C'est à un changement culturel que Paulette Guinchard-Kunstler invite, rappelant au passage quelques vérités. Primo, malgré les promesses, la prise en charge des personnes âgées en perte d'autonomie n'a jamais été une priorité des décideurs publics elle relèverait même davantage de la « non-décision ». Secundo, la notion de dépendance, assimilée à l'incapacité et à une charge financière, ne fait que conforter l'image négative de la société sur ce temps crépusculaire de l'existence, « associé à une période de fragilité psychique, psychologique et sociale ». Or, s'il est une dimension à intégrer dans les politiques en faveur des personnes âgées, c'est, à côté de l'approche médicale réparatrice, le nécessaire accompagnement au deuil et à la perte qu'implique l'avancée en âge. Sur les 11 000 suicides enregistrés chaque année, plus de la moitié concernent ainsi les personnes de plus de 55 ans.
Par ailleurs, insiste la députée, l'action publique, et notamment la prévention, doit tenir compte des détériorations intellectuelles et de la maladie d'Alzheimer. En effet, près de 500 000 des 700 000 personnes âgées de plus de 65 ans, fortement dépendantes (2), sont atteintes de démence sénile. Enfin, les pouvoirs publics doivent agir en cohérence avec la politique du handicap et se préoccuper du « problème spécifique » des populations immigrées vieillissantes (3).
Prenant appui sur bon nombre d'expériences de terrain, la députée formule, au final, 43 propositions pour « une prise en charge plus juste et solidaire des personnes âgées en perte d'autonomie ».
Une idée centrale traverse le rapport : la prise en charge, éclatée entre de multiples professionnels et financeurs, doit être réorganisée au plus près des besoins et des désirs de la personnes âgée. Une mesure phare vise à créer, sur le modèle de l'initiative mise en place à Lunel (Hérault), des bureaux d'information et d'aide à la décision. Ceux-ci accueilleraient les familles et les personnes âgées, de manière individualisée, évalueraient les besoins, à partir d'une approche pluridisciplinaire, et proposeraient un plan d'aide personnalisé. Et, dans cet esprit, la rénovation de la grille AGGIR est jugée indispensable. Evalués à 500 000 F chacun, ces bureaux d'information pourraient mailler le territoire grâce à un financement assuré par les conseils généraux, les caisses de retraite et l'assurance maladie. Une telle mesure renvoie bien évidemment à la nécessité de coordonner localement les services afin d'offrir un continuum de réponses, dépassant les coupures sanitaire/social et domicile/hébergement. Et donc à l'animation et au coût de ces réseaux gérontologiques pour lesquels la députée suggère de mobiliser les moyens des contrats de plan Etat-régions ou des contrats de ville. Mais la chargée de mission va encore plus loin. Afin de sortir des incantations sur le travail en réseau, elle propose la création, par voie conventionnelle, d'un échelon départemental de coordination rassemblant les partenaires institutionnels et associatifs. A charge pour cette « instance décisionnelle » d'impulser les politiques publiques de la vieillesse, d'assurer la cohérence financière et administrative et de jouer un rôle de planification et de prévision.
C'est également autour des besoins de la personne âgée que le rapport souhaite réorganiser en profondeur le maintien à domicile. Invitant d'emblée non pas à opposer, mais à rendre complémentaires les services à domicile, assurant des tâches d'entretien, et les services d'aide à domicile, chargés d'accompagner les personnes dépendantes. Soucieuse de « rénover la prise en charge » de ces dernières, Paulette Guinchard-Kunstler propose de créer des « services polyvalents d'aide et de soins à domicile » associant une prise en charge sanitaire et sociale allant des soins, de la garde au domicile, de l'amélioration de l'habitat à l'aide à domicile... Et là, les associations d'aide à domicile « prennent une place particulière », affirme la députée. Elle estime que « l'inclusion éventuelle des services de maintien à domicile, pour les emplois d'aide à la personne, dans le champ de la loi du 30 juin 1975 relative aux institutions sociales et médico-sociales, pourrait permettre d'asseoir leur légitimité ». S'il souhaite encourager la démarche de normalisation et de certification engagée par les services d'aide à domicile, le rapport se préoccupe également de la qualité dans le cadre de l'emploi direct. Il propose à ce sujet de délivrer un agrément préalable aux salariés sur le même mode que celui attribué aux assistantes maternelles. Autre suggestion : favoriser l'usage du titre emploi-service, permettant un accès plus facile aux prestataires de l'aide à domicile tout en offrant une certaine sécurité.
