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« ACCOUCHEMENT SOUS X : POURQUOI IL FAUT CHANGER LA LOI »

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Les conclusions du rapport Dekeuwer-Defossez sur la question sensible de l'accouchement sous X laissent perdurer les inquiétudes, déplore Pierre Verdier, président de la CADCO. Lequel réclame une réforme courageuse de la loi (1).

« [...] Après avoir montré l'importance de la vérité biologique, qui n'est pas la seule vérité en matière de filiation, mais qui en est une de moins en moins contestable, le rapport montre magistralement les inconvénients de ce qu'il appelle d'un terme impropre “l'accouchement anonyme”. Mais il conclut de ne pas remettre en cause la possibilité d'un accouchement anonyme. Demander à une femme qui déclare un enfant son identité a paru excessif [...]. »

« Le rapport propose seulement de faire disparaître les effets de la demande de secret sur le droit de la filiation. Actuellement, en effet, cette demande fait obstacle aux recherches en maternité (art. 341 du code civil). La commission a estimé cette disposition excessive, “une violence largement inutile” ». Bien sûr qu'il faut supprimer ce texte issu d'un amendement purement idéologique et qui n'a jamais été utilisé devant les tribunaux. Mais cela ne sert à rien si on ne supprime pas en même temps les articles 341-1 du code civil et 47 du code de la famille. En raison de l'anonymat maintenu, du secret professionnel, et de l'adoption plénière, “l'enfant aurait le droit de chercher, mais pas le droit de trouver”. D'autre part, l'immensité de ceux qui recherchent, souvent adoptés, ne veulent pas établir une filiation, mais connaître une origine. »

« Une ouverture cependant, le rapport évoque plus loin, à côté de l'accouchement anonyme maintenu pour les situations extrêmes, la possibilité de créer “un organisme ou des référents chargés d'une part de conserver dans la confidentialité l'identité de la femme ayant demandé le secret de son identité et, d'autre part de jouer un rôle de médiateur”, mais ces dispositions relèvent du droit social et non du droit civil. »

« Une loi folle »

« Alors que disons-nous ? Pour reprendre l'excellente formule de la pédopsychiatre Myriam Szejer, à propos de l'accouchement secret, “c'est une loi folle qui rend les gens fous”.

« Une loi folle : instaurée en 1941 par le régime de Vichy pour des motifs d'ordre moral et de “paix des familles”, maintenue sous la pression de lobbies de (certaines) familles adoptives en 1993, devenue d'une extrême complexité et d'une difficile lisibilité [...], ce système entraîne beaucoup de dérives juridiques (impossibilités matérielles pour le père de reconnaître son enfant, difficultés pour la mère qui se rétracte dans les délais de prouver qu'elle est la mère...).

« Qui rend les gens fous : l'absence de connaissance de son origine est une perte irréparable pour beaucoup de mères. D'aucuns affirment que ce serait un droit, une liberté des femmes. Toutes nous disent : je n'étais pas libre. J'ai subi les pressions de mes parents, de mon ami, des services sociaux. C'est aussi un vide existentiel pour l'enfant et une impossible répa- ration pour les adoptants. Ni les uns ni les autres ne s'en remettent, et de suicides en dépressions, ou avec la rage de savoir, ils traînent cette blessure toute leur vie.

« C'est un premier droit de l'Homme de savoir qui il est. Pourquoi il est là : l'humanité commence avec l'Histoire, la trace du passé et le culte possible des morts. La suppression du nom, des inscriptions, des registres, des états civils- l'actualité nous le rappelle douloureusement - a toujours été une forme de dépossession de la personne utilisée dans toutes les pratiques d'esclavage, de génocide ou de déportation.

