Le groupe de travail présidé par Françoise Dekeuwer-Defossez, professeur de droit à l'université de Lille-II, a remis, le 14 septembre à Elisabeth Guigou, ministre de la Justice, son rapport Rénover le droit de la Famille. Propositions pour un droit adapté aux réalités et aux aspirations de notre temps (1).
Outre une série de propositions sur l'égalité et la sécurité des filiations, ainsi que sur l'autorité parentale, présentées dans notre précédent numéro (2), la commission formule des recommandations visant, d'une part, à moderniser le mariage et, d'autre part, à dédramatiseret assouplir les procédures de divorce. Des mesures complémentaires cherchent à améliorer la protection du conjoint survivant. Toutes sont fondées sur la mise en œuvre des principes de « liberté, égalité et responsabilité », qui, aujourd'hui, explique l'universitaire, « gouvernent les époux ».
« Si le mariage n'est certes plus le pilier unique autour duquel s'organise le droit de la famille », reconnaît la commission, « il demeure cependant l'institution la plus achevée ». Quelques préconisations tendent, non pas à réformer le mariage, mais à l'actualiser dans le sens d'une unification de la capacité matrimoniale et d'une simplification du droit des oppositions et des nullités.
En premier lieu, il est envisagé de relever l'âge minimum de mariage des femmes de 15 ansà 18 ans (âge actuellement retenu pour le mariage des hommes). « La question ne concerne pas seulement l'égalité des sexes » il s'agit surtout « de libérer définitivement le mariage de la pression familiale, puisque les futurs époux seront par hypothèse majeurs ». De même, le consentement des parents au mariage de leurs enfants deviendrait un point résiduel (3).
Enfin, il est proposé de supprimer les oppositions familiales au mariage, pour ne laisser subsister que celles du ministère public.
Constatant que la loi de 1975 n'a pas complètement réussi à « dédramatiser » le divorce, le groupe de travail a poursuivi ses réflexions dans trois directions : la promotion des accords entre époux divorçants, l'assouplissement des procédures et « la justice » dans l'apurement des règlements financiers.
Les accords entre époux divorçants présentent de multiples avantages, souligne le document. Ils correspondent à « la promotion de l'autonomie des volontés dans le domaine des rapports de couple ». En outre, ils permettent généralement l'adoption de solutions mieux adaptées aux situations particulières, que les mesures, « souvent stéréotypées », reprises dans les écrits judiciaires. Décidées librement, les dispositions prévues par les accords sont bien mieux appliquées en fait. Enfin, ces arrangements « attestent d'une attitude de responsabilité ».
La commission a rencontré un « consensus à peu près unanime » en faveur d'un allégement de la procédure actuelle de divorce sur requête conjointe. En revanche, elle n'est pas parvenue « à une unanimité au regard de la possibilité de supprimer le contrôle judiciaire de ces accords ».
« Dans une proportion significative de cas », relève Françoise Dekeuwer-Defossez, la seconde comparution des parties devant le juge aux affaires familiales est perçue « comme inutile aussi bien par les époux que par le juge et les avocats ». Aussi, se prononce-t-elle en faveur d'une seconde comparution facultative, devant ce magistrat.
Cette dispense de seconde audience serait toutefois subordonnée à deux conditions :
• une volonté suffisamment ferme et éclairée des époux à vouloir divorcer
• et un règlement global etsatisfaisant des effets du divorce.
Par ailleurs, la commission n'a pas jugé opportun de revenir sur la possibilité pour les époux de choisir un avocat commun.
La question du « divorce sans juge », suggérée dans le rapport d'Irène Théry Couple, filiation et parenté aujourd'hui (4) et reprise à son compte par la ministre de la Justice, a suscité de vifs débats au sein du groupe de travail. Celui-ci l'a, finalement, dans sa majorité, rejeté. Il a considéré que « la présence du juge et des avocats est, en effet, de nature à écarter le risque de concessions déraisonnables arrachées à un conjoint pressé de divorcer ». En outre, « les exigences formulées, en termes de délais d'intervention des professionnels du droit, limitent considérablement l'intérêt [du divorce sans juge] , sans pour autant apporter les garanties considérées comme minimales ».
En raison de l'ampleur et de la complexité d'une éventuelle réforme du droit des successions, le rapport se contente d'avancer quelques suggestions destinées à protéger le conjoint survivant et à renforcer les donations entre époux.
En l'absence de descendants, le conjoint viendrait en concours avec les père et mère du défunt, et primerait sur les collatéraux privilégiés (frères et sœurs, neveux et nièces...) (5).
En présence d'enfants, ceux-ci auraient la faculté d'exiger leur réserve en pleine propriété en contrepartie d'un avantage qu'ils consentiraient au conjoint. Les auteurs posent comme principe que « l'époux survivant reçoit l'entier usufruit des biens existant au décès ». Néanmoins, chacun des enfants ou descendants aurait la faculté d'exiger sa part réservataire en pleine propriété. Dans ce cas, celui qui exerce ce droit devrait « en contrepartie renoncer à ses droits dans la quotité disponible ». Si la commission ne juge pas souhaitable de reconnaître un droit à la réserve au conjoint survivant, elle propose cependant de consacrer le droit du conjoint survivant au maintien dans son logement et d'affirmer que le devoir de secours entre époux survit à la charge de la succession, au profit du conjoint qui se trouve, du fait du décès, dans le besoin.
Les recommandations du groupe de travail visent à :
• revenir sur la libre révocabilité des donations entre époux, qui « apparaît comme la survivance d'une très ancienne hostilité du législateur envers les libéralités conjugales, dont la justification ne se comprend plus »
• déclarer irrévocables les donations de biens présents entre époux, même dans le cadre du divorce
• valider la pratique des donations de biens à venir entre époux.
Enfin, en matière de modification du régime matrimonial, la commission propose de supprimer le contrôle judiciaire sur le changement de régime matrimonial.
La commission a cherché « à éradiquer les défauts » qui ont entravé le « développement statistique » de la procédure de divorce par consentement mutuel sur demande acceptée. En premier lieu, elle supprime toute référence à la faute dans cette forme de divorce.
De plus, à l'heure actuelle, le demandeur court le risque, si sa demande est rejetée, d'avoir à recommencer toute la procédure sur un autre fondement. Aussi, les auteurs proposent-ils de « créer un tronc commun procédural qui permettrait à chaque époux de provoquer une audience de conciliation sans avoir à prendre parti au préalable sur le choix de la cause de divorce ».
Le rapport juge utile de « faire expressément mention de lamédiation familiale au titre des mesures que le juge peut prendre au moment de l'audience de non-conciliation ». Il propose, par ailleurs, « qu'une rencontre devant un médiateur puisse être imposée aux parents en cas de litige récurrent ou irréductible, postérieurement à la séparation ou au divorce » (6).
Les auteurs cherchent à dédramatiser le divorce sans nier « l'épreuve qu'il représente ». Pour cela, le fondement du divorce doit être « le simple constat de l'échec d'un couple » et non pas « la sanction d'une faute ». De plus, certaines recommandations de procédure prétendent apaiser les conflits plutôt que de les exacerber.
Si « la suppression radicale du divorce pour faute a été écartée à l'unanimité par le groupe de travail »,celui-ci exprime, toutefois, le souhait de voir son nombre régresser, de sorte que le divorce pour rupture de la vie commune « devienne un véritable divorce pour cause objective ».
A cet effet, il propose de réduire de 6 ansà 3 ans le délai nécessaire en cas de divorce pour séparation de fait ou d'altération des facultés mentales.
En outre, le divorce pour rupture de la vie communepourrait être « banalisé », par le fait que les demandes reconventionnelles (7) obéiraient à un tronc commun des divorces et « pourraient, éventuellement, aboutir à un divorce aux torts partagés ». Toutefois, dans la mesure où ce divorce peut actuellement être « imposé à un époux non fautif qui ne le souhaite pas », les rapporteurs proposent le maintien des trois règles spécifiques suivantes :
• toutes les charges du divorce sont supportées par le demandeur
• l'interdiction absolue d'attribuer une prestation compensatoire au demandeur
• le maintien de la clause de dureté, qui permet au juge de refuser le divorce, si le défendeur fait état de conséquences matérielles ou morales d'une exceptionnelle dureté.
Le groupe de travail a estimé « qu'aucun impératif ne justifiait de supprimer l'une des étapes » de la procédure de divorce. En effet, précise-t-il, « lorsque la durée des divorces est excessive, c'est en raison d'un engorgement des tribunaux ou des cours d'appel et non pas à cause de la malfaçon des textes ». En revanche, certaines dispositions en vigueur pourraient être améliorées.
Pour les auteurs, lors de la requête initiale, le requérