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Des familles bâtissent leurs logements

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Dans la banlieue de Montbéliard, un partenariat rassemblant, notamment, des élus locaux, un organisme HLM et une association a permis la mise en place d'un dispositif original d'insertion globale pour les personnes en voie d'exclusion.

Des grands ensembles dégradés, abritant des logements sociaux construits dans les années 60 et des habitants cumulant les handicaps (chômage, illettrisme, échec scolaire, marginalisation...). Telle était, jusqu'en 1997, la situation d'un quartier de la commune de Bethoncourt, située à la périphérie de Montbéliard. A la place de ces immeubles disgracieux s'élèvent, aujourd'hui, des maisons individuelles aux façades en bois, entourées de petits jardins privatifs.

Ce changement radical est le résultat le plus visible du dispositif d'insertion globale mis en place grâce au partenariat engagé entre les élus locaux, la Société anonyme d'HLM de Franche-Comté (SAFC)   (1) (à la fois bailleur et maître d'ouvrage), l'association Julienne-Javel (2), chargée de la coordination de l'opération (en particulier avec les travailleurs sociaux du secteur), et une entreprise d'insertion spécialisée dans l'habitat en bois.

Favoriser la participation des usagers

Cette expérience originale associe un dispositif d'insertion par le logement, la participation des habitants à la construction des maisons en ossature bois et des actions de réinsertion professionnelle. L'opération, initiée en 1995, a servi de référence au programme Insertion globale par le logement et l'emploi (IGLOO) -France-Les toits de l'insertion.

« Le principe d'un tel dispositif, explique Frédérique Mozer, experte du programme IGLOO-France, consiste à utiliser l'implication des personnes en difficulté dans le projet de construction comme support de la relation éducative et de l'insertion par le logement et l'emploi. » Excluant toute séparation entre l'accès au logement et l'intégration professionnelle, la démarche est également fondée sur l'adaptation des outils existants aux situations particulières des populations.

Ainsi, le volet construction repose sur le choix de logements modulables en fonction de l'évolution de la composition des familles. « A l'origine, nous avions décidé de réaliser un habitat adapté aux grandes familles de ce quartier, note Pascal Lefèvre, ingénieur social et responsable de programme à la SAFC. Mais les grands logements, bâtis voici dix ans, sont, le plus souvent, occupés par des couples. Les enfants sont partis et le loyer est devenu trop cher. De plus, avec des familles nombreuses souvent recomposées, nous ne sommes pas sûrs qu'il y aura une nouvelle demande pour ce type d'habitat dans une dizaine d'années. » La décision est alors prise de mettre en chantier 16 logements permettant à une même famille de louer un T5 sur deux étages et un T2 entièrement indépendant. Et de se séparer d'un des logements, lorsqu'un enfant quitte le domicile.

Les responsables du projet ont cherché, en conséquence, à privilégier les foyers comportant au moins un adolescent de 16 ou 17 ans capable d'assumer les règles de vie dans un habitat « autonome ». Ils ont également tenté de favoriser la mixité culturelle et ethnique (le dispositif accueille des familles françaises, d'origine turque, kurde et algérienne). Et leur choix s'est porté, en priorité, sur les foyers dont le chef de famille était au chômage ou allocataire du RMI et qui comptaient des jeunes sans qualification et sans emploi.

Lever les réticences

Pourtant, dès la phase initiale de consultation, quelques familles vont se montrer extrêmement réticentes. « Pour certaines personnes, explique Pascal Lefèvre, la maison en bois, c'était du précaire, une sorte de chalet, ou bien cela évoquait les baraques de relogement d'après-guerre. D'autres craignaient de quitter un logement collectif, même dégradé et parfois mal famé, pour se lancer dans l'inconnu que représentait la prise en charge d'une maison individuelle. »

La sélection achevée, restait à impliquer les habitants dans la construction elle-même. Une étape importante. En effet, elle constitue un facteur d'appropriation de leur habitat et une passerelle vers le volet emploi du dispositif. A condition, bien évidemment, de ne pas en rester à une participation de principe, mais de réussir à engager ces personnes sans qualification et, la plupart du temps, en voie d'exclusion totale, dans le processus de fabrication des logements.

Voilà pourquoi la construction en ossature bois est privilégiée, dans la majorité des cas, dans le cadre du programme IGLOO. Cette technique permet de préparer, en atelier et sans aucune connaissance spécifique, les panneaux en bois, puis de les assembler sur le chantier. Pour Frédérique Mozer, ce système est particulièrement adapté aux populations en difficulté : « Avec les logements en structure bois, toute personne en situation d'exclusion peut, en étant encadrée bien sûr, fabriquer de A à Z sa propre maison. » Ce qui n'exclut pas pour autant, pour ce public ayant souvent perdu le contact avec le monde du travail, les difficultés relatives au réapprentissage des contraintes liées à la reprise d'activité. A l'image de cet allocataire du RMI, régulièrement absent les premiers mois, parce qu'il ne supportait pas la rupture avec sa famille.

Parallèlement à la remise en activité, un suivi individuel des personnes est engagé, afin d'examiner les opportunités de formation ou d'emploi. « L'objectif est de voir où elles en sont, quels sont leurs projets et de rechercher, avec elles, à quoi peut servir le chantier », précise Frédérique Mozer.

Pour certaines, c'est l'occasion d'entamer une formation de plombier, de poursuivre un CAP qui débouchera sur un emploi dans la vente ou, pour ce technicien en électricité, d'acquérir une compétence complémentaire sur le chantier. Le dispositif va d'ailleurs rapidement déborder le cadre initial, pour absorber des jeunes du quartier. Plusieurs d'entre eux, inactifs et sortis de l'ANPE depuis des années, vont ainsi retrouver une activité et permettre au chantier d'être intégré dans l'environnement. Prévenant, du même coup, d'éventuelles dégradations.

Plus de deux ans après l'emménagement des familles dans leurs nouveaux logements, les initiateurs de l'opération portent un regard globalement positif sur le dispositif. Ainsi, le volet logement paraît avoir atteint son objectif, en permettant à huit familles nombreuses d'accéder à un habitat, tout en les responsabilisant. « C'est silencieux, les enfants ont des endroits pour lire, une chambre pour faire leurs devoirs ou bien jouent dans le jardin, plutôt que de rester dans une cage d'escalier ou devant la télé. Tout cela a des répercussions sur les phénomènes d'absentéisme, de surconsommation de médicaments... », observent les responsables du projet.

Autre intérêt de l'expérience, elle maintient les habitants dans les dispositifs de droit commun :financement du bâti, statut de locataires (leur permettant ainsi de prétendre à une allocation de logement ou une APL), de stagiaires ou de salariés, ou encore consultation des entreprises (appels d'offres traditionnels). Cela évite aux populations d'effectuer des démarches nouvelles pour maintenir leurs acquis.

Une expérience valorisante

Quant au principe de l'autoconstruction, remarque Pascal Lefèvre, il favorise le développement de l'estime de soi : « Nous pensons qu'en associant le futur locataire à la construction, il prendra de la'valeur" aux yeux de son entourage, que sa famille, ses voisins porteront un regard différent sur lui. »

Reste, pour les organisateurs, à aller vers une simplification accrue des procédures afin de réduire les délais : deux ans, en moyenne, entre l'accord de principe des partenaires et l'entrée dans les lieux. Des délais souvent décourageants pour des populations en recherche de solutions rapides.

Côté accès à l'emploi, enfin, si les résultats sont loin d'être négligeables, ils mettent néanmoins en évidence la difficulté d'intégrer des populations très défavorisées dans des parcours professionnels classiques. Et la nécessité d'explorer de nouvelles voies. « Il faut développer des outils qui permettent d'abord une remise en activité et, ensuite, un retour à l'emploi », défend Frédérique Mozer.

L'expérience a, par ailleurs, mis en lumière la question du relais de l'opération par les services sociaux de secteur. « Ce type d'action transversale n'entre pas dans leur champ d'action traditionnel, déplore le coordonnateur de l'opération. De par les institutions dont ils dépendent, les travailleurs sociaux de secteur n'ont ni assez de temps, ni la possibilité d'avoir une vue suffisamment généraliste pour effectuer, dans des conditions idéales, un tel accompagnement. »

Henri Cormier

CONJUGUER ACCÈS AU LOGEMENT ET À L'EMPLOI

Depuis 1993, le programme Insertion globale par le logement et l'emploi (IGLOO) est le fruit d'une collaboration en Europe entre le Comité européen de coordination de l'habitat social, la Confédération européenne des syndicats et la FEANTSA, qui regroupe 50 organisations proposant des services aux sans-abri de 18 pays différents. Il s'efforce d'encourager les projets visant à permettre aux personnes défavorisées d'être acteurs à part entière dans la société, en leur offrant une aide sociale, un logement décent, des compétences et des possibilités d'emploi. Dans ce cadre est né, en 1997, le programme IGLOO-France-Les toits de l'insertion, porté par l'Union nationale des fédérations d'organismes HLM (3), la Fédération nationale des associations d'accueil et de réadaptation sociale (FNARS) et trois organisations syndicales (CFDT, FO et CFTC). Ce partenariat novateur soutient le montage de projets locaux encourageant la participation active des personnes défavorisées à la construction ou la réhabilitation de leurs futurs logements. Et ce, dans une démarche d'insertion globale, via l'accès au logement et à l'emploi. Ce programme s'adresse à des personnes ou familles en difficulté, voire marginalisées, pour lesquelles les solutions classiques d'accès au logement ordinaire ont été vainement explorées. A ce jour, environ 25 opérations d'autoréhabilitation et une quinzaine de projets d'autoconstruction ont été réalisés ou sont en cours, en milieu rural et urbain. Le programme cherche désormais à porter ses efforts sur l'emploi. Mais, pour Isabelle Sery, chargée de mission logement à la FNARS, « il faut pouvoir intégrer de nouvelles activités, en dehors du cadre strict du chantier. Il y a des pistes à explorer, comme les emplois de proximité, à examiner avec les partenaires de l'insertion par l'économique. »

Notes

(1)  SAFC : 34, rue de la Combe-aux-Biches - 25205 Montbéliard -Tél. 03 81 99 16 16.

(2)  Association Julienne-Javel : 2, Grande-Rue - 25220 Chalezeule - Tél. 03 81 21 21 21.

(3)  UNFOHLM : 14, rue Lord-Byron - 75008 Paris - Tél. 01 40 75 79 20.

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