« De plus, la France a ratifié et transgresse des conventions internationales qui reconnaissent le droit à l'identité comme un premier droit de l'Homme : la Convention internationale des droits de l'Enfant essentiellement. »

« La parole des sans-parole. Jusqu'ici, ce sont les “spécialistes” qui ont confisqué la parole des personnes concernées. Mais les choses vont changer parce qu'aujourd'hui celles-ci commencent à sortir du silence et à s'exprimer à la télévision, dans la presse, dans les livres. Quel est le discours, cohérent, construit, des associations d'abandonnés et d'adoptés, des familles d'adoption, des mères d'origine qui sortent de l'ombre ? Elles nous disent que la vérité pour un enfant adopté, c'est qu'il a une mère d'origine et une famille d'adoption et qu'il ne peut vivre pleinement que s'il est au clair avec toutes ses filiations. »

De nécessaires évolutions

« La prise de conscience politique. Depuis peu, plusieurs rapports officiels ont traité cette question  leurs conclusions convergent vers de nécessaires évolutions : »

  « le rapport du Conseil d'Etat Statut et protection de l'enfant de mai 1991 proposait un organe de médiation, le Conseil pour la recherche des origines familiales 

  « le rapport au secrétaire d'Etat à la famille, aux personnes âgées et aux rapatriés établi en 1993 : Affirmer et promouvoir les droits de l'Enfant  

  « le rapport Mattei : Enfant d'ici, enfant d'ailleurs maintenait le secret de l'accouchement, mais proposait le recueil de “renseignements non identifiants”  

  « le rapport du médiateur au président de la République et au Parlement de 1997 soulignait les difficultés provoquées par la confusion des textes actuels 

  « le rapport de la commission d'enquête parlementaire présidé par Laurent Fabius Droits de l'enfant, de nouveaux espaces à conquérir du 12 mai 1998 propose d'aménager l'accouchement “sous X” en organisant le recueil des informations et leur communication “sur la base d'une demande commune de la mère et de l'enfant pendant la minorité de celui-ci, et une levée de plein droit, à la demande du seul enfant mais sous réserve de l'information de la mère, à l'âge de 18 ans”  ;

  « enfin, le rapport d'Irène Théry : Couple, filiation et parenté aujourd'hui. Le droit face aux mutations de la famille et de la vie privée du 14 mai 1998 en demande la suppression pure et simple. [...]

Une réforme possible

« C'est pourquoi une réforme paraît maintenant possible. Nos propositions s'articulent autour de quelques idées simples. »

« Il y a trois moments et trois lieux où s'organise le secret : on accouche à l'hôpital, on déclare l'enfant à l'état civil tenu par la mairie, on remet l'enfant pour adoption au service de l'aide sociale à l'enfance, ou à un organisme autorisé. »

« C'est donc autour de ces trois lieux que nous proposons des réformes :

  « [...] Que l'accouchement protégé remplace l'accouchement anonyme. « La pratique de l'accouchement anonyme est une survivance de dispositions anciennes qui n'ont plus de justifications rationnelles aujourd'hui. Par son caractère irréversible, il apparaît comme une amputation et pour la mère et pour l'enfant, ainsi que la source de bien des trafics (reconnaissances abusives, privation pour le père du droit d'établir sa filiation, difficultés en cas de levée du secret...). Il y a moyen de garantir la nécessaire protection des mères en difficulté et les droits de l'enfant.

« La possibilité d'un secret de l'admission à l'hôpital pourrait être maintenue pour les cas exceptionnels où la discrétion s'impose, mais cela suppose que le nom soit donné, des renseignement recueillis et tenus secrets sauf en ce qui concerne leur transmission à l'enfant. Le but est de protéger la mère par rapport aux tiers, voire à sa famille. Ce serait de toute façon sans incidence sur la mention obligatoire de la filiation dans l'acte d'état civil. On passera de l'accouchement secret à l'accouchement protégé, selon la formule du docteur Delassus.[...] »

  « Permettre à tout individu de connaître son origine maternelle et paternelle. « La filiation n'appartient pas aux seuls parents, mais à l'évidence aussi aux enfants concernés. On ne peut plus accepter que l'établissement de la filiation ne dépende que du seul bon vouloir des adultes.

