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Enfance maltraitée : « Renouveler sans cesse l'information »

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 C'est aujourd'hui que se tient, à l'Unesco, la journée nationale de l'enfance maltraitée. L'occasion de dresser le bilan des dix ans de la loi du 10 juillet 1989 sur la prévention des mauvais traitements à enfants. Un texte qui, s'il a permis une clarification des responsabilités et une prise de conscience, ne peut vivre que grâce à la mobilisation des professionnels, rappelle Hélène Dorlhac, qui a donné son nom à la loi.

Actualités sociales hebdomadaires  :Secrétaire d'Etat à la famille dans le gouvernement Rocard, vous êtes à l'origine de la loi du 10 juillet 1989 sur la maltraitance (1). Dix ans après, quel regard portez-vous ? Hélène Dorlhac  : Il me semble important, je crois, de rappeler le contexte dans lequel cette loi a été votée. Il y avait, alors, de graves dysfonctionnements dans la prise en charge des jeunes maltraités et certains retards avaient même abouti à des décès d'enfants. De plus, la décentralisation venait de placer sous l'autorité du président du conseil général, l'aide sociale à l'enfance, la PMI et l'action sociale. Il était donc nécessaire de prendre un texte législatif qui modifie et mette à jour le code de la famille et de l'aide sociale en ce qui concerne l'enfance maltraitée. Je peux dire, en tout cas, que cette loi, qui a été le fruit d'une très large concertation avec les professionnels, répondait bien aux difficultés rencontrées. D'ailleurs, fait notable, elle a été votée à l'unanimité par le Parlement. Quels étaient ses aspects novateurs ? - Cette loi a d'abord clarifié les responsabilités entre les services de l'Etat, en particulier la Justice, et les services du département. Elle a confié clairement aux présidents des conseils généraux, l'obligation de mener des actions de prévention des mauvais traitements et d'organiser le recueil des informations concernant les enfants victimes. Ce sont eux également, qui doivent prévoir la prise en charge rapide des enfants maltraités, en liaison avec les autorités judiciaires. Mais l'autre mérite de la loi a été d'instituer la formation initiale et continue de tous les personnels au contact de l'enfance, qu'ils soient travailleurs sociaux, médecins, magistrats ou gendarmes. Enfin, elle a créé un numéro d'appel national, le 119, Allô Enfance maltraitée, financé par l'Etat et les département. La loi a-t-elle bien rempli son rôle ? - Oui, au sens où elle a réellement suscité une dynamique et une prise de conscience autour de l'enfance maltraitée. Néanmoins, j'éprouve quelques regrets. Le grand public n'est toujours pas suffisamment averti des lieux où il peut signaler les situations de maltraitance. Bon nombre de personnes se demandent encore si elles doivent avertir les services judiciaires ou les services sociaux. Et, malheureusement, malgré le million d'appels traité chaque année, le 119 reste encore très mal connu, signe que l'information est sans cesse à renouveler. Autre aspect négatif : les formations des personnels sont trop cloisonnées et catégorielles. Elles ne facilitent guère le partenariat et la coordination sur le terrain. Or, cette loi ne peut vivre que s'il existe une réelle mobilisation de l'ensemble des acteurs au niveau local. Il est essentiel que les partenaires concernés se rencontrent sur des cas concrets pour évaluer et organiser ensemble le suivi des situations. En renforçant l'obligation de signalement, la loi n'a-t-elle pas contribué à la judiciarisation de la maltraitance, dont s'alarme régulièrement l'ODAS ? - C'est vrai qu'il y a beaucoup de saisines judiciaires directes par les personnels de l'Education nationale ou le grand public. Et les chiffres de l'ODAS

- 83 000 enfants en risque et maltraités en 1998 - ne recouvrent que les cas signalés à l'aide sociale à l'enfance et sont donc minorés par rapport à la réalité du phénomène. Tous les signalements transmis directement au procureur de la République ne sont pas comptabilisés et les parquets ne sont pas à même de fournir des données précises. Au-delà du manque d'information du public sur les circuits de signalement, je crois que la coordination entre les services demeure insuffisante sur le terrain. Il y a, bien sûr, des protocoles d'accord signés entre l'Education nationale, la Justice et les services du département, mais encore faut-il les faire vivre au quotidien !

Certains travailleurs sociaux sont parfois licenciés ou sanctionnés abusivement par leur employeur pour avoir dénoncé des situations de maltraitance au sein de leurs institutions. Comment réagissez-vous ? - Malheureusement, alors qu'on constate une montée des violences institutionnelles, seules 81 affaires ont été signalées en 1998 et ont donné lieu systématiquement à la saisine du procureur de la République. C'est vrai qu'il y a un paradoxe entre l'obligation de dénoncer et le fait d'être sanctionné pour avoir accompli son devoir. Mais les conséquences sont trop graves. Tous les cas de maltraitance doivent être absolument dénoncés et je ne peux que me réjouir de la volonté du ministère de réfléchir à un système de protection des salariés concernés. Propos recueillis par Isabelle Sarazin

Combien d'enfants maltraités ?

