultation, l'équipe soignante dresse, par exemple, un tableau assez sombre de certaines classes préparatoires. « J'ai un patient, note Roland Havas, qui a fait une prépa littéraire à Louis-le-Grand et dont le professeur de français arrivait avec les copies des élèves et les jetait par terre, en déclarant que c'était tout ce qu'elles valaient. » Les cas de décompensation, après avoir réussi le concours d'entrée dans une grande école, ne sont d'ailleurs pas rares, à l'instar de ce jeune venu consulter, qui présentait des épisodes mélancoliques après son admission.

Chargée d'accompagner les étudiants dans leurs démarches administratives, de les informer et de les orienter (notamment grâce à un travail en partenariat avec les assistantes sociales du CROUS), Annie Langueneur, assistante sociale au BAPU, compare volontiers l'entrée dans le monde universitaire à un véritable parcours du combattant : « En plus des démarches administratives, ces jeunes, qui sortent d'un environnement lycéen où ils étaient plutôt bien encadrés, doivent, très souvent, chercher une chambre et un petit boulot, car l'aide familiale est inexistante ou insuffisante. J'ai vraiment l'impression que tous ceux que je vois font un mi-temps études et un mi-temps travail. »

S'il n'est pas possible de dégager des troubles spécifiques à la population étudiante, des points de fragilisation apparaissent clairement dans leur parcours universitaire. L'éloignement du milieu familial provoque parfois des phénomènes de décompensation, tandis que la difficulté à entrer dans la vie active aboutit à un rallongement des études, notent les psychologues et les médecins du BAPU. Mais, face à ces périodes douloureuses, les demandes formulées, depuis quelques années, par les étudiants se sont modifiées. Les recherches d'aides momentanées, d'écoute par rapport à un trouble diffus se sont accrues, au détriment, notamment, des analyses traditionnelles. « Nous avons gardé le même positionnement, le même modèle. Mais nous nous trouvons aujourd'hui en face d'étudiants qui peuvent avoir une demande ponctuelle, qui nous disent'je souffre de ça, mais je ne sais pas où le situer dans ma vie ", souligne Eric Bernard. Si les analyses ont diminué, on peut néanmoins avoir une position neutre, en rapport avec l'éthique analytique, mais qui ne relève pas d'un processus transférentiel. »

Des problèmes liés à l'immigration

La transformation du monde étudiant a également amené l'équipe à orienter parfois différemment son travail. Outre les modifications sociologiques de la population, les thérapeutes ont vu arriver, dans leurs locaux, des étudiants issus de l'immigration. Ecartelés entre une assimilation souvent mal vécue et une culture familiale ressentie comme astreignante, nombre d'entre eux viennent chercher des réponses à de douloureuses questions d'identité. Pour Eric Bernard, certains de ces jeunes mènent ainsi une double vie, très dommageable sur un plan psychique : « On voit des étudiants qui vivent comme s'il y avait deux niveaux différents : un personnel et un'réel ". Et qui ont le sentiment d'imposer à leurs parents des choses impossibles à vivre. » Résultat, beaucoup s'enfoncent dans le secret et le sentiment de culpabilité.

Un autre obstacle, auquel peuvent se heurter les psychiatres ou les psychologues, réside dans l'incompatibilité entre certaines règles morales liées à la tradition, à la culture, et le processus analytique. « Pour beaucoup de ces étudiants, il existe des interdits d'ordre culturel - comme le fait de ne pas critiquer ses parents, par exemple - qui constituent des limites à la libre association de la psychanalyse. Cela nous incite à travailler sur les problèmes culturels, de religion, etc. », explique Roland Havas.

Enfin, les étudiants d'origine étrangère, bien que représentant une petite proportion des consultations du BAPU, ont également confronté les thérapeutes à des cultures et des pratiques inhabituelles, comme en témoigne Eric Bernard : « Je me suis aperçu que j'avais beaucoup de mal avec certains étudiants masculins appartenant à la sphère de la langue wolof. Il est ainsi parfois très difficile de déterminer la part entre une pensée magique, qui peut être partagée collectivement, et quelque chose de franchement psychotique. »

Développer la prévention

Aujourd'hui, malgré le manque de moyens pour faire face aux quelque 1 400 appels reçus en 1998, l'équipe du BAPU-Luxembourg insiste sur l'action de prévention qu'elle mène au quotidien pour parer aux importants coûts personnels et sociaux engendrés par la détresse psychique de nombre d'étudiants. Néanmoins, elle regrette que les informations amassées par le service ne soient pas exploitées. « Nous possédons une somme de données, voire d'interprétations ou de conclusions sur le monde étudiant, depuis presque 25 ans, et nous trouvons dommage, par exemple, de n'avoir jamais été sollicités par l'Observatoire national de la vie étudiante », souligne Eric Bernard. Enfin, il souhaiterait développer davantage les actions de mise en alerte ou encore de formation, auprès des conseillers d'orientation ou des assistantes sociales, notamment, qui permettent de rendre compte de la condition étudiante.

Henri Cormier

PRÈS DE 800 ÉTUDIANTS REÇUS EN 1998

Parmi les 777 étudiants ayant fréquenté la consultation du BAPU-Luxembourg en 1998, près de 90 % avaient entre 20 et 29 ans, les trois quarts environ étaient des femmes. Pour trois quarts d'entre eux, également, la durée de la consultation ne dépassait pas un an (contre 12 % ayant suivi celle-ci durant 1 ou 2 ans). Pour être reçu au BAPU, il faut être étudiant ou élève de terminale, avoir plus de 18 ans et être pris en charge par la sécurité sociale. Beaucoup de régimes salariés côtoient aujourd'hui les sécurités sociales étudiantes. Autres évolutions notables ces dernières années, l'arrivée au BAPU d'étudiants en BTS bénéficiant souvent des deux régimes, du fait des contrats en alternance, et, bientôt, les changements consécutifs à la couverture maladie universelle : « Jusqu'ici les étudiants étrangers qui avaient une assurance privée ne pouvait être reçus au BAPU. Avec la CMU, ces jeunes, dont certains sont dans une grande souffrance psychique, vont pouvoir bénéficier du régime général de la sécurité sociale », souligne Annie Langueneur, assistante sociale au BAPU.

Notes

(1)  BAPU-Luxembourg : 44, rue Henri-Barbusse - 75005 Paris - Tél. 01 43 29 65 72.

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