Pour la promotion d'aides médico-psychologiques (AMP) entrée à l'Institut de formation d'éducateurs de Normandie (IFEN) (1) en mars 1998, c'est la dernière ligne droite. Les examens pour l'obtention du certificat d'aptitude (CAFAMP) approchent. Ils viendront clore les 350 heures de formation à un métier que la plupart pratiquent, de fait, depuis des années (2). Mais, pour certaines candidates, sept exactement, les épreuves seront allégées. Car, c'est une première en France, elles sont dispensées de l'épreuve écrite dite « de réflexion sur la pratique professionnelle », au titre de la validation des acquis professionnels (VAP). Dispositif qui consiste à reconnaître l'itinéraire professionnel d'un candidat à un diplôme.
L'IFEN est, en effet, l'un des six sites qui participent à l'expérimentation, lancée en 1996 (3) par Unites et Promofaf (4), sur la validation des acquis professionnels des AMP. Depuis la loi du 20 juillet 1992, l'expérience professionnelle acquise par les salariés les dispense non seulement d'une partie de la formation, mais également de certaines épreuves, permettant l'obtention d'un diplôme délivré par les ministères de l'Education nationale, de l'Agriculture et de la Jeunesse et des Sports. Toutefois, le secteur social, encore empêtré dans la définition de ses professions et de leurs référentiels, reste à l'écart du système de validation des acquis professionnels. Pourtant, explique-t-on à Promofaf, tout pousse à s'y mettre : décloisonnement des filières, émergence de nouvelles fonctions et, plus récemment, formation des emplois-jeunes. Quand l'idée d'expérimenter la validation des acquis professionnels pour les AMP est avancée, en 1995, Alain Giroud, directeur de l'IFEN, se porte candidat. « Je voyais alors de plus en plus d'étudiants éducateurs spécialisés, éducateurs de jeunes enfants ou AMP qui arrivaient chez nous avec une expérience professionnelle ou des études derrière eux, que, bien sûr, nous ne prenions pas en compte. En outre, nous ne formions les AMP que depuis deux ans, rien n'était donc encore figé. Et puis, j'étais persuadé que ce pouvait être un outil de valorisation pour les AMP et, pour nous, l'occasion d'instaurer un nouveau regard sur ces étudiants, d'entamer une nouvelle relation d'apprentissage, plus ouverte sur l'extérieur. »
Dix-sept aides médico-psychologiques, âgées de 24 à 52 ans, répondent alors aux critères : elles sont inscrites pour la session de formation 1998, avec trois ans d'expériences professionnelles et l'accord de leur employeur. A l'issue d'une réunion organisée en octobre 1997, elles repartent avec leur dossier de VAP sous le bras. Elles ont deux mois pour répondre, sur le papier, à une longue série de questions sur leur poste, leur fonction, leur place au sein de l'institution, leurs expériences. C'est ce document, suivi d'un entretien avec un jury (formateurs, conseillers techniques des DRASS, employeurs), qui sert de base à la validation des acquis. « Ce que nous avons souhaité valider, ce ne sont pas des années d'expérience, ni même une formation en psychologie en tant que telle, par exemple, mais une capacité de recul sur la pratique et d'assimilation des expériences pour l'analyse », expliquent Sylvie Batselé et Laurence Potoine, les deux coordonnatrices des formations d'AMP à l'initiative de l'expérience menée au Havre.
Aidées individuellement par le Centre interinstitutionnel de bilan de compétence pour constituer leur dossier, la plupart des candidates ont également sollicité leurs collègues, leurs supérieurs, pour répondre aux questions. Ce travail de recherche et de prise de recul, en amont de l'entrée à l'IFEN, a même « fait l'objet d'un investissement énorme, voire démesuré, des personnes et a été un élément de valorisation très fort », souligne Robert Diez, chargé, au cabinet Itaque, de l'évaluation de la mise en œuvre de l'expérimentation au niveau national. Or, « les AMP, souvent peu reconnues dans leur fonction au sein de nos établissements, ont besoin de cette valorisation », estime Evelyne Dumouchel, directrice adjointe de deux établissements de l'Association du Docteur-Gibert.