Le recueil d'informations statistiques sur la maltraitance à enfant reste difficile, en raison de la disparité des données. Aux évaluations de l'Observatoire national de l'action sociale décentralisée  (ODAS), recueillies auprès des conseils généraux (2), s'ajoutent les mesures d'assistance éducative ordonnées par les juges des enfants (115 675 mineurs en danger concernés en 1997, soit une augmentation de 6 % en trois ans). Il faut également prendre en compte le nombre de situations de maltraitances qui ont donné lieu à une investigation policière ou de gendarmerie (19 499 cas en 1997) et, parfois, à une sanction pénale (7 127 condamnations prononcées en 1997). La direction de l'action sociale relève que les chiffres de la police et de la gendarmerie font état d'un nombre d'abus sexuels deux fois plus importants que celui recueilli par l'ODAS. Ce qui rend nécessaire d'élargir le recueil des informations chiffrées aux parquets.

(Source : Direction de l'action sociale)
Priorité à la lutte contre les violences en établissements

Texte fondamental, la loi Dorlhac du 10 juillet 1989 a été renforcée par la loi du 17 juin 1998 relative à la prévention et la répression des atteintes sexuelles et à la protection des mineurs (3). Par ailleurs, de nombreuses circulaires émanant de différents ministères ont appelé à la vigilance et la rigueur face aux situations de maltraitance. Dans le cadre de la journée nationale de l'enfance maltraitée, Dominique Gillot, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale, doit présenter les nouvelles mesures destinées à améliorer le dispositif de prise en charge, dévoilées le 22 septembre, en conseil des ministres. Il s'agit, en priorité, de renforcer la lutte contre les violences institutionnelles et la protection des salariés auteurs de signalements. D'autres dispositions visent à renforcer la prévention et à améliorer la prise en charge et le suivi des enfants victimes.

Renforcer la lutte contre les violences en établissements

Depuis quelques mois, des professionnels de la protection de l'enfance s'alarment des procédures de licenciement et de sanctions abusives dont sont victimes certains d'entre eux pour avoir révélé des violences contre des enfants survenues au sein de leurs établissements. Et quelques-uns réclament un statut protecteur pour les travailleurs sociaux, auteurs de signalements aux autorités judiciaires, de même nature que celui existant pour les représentants du personnel (4). Dominique Gillot a annoncé officiellement qu'un dispositif permettant d'assurer la protection des salariés ayant témoigné ou porté à la connaissance de leur employeur, ou de toute autorité publique, des actes de maltraitance était à l'étude. La direction des relations du travail est saisie de cette question. Par ailleurs, le guide Prévenir, repérer et traiter les violences à l'encontre des enfants et des jeunes dans les institutions sociales et médico-sociales, adressé aux directions départementales des affaires sanitaires et sociales en juillet, va être prochainement publié.

Mieux former les acteurs de la protection

La prévention de l'enfance maltraitée sera systématiquement intégrée dans la formation des professionnels de l'enfance, particulièrement ceux des secteurs social, scolaire et de l'éducation spécialisée. De même, cette dimension devra être mieux prise en compte dans le cadre de la formation continue des médecins, des magistrats, des fonctionnaires de police et des militaires de la gendarmerie.

Développer les partenariats

La signature de conventions entre les services de l'Etat et ceux des départements va être encouragée. Notamment, les secteurs de psychiatrie infanto-juvénile sont invités à conclure des protocoles avec les services de l'aide sociale à l'enfance et de la protection judiciaire de la jeunesse. Enfin, les compétences des pôles de référence régionaux, chargés de coordonner l'accueil et le suivi des victimes d'abus sexuels (5), seront étendues à l'ensemble des victimes de maltraitance.

Mettre en place des outils statistiques

Pour pallier le manque de données statistiques sur ce phénomène, le groupe permanent interministériel pour l'enfance maltraitée va lancer deux études. L'une recensera et analysera les signalements reçus par l'autorité judiciaire ; l'autre, les décès et les handicaps, y compris psychologiques, consécutifs à des actes de maltraitance. Sophie Courault

Notes

(1)  Hélène Dorlhac est actuellement inspectrice générale des affaires sociales.

(2)  Voir ASH n° 2133 du 17-09-99.

(3)  Voir ASH n° 2077 du 26-06-98 et n° 2081 du 21-08-98.

(4)  Voir ASH n° 2119 du 14-05-99 et n° 2129 du 20-08-99.

(5)  Voir ASH n° 2029 du 27-06-97.

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