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S'investir dans la famille pour être reconnus

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L'investissement croissant des nouveaux grands-parents auprès de leurs petits-enfants n'empêche pas la forte ségrégation des âges dans la société. Et la famille ne saurait, à elle seule, répondre au risque de faire des personnes âgées « des immigrés dans le temps », étrangers à leur époque.

« Nous commençons seulement à prendre conscience de l'importance des transformations intervenues dans les relations intergénérationnelles. » Les universitaires et chercheurs, réunis à Paris lors du colloque international organisé par la caisse nationale d'assurance vieillesse  (CNAV) autour du rôle des grands-parents (1), sont unanimes. Si les évolutions démographiques et culturelles de ces dernières décennies, comme le développement des Etats providence, qui leur a donné une autonomie financière, ont profondément modifié le rôle des grands-parents dans la famille et les liens entre générations, il n'en demeure pas moins compliqué, à l'heure actuelle, de prendre la mesure de ces changements.

Les multiples facettes de la grand-parentalité

Au-delà du poids grandissant des plus de 60 ans dans la population, c'est la manière d'être en famille qui s'est modifiée dans les sociétés vieillissantes, européennes ou américaines. Difficile, pour autant, de tracer un tableau synthétique de la figure grand-parentale, qui recouvrent des formes diverses : les nouveaux modes d'être en famille sont largement « influencés » par l'histoire, la culture et les politiques sociales des pays. Dans les Etats providence d'Europe du Nord, qui pratiquent une politique sociale soutenue, offrant ainsi une plus grande autonomie aux grands-parents, ces derniers jouent souvent « le rôle d'une armée de réserve ». « Ils adoptent un profil bas. Mais, dès que surgit un problème au sein de la famille, ils viennent à la rescousse, tels des casques bleus », explique joliment Gunhild Hagestad, professeur norvégienne de sociologie. Ce qui, selon elle, est moins souvent le cas aux Etats-Unis.

Venir à la rescousse de leurs filles adultes, c'est ce que font, de plus en plus, les mères espagnoles. « Une nouvelle relation est en train d'émerger entre les générations », commente Constanza Tobio, sociologue à l'université madrilène Carlos-III. Dans ce pays où les crèches et les services sociaux dédiés aux enfants sont rares, les grands-mères s'occupent davantage de leurs petits-enfants pour aider leurs filles - « première génération de femmes actives ayant des enfants en bas âge »  - à accéder au marché du travail ou à s'y maintenir. Elles se voient confier un rôle éducatif, mais aussi de garde. Selon de récentes enquêtes, 46 % des grands-mères s'occupent ainsi des moins de 6 ans. La demande des mères en la matière est très forte  deux tiers d'entre elles considèrent la grand-mère comme « le personnage clé » pour les aider à concilier vie familiale et professionnelle.

Mais l'investissement des grands-mères n'est pas seulement une réponse contrainte à l'augmentation du travail des femmes (66 % des 30-40 ans exercent une activité professionnelle contre 33 % début 1980). C'est aussi, pour certaines, un vrai choix, explique Constanza Tobio. Elles continuent à agir comme avec leurs propres enfants.

Cette nouvelle solidarité entre générations deviendra-t-elle un modèle pour l'avenir ? Rien n'est moins sûr, à en croire les déclarations des mères d'aujourd'hui et grands-mères de demain :elles avouent majoritairement qu'elles ne joueront pas le rôle d'une maman de substitution auprès de leurs futurs petits-enfants. Mais, pour Constanza Tobio, plus qu'un retour de l'individualisme, cette réponse est « peut-être » une manière d'interroger le rôle de l'Etat et « de dire que l'éducation des enfants ne doit plus relever du domaine privé ».

L'éducation laissée aux parents

En France, l'investissement des grands-parents auprès de leurs petits-enfants est également massif, comme l'ont montré les recherches de Claudine Attias-Donfut, directrice de recherche à la CNAV, et de Martine Ségalen, professeur à l'université Paris-X-Nanterre (2). Mais, le rôle des grands-parents français est « plus ludique et plus périphérique ». S'ils sont sans cesse plus nombreux à garder leurs petits-enfants - en général, de manière occasionnelle -, ils laissent de côté les aspects éducatifs, qui « incombent en premier lieu aux parents ». Ils répondent ainsi, en majorité, à la demande de ces derniers, qui revendiquent, par ailleurs, une autonomie.

De fait, les nouvelles façons d'être en famille pour les nouveaux grands-parents, soixante-huitards d'hier, se caractérisent par des relations plus choisies et plus affectives, qui illustrent le passage de « la famille morale à la famille relationnelle ». Une entité où leur place est à négocier et à renégocier en permanence. D'autant plus, en cas de divorce et de recomposition familiale. Car, explique Martine Ségalen, « dans les familles recomposées, la continuité familiale est souvent minorée au profit de la reconstitution de la cellule autour du couple »

Les contentieux relatifs aux relations entre les grands-parents et leurs petits-enfants ont ainsi considérablement augmenté ces dernières années. Le nombre de saisines des tribunaux effectuées par les premiers est passé de 1 080 en 1992 à 2 554 en 1997, soit une hausse de plus de 136 % en cinq ans ! Mieux informés de leurs droits, désireux de jouer pleinement leur rôle, ils n'hésitent plus à utiliser l'article 371-4 du code civil. Cette disposition, qui date de 1970, reconnaît le droit bilatéral des grands-parents et des petits-enfants à avoir des « relations personnelles »  :droit de correspondance, de visite, d'hébergement.