« Nous demandons que le nom de la mère et le nom du père soient systématiquement déclarés dans l'acte de naissance, comme c'est le cas dans la plupart des pays d'Europe. C'est ainsi qu'au Portugal, si ces indications ne figurent pas sur les registres de naissance, les services d'état civil émettent un avis qui est transmis au tribunal aux fins de recherches. “L'intérêt public de l'établissement de la filiation et l'intérêt privé de l'enfant ont la priorité sur le désir de la mère de maintenir l'anonymat”, disait Pascale Boucaud au cours du colloque CADCO du 4 février 1998. Bien sûr, cela peut provoquer des craintes chez les vieux défenseurs de l'irresponsabilité masculine, mais c'est une question de justice : “Avoir un enfant, c'est transmettre quelque chose et en être comptable.” Nous ne demandons pas que les pères et mères soient poursuivis de façon policière, mais simplement d'inciter à cette nomination. Affirmer l'obligation sera globalement respecté, même sans poursuites. C'est en effet le rôle de la loi de définir des normes.

  « Faciliter à tout individu l'accès aux informations qui le concernent. « Cela suppose, en cas de recueil par les services d'aide sociale à l'enfance ou des organismes autorisés pour l'adoption, tout d'abord que des informations objectives, c'est-à-dire exemptes de tout jugement inutile, soient recueillies et que l'intéressé puisse y avoir accès. Pour cela nous proposons la mise en place de l'organisme de médiation que le Conseil d'Etat a appelé dans son rapport de 1991 [...].

« Celui-ci aura deux objectifs : »

-  « pour les situations passées, faciliter les mises en relation dans le respect des engagements pris, c'est-à-dire recherche des parents, recueil de leur volonté, accompagnement psychologique et rapprochement des deux parties. Il s'agit de situations délicates, en effet, qu'on ne peut laisser aux initiatives individuelles ni à des officines mal qualifiées, comme cela se fait actuellement. Cet organisme aurait aussi un rôle de conseil dans les démarches administratives et juridiques qui dès maintenant sont ouvertes aux intéressés mais sont mal connues 

-  « pour les situations nouvelles, après suppression du secret de l'accouchement, aide et accompagnement dans les éventuelles rencontres, notamment pour les personnes adoptées.

« Bien évidemment, beaucoup de ces recherches et contacts se dérouleront comme aujourd'hui au niveau départemental, directement auprès des services de l'aide sociale à l'enfance qui font souvent un excellent travail. Cet organisme interviendra seulement comme un recours, sur saisine des intéressés, parents d'origine, adoptés, familles d'adoption, et sur demande des services administratifs et d'organismes d'adoption.

Le droit de l'enfant à son histoire

« Il ne s'agit nullement de remettre en cause l'adoption plénière. Au contraire, celle-ci se trouverait renforcée de cet ensemble de dispositions. Son rôle est de donner, le plus tôt possible, des parents à un enfant qui en est dépourvu. Elle est incontestablement une chance pour ces enfants ainsi que pour les couples sans enfants. Mais, l'expérience des adoptions réussies le montre, elle ne peut être pleinement heureuse que lorsqu'elle ne s'appuie pas sur le déni d'une origine biologique différente, mais au contraire quand elle respecte le droit de l'enfant à connaître la totalité de son histoire. »

« Dans l'avant-propos du rapport remis à Madame la ministre de la Justice, Françoise Dekeuwer-Defossez conclut “d'autres instances doivent maintenant relayer [nos] débats. Les dossiers sont ouverts, des solutions suggérées. Sur ces questions de société, c'est à la société dans son ensemble de prendre parti.” Le débat est ouvert. Nous faisons donc appel au législateur pour qu'il abandonne les vieilles peurs et les frilosités, et qu'il ait le courage de changer la loi. »

Pierre Verdier Président de la Coordination des actions pour le droit à la connaissance des origines (CADCO), par ailleurs ancien DDASS et directeur de la fondation La vie au grand air : 40, rue Liancourt - 75014 Paris -Tél. 01 53 91 23 23.

Notes

(1)  Sur l'ensemble des réactions, voir également ce numéro.

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