Paulette Guinchard-Kunstler n'en oublie pas, pour autant, la vie en institution devenue, parfois, inévitable. Or, les structures d'hébergement sont confrontées à un déficit de moyens financiers, notamment en cas de dépendance très lourde et à une inadaptation de leurs locaux aux personnes souffrant de déficiences intellectuelles (maladie d'Alzheimer et autres maladies dégénératives) et aux malades psychiatriques chroniques. C'est ainsi que la députée insiste sur la nécessité de tenir compte des spécificités de la prise en charge de ces publics dans les projets de vie des établissements tant pour le fonctionnement que pour l'architecture. Ce qui ne signifie pas forcément une séparation des lieux d'hébergement, soutient la chargée de mission. Laquelle prône plutôt le développement, au sein des institutions, de « petites unités de vie » permettant une aide mieux adaptée et une vie plus familiale. Elle souhaite d'ailleurs que ces structures, qui ne peuvent répondre aux obligations imposées par la réforme de la tarification, fassent l'objet d'un traitement particulier dans le cadre de la réforme de la loi de 1975.
Point névralgique et attendu du rapport : les métiers intervenant auprès des personnes âgées dépendantes, caractérisés par la multiplicité des statuts et, souvent, une qualification gérontologique insuffisante. Tout d'abord, l'étude préconise de renforcer la présence des moniteurs-éducateurs, des éducateurs spécialisés, des aides médico-psychologiques et des animateurs en vue d'un « rééquilibrage entre les métiers sanitaires et sociaux ». Et d'introduire des contenus gérontologiques dans les formations des conseillers en économie sociale familiale et des assistants de service social.
Indispensable également, la formation des intervenants « les plus présents » auprès des personnes âgées. Car les différentes mesures pour l'emploi ont favorisé l'embauche de personnes sans qualification pour des activités ménagères, mais aussi des actes d'accompagnement. La députée invite à réorganiser les formations de niveau V (aides-soignants, aides à domicile, aides médico-psychologiques) autour d'un tronc commun d'enseignement afin d'élargir les compétences des professionnels, capables ainsi de répondre à l'ensemble des besoins des personnes, aussi bien à domicile qu'en institution. Outre l'émergence d'une culture commune, cette réorganisation devrait faciliter la mobilité professionnelle et sociale. Autre avantage, selon la députée : elle permettrait la mise en œuvre du dispositif de validation des acquis professionnels, prévu par la loi de juillet 1992, et toujours en attente d'application dans le champ des formations sociales. C'est, en tout cas, dans ce cadre que la parlementaire conçoit de réformer le certificat d'aptitude aux fonctions d'aide à domicile et le brevet d'études professionnelles carrières sanitaires et sociales, mention complémentaire aide à domicile.
Autre lacune dans l'aide à domicile, le faible encadrement, non financé actuellement. Et Paulette Guinchard-Kunstler compte sur la réorganisation des services de soutien à domicile pour que ce coût soit pris en compte. Par ailleurs, la mise en place d'une filière de formation de l'aide à domicile, initiée par la réforme de la formation des travailleuses familiales (4), doit être l'occasion d'ouvrir le chantier de la formation des responsables de secteur, souligne la députée. Laquelle invite à définir un référentiel de compétences afin d'envisager « dans les plus brefs délais » une formation complémentaire permettant aux techniciens de l'intervention sociale et familiale d'accéder à l'encadrement. Des financements peuvent être trouvés dans le cadre des engagements de développement de la formation qui ont suivi le contrat d'étude prospective des branches de l'aide à domicile et des employés de maison.
C'est également au sein des institutions qu'il faut renforcer la professionnalisation. Du fait, entre autres, du peu d'accessibilité du certificat d'aptitude aux fonctions de directeur d'établissement social aux directeurs d'institutions pour personnes âgées. D'où la nécessité, pour la chargée de mission, d'apporter des ajustements à ce diplôme, dont la réforme est en cours.