Le plus souvent, ces procédures sont engagées lors de recompositions familiales, liées, par exemple, au décès du fils et au remariage de la bru, et dans les cas de divorce. « Ce sont souvent des démarches très lourdes, très douloureuses, qui révèlent des conflits entre adultes extrêmement violents et font resurgir un passé conflictuel », commente Muriel Laroque-Ruelle, présidente de l'Association des avocats de familles. Certains grands-parents ont également un « comportement de rattrapage » envers leurs petits-enfants, n'ayant pu s'occuper comme ils le souhaitaient de leur progéniture quand ils travaillaient. Mais le magistrat prend généralement des mesures favorables au rétablissement des liens, quitte à définir des aménagements particuliers, telle la limitation du droit de visite.

Néanmoins, en cas d'opposition persistante des parents, les décisions visant le maintien des relations restent illusoires. Impossible, en effet, « d'obliger un enfant à écrire à ses grands-parents ou à les rencontrer, si ses parents s'y opposent. Et les services de police et le parquet interviennent difficilement. » Il ne reste plus alors qu'à recourir à la médiation familiale... en espérant qu'il ne soit pas trop tard. Prescrire une médiation avant même l'engagement des procédures, voilà ce qui est souhaitable pour Françoise Fuchs, médecin psychothérapeute et présidente de l'Ecole des grands-parents européens (EGPE)   (3).

Créée en 1994, pour offrir un « sas de décompression aux 55-75 ans rencontrant des problèmes sociaux ou d'ordre familial », cette association peut témoigner des difficultés soulevées par la médiation familiale. Les appels et les lettres de grands-parents, ne sachant que faire pour renouer les liens, sont nombreux. Observatoire privilégié des difficultés des nouveaux grands-parents, l'EGPE a noté leur investissement massif auprès des petits-enfants, jusqu'à l'âge de 72-73 ans. Moment où ils constatent, parfois, avec désarroi, un certain désengagement de leurs petits-enfants : ayant atteint l'adolescence, ces derniers peuvent être alors plus attirés par des camarades du même âge que par leurs aïeuls. Ne faut-il donc pas s'interroger, avec Françoise Fuchs, sur la pertinence de créer des lieux favorisant les échanges et le renforcement des liens entre générations, au-delà de ceux générés par la famille ?

Mieux intégrer les grands-parents

C'est, en tout cas, une nécessité pour la sociologue Gunhild Hagestad. Car, si les évolutions ont pour conséquence de favoriser les liens entre les générations, elles produisent également -c'est le revers de la médaille - une « forte ségrégation des âges ». Les plus jeunes et les plus âgés passent une grande partie de leur temps dans des lieux strictement limités aux membres de leur classe d'âge : crèches et écoles, pour les uns  associations, centres ou structures de soins, pour les autres. Or, faute de liens intergénérationnels, l'évolution rapide de la société peut très vite faire des personnes âgées « des immigrés dans le temps », étrangers à leur époque. Un écueil que les liens au sein des familles permettent de contourner, grâce à l'apprentissage mutuel entre petits-enfants et grands-parents. « Mais, la famille ne peut tout faire. » Alors que les politiques sociales, de l'éducation et du logement devraient être en mesure de créer les conditions d'une meilleure intégration de tous les âges et de favoriser l'émergence d' « une grand-parentalité sociétale ». Ce qui serait une façon de reconnaître la place symbolique des grands-parents. Et le rôle joué par les personnes âgées dans la société.

Anne Fairise

VERS UNE « VERTICALISATION » DES LIENS SOCIAUX

La pyramide des âges illustre la proportion croissante des plus de 60 ans dans la société. Les évolutions démographiques sont en train de la remodeler complètement, « lui faisant prendre la forme d'un oignon qui évoluerait en forme de colonne », explique Gunhild Hagestad, professeur norvégienne de sociologie. Déjà, beaucoup de sociétés, dont la Norvège, comptent presque autant de plus de 60 ans que de moins de 16 ans. En 2030, il sera courant de trouver des populations dans lesquelles une personne sur trois aura dépassé la soixantaine. Aujourd'hui, deux adultes sur trois ayant atteint l'âge de 30 ans ont encore leurs grands-parents. Ce qui n'était le cas que d'un adulte sur cinq au début du XIXe siècle. Conséquence, les relations entre grands-parents et petits-enfants peuvent durer plusieurs décennies... jusqu'au moment même où les parents deviennent eux-mêmes grands-parents et les grands-parents, arrière-grands-parents. L'émergence de ces familles multigénérationnelles entraîne un renforcement des liens entre générations, « une verticalisation des relations », précise la sociologue. Les jeunes, dont le nombre se réduit, se regroupent moins entre eux, mais se rapprochent davantage de leurs aînés.

Notes

(1)   « Solidarités entre générations : le rôle des grands-parents », organisé le 13 septembre 1999, dans le cadre des journées annuelles de la branche retraite - CNAV - Tél. 01 55 45 51 34.

(2)  Voir ASH n° 2099 du 25-12-98.

(3)  EGPE : 12 rue Chomel - 75007 Paris - Tél. 01 45 44 34 93.

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