Sept candidates seulement ont été autorisées à engager leur formation sous le régime de la validation des acquis professionnels. Concrètement, cela signifie une dispense d'épreuve à l'examen final et un programme d'allégement d'heures de formation « à la carte ». A l'IFEN, les allégements vont de 12 à 48 heures, sur les 350 prévues, soit de 3,5 % à 13,7 % du temps de formation. Leur amplitude et leur contenu ont été décidés en commun - AMP et formatrices -, en fonction du dossier, mais aussi des désirs et des besoins. « Pas facile de transformer des acquis en connaissances théoriques », reconnaît Sylvie Batselé, qui a dû se livrer à cet exercice inédit. Nathalie Turpin, auxiliaire de puériculture, a vu son programme allégé en formation à la psychologie de l'enfant et en développement de l'être humain. Pour Nathalie Wind, la situation était moins simple. « J'ai un niveau bac F8. Donc, ils considéraient que j'avais les bases en psycho et en médecine. Mais mon bac date de 15 ans. » Nathalie n'a finalement été dispensée que des cours d'écrits professionnels. Presque toutes les candidates se sont vu retirer les cours de « techniques éducatives » (apprentissage d'activités manuelles), d'hygiène des locaux et des personnes, considérées comme acquises par la pratique.
Et c'est là que le bât blesse. Si toutes étaient informées du principe, elles regrettent cet allégement du programme. « Ce n'est pas parce que je pratique dans mon centre, que je n'ai pas le droit de découvrir autre chose. On nous a donné la VAP, mais on nous a ôté quelque chose de la formation. C'est dommage », souligne Maryline Jacquemain. Ce sentiment de frustration est largement partagé. D'ailleurs, beaucoup se débrouillent pour assister quand même aux cours ou, au moins, les récupérer. Plus que la crainte de manquer quelque chose d'important pour les examens, les professionnelles, qui ont entre 4 et 15 ans d'ancienneté, évoquent leur besoin de théorie. C'est au nom de ce droit à la totalité d'une formation que Marie-Luce Bertin, directrice de deux structures de l'Association de parents d'enfants inadaptés, à Fécamp, a refusé de s'associer à l'expérience. « Je pense même que ces allégements de programme peuvent minimiser encore une formation qui a déjà du mal à acquérir une reconnaissance », avance-t-elle.
Mais ce n'est finalement, pour d'autres, pas tant les allégements en eux-mêmes qui doivent être remis en cause, que la manière dont ils ont été construits et proposés. Evelyne Dumouchel reste en effet persuadée que les AMP auraient été déçues par certaines formations de base : « Si elles les réclament c'est plus par sous-estimation d'elles-mêmes et de leurs connaissances. » Pour elle, il faut prendre le temps de leur expliquer qu'elles savent déjà. Au-delà, Robert Diez pense qu'il n'y a pas d'autres solutions que d'aller vers de véritables cursus modulaires. Dès lors, on ne parlerait plus de dispenses. C'est l'ensemble d'un module (cours et épreuves) qui serait accordé. Dans la même optique, « pourquoi le jury de VAP répond-il par oui ou par non, alors que la réponse pourrait être adaptée et la VAP refusée pour telle formation - ou tel module - mais acceptée pour telle autre par exemple ? », s'interrogent les candidates. Cela renvoie à l'accompagnement de ceux à qui on n'a pas accordé la validation des acquis, parfois après plus de dix ans de pratiques. Lacune volontiers reconnue de l'expérimentation havraise. D'autant, qu'il s'est révélé que les échecs à la VAP tiennent davantage au fonctionnement de l'établissement (absence de réunions avec les AMP, de projet d'établissement, d'analyse des pratiques) qu'au niveau de la personne. « Certaines situations professionnelles sont moins qualifiantes que d'autres, certaines sont même disqualifiantes », commente Robert Diez. Qui juge-t-on alors ? Reste, enfin, la question, non tranchée, de la nature des heures libérées : récupérées par l'employeur ou temps de formation personnelle ?
A l'IFEN, où l'expérience s'arrêtera avec les résultats des examens, en février 2000, on espère conserver une partie de la dynamique lancée dans le projet pédagogique. Mais, partisan d'une suite rapide de l'expérience et de son extension aux autres formations (ME, ES, EJE), d'ailleurs envisagée par Promofaf, Alain Giroud n'en est pas moins convaincu qu'il faut du temps. Les réticences, voire les résistances, de certains formateurs, qui craignent une déqualification, seront longues à vaincre. Par ailleurs, « les VAP, dans notre secteur, nécessitent d'adapter le cadre de la loi de 1992, de remettre en cause l'architecture de formations qui viennent de faire l'objet d'arrêtés et ne prévoient pas de VAP (EJE, TF), et de modifier les diplômes ». Autant dire qu'au Havre, comme ailleurs, il peut couler de l'eau sous les ponts...
Valérie Larmignat
Un comité national de pilotage regroupant les promoteurs de l'expérimentation, Unites et Promofaf, les organisations syndicales de salariés et d'employeurs qui y sont représentées, et les partenaires, DAS et DGEFP.
6 sites expérimentaux : centre de formation d'AMP de Besançon (Franche-Comté), Buc Ressources (Ile-de-France), CEFRAS de Chemillé (Pays-de-la-Loire), IFEN du Havre (Haute-Normandie), IRFAS de Saint-Etienne (Rhône-Alpes), IRFCES de Toulouse (Midi-Pyrénées).
4 étapes : la mise au point d'un référentiel d'activités et d'un référentiel métier (janvier-novembre 1996), la définition d'un cadre institutionnel commun (arrêté en septembre 1997), la mise en œuvre locale (1998-1999), l'évaluation.
Un diplôme : le certificat d'aptitude aux fonctions d'aide médico- psychologique (CAFAMP), diplôme de niveau V, soit celui des CAP et BEP.
L'expérimentation est réservée aux salariés ayant au moins trois ans d'expérience en tant qu'AMP ou en rapport avec le métier d'AMP seule l'épreuve écrite « note de réflexion sur la pratique professionnelle » peut être attribuée de façon anticipée par VAP et créditée de 3 points sur 5 un accompagnement méthodologique pour l'établissement du dossier est mis à disposition des candidats des allégements de cours sont possibles dans la limite d'un tiers de la durée de la formation.
77 candidats au CAFAMP ont présenté leur dossier et 53 ont obtenu la validation de leurs acquis.
« Est-ce pertinent de raccourcir la formation de personnes généralement de niveau BEPC ou CAP et qui, souvent, ont quitté l'école depuis très longtemps ? Moi, cela me posait problème. Et, si j'ai participé à l'expérimentation, c'est notamment pour faire valoir cet avis et poser des limites à l'amplitude des allégements », explique Béatrice Aimé, responsable de la formation des AMP à l'IRFCES de Toulouse. Sachant, selon elle, que l'on ne peut pas exclure totalement les enjeux financiers pour Promofaf. En effet, la VAP est également l'un des outils à sa disposition pour réduire la durée des contrats de qualification et, donc, ses coûts.
(1) IFEN : 10, rue du Docteur-Gibert - 76600 Le Havre - Tél. 02 35 42 10 30.
(2) Rappelons que la formation pour l'obtention du CAFAMP est une formation en cours d'emploi, demandée par l'employeur pour son salarié.
(3) Voir ASH n° 1959 du 26-01-96.
(4) Promofaf : 9, rue Maryse-Hilsz - 92309 Levallois-Perret - Tél. 01 49 68 10 10.