Reste la question épineuse du financement. Pour mettre fin au système complexe des aides et parvenir à une prise en charge « simplifiée, accrue et plus juste » des publics âgés en perte d'autonomie, la mission tranche en faveur de la création, à terme, d'une prestation unique dépendance. S'appuyant sur un plan d'aide individualisé, celle-ci devrait garantir une aide à la personne en fonction de ses revenus, de ses capacités et de ses difficultés. Des mécanismes de participation progressive des bénéficiaires aux frais pourraient être étudiés, afin de supprimer les effets négatifs des recours sur succession ou sur donation. Quant au financement de cette prestation, « toutes les pistes doivent être étudiées », indique la députée, invitant à réféchir sur l'utilisation, pour la dépendance, du fonds de réserve pour les retraites.
Mais, de manière transitoire, le rapport préconise la création d'une prestation légale et globale de soutien à domicile. Celle-ci permettrait de remédier aux inégalités de traitement dans l'attribution d'heures d'aide ménagère liées aux différences de régime de retraite et de mieux prendre en charge les personnes de dépendance moyenne désavantagées par le dispositif de la prestation spécifique dépendance (PSD). Cette réforme pourrait bénéficier d'une mise en commun des financements de l'aide ménagère extra-légale des caisses et des départements. Quant au surcoût des transferts interrégimes, il pourrait être couvert par les régimes de retraite. L'autre urgence consiste à améliorer les conditions d'application de la PSD. Notamment en augmentant les niveaux de plafond de revenu et de recours sur succession et en élargissant l'utilisation du dispositif à l'hébergement temporaire, aux travaux d'accessibilité de l'habitat, à la téléalarme... Enfin, la mission juge « nécessaire » de fixer des tarifs de base pour la PSD en hébergement afin de lutter contre les inégalités territoriales (5). Evoquant aussi la réforme de la tarification des établissements, la parlementaire affirme que sa réussite passe par « un engagement financier majeur notamment pour les parties soins » pour ne pas alourdir la charge des personnes âgées et de leurs familles. Charge qui, par ailleurs, pourrait être allégée par un abaissement du taux de TVA sur certaines aides techniques (en particulier les changes pour incontinence).
Enfin, le paiement des prestations pourrait être facilité par la mise en place de « caisses pivots ». Un organisme serait ainsi désigné, au niveau du département, pour coordonner et distribuer les aides aux bénéficiaires. Ce qui suppose, bien évidemment, d'harmoniser les règles de gestion des prestations...
Isabelle Sarazin
Parmi les nombreuses mesures, la députée propose de :
Créer un Institut national du vieillissement. Lieu de développement des savoirs et outil de débat, il serait un espace de proposition pour les politiques publiques.
Rendre obligatoire la diffusion des chartes des droits des personnes âgées dépendantes dans les institutions et les services de soins et d'aide à domicile. Et garantir pour les établissements des normes de sécurité adaptées.
Assurer un financement pérenne aux expériences d'hébergements temporaire et d'accueil de jour.
Instaurer un congé-dépendance, voire familial, valable pour l'ensemble des circonstances de la vie.
Organiser le financement de groupes de parole permettant aux aidants familiaux d'échanger et de sortir de leur isolement.
Adapter les logements par des systèmes de prêts avantageux, proposer des formules d'habitat diversifiées intégrées dans la cité, prévoir un volet habitat dans les schémas gérontologiques départementaux.
Doter les services hospitaliers d'équipes mobiles de gériatrie, développer les hôpitaux de jour, renforcer la présence de professionnels sociaux dans les services de gériatrie.
(1) Vieillir en France - Enjeux et besoins d'une nouvelle orientation de la politique en direction des personnes âgées en perte d'autonomie.
(2) Dont 270 000 hébergées en établissements et 430 000 vivant à domicile.
(3) La mission préconise de développer les initiatives de prise en charge particulière de ces personnes en collaboration avec le FAS et d'engager une réflexion sur une amélioration de leurs conditions d'hébergement.
(4) Voir ce numéro.
(5) Un projet de décret en ce sens a d'ailleurs été annoncé par Martine Aubry. Voir ASH n° 2117 du 30-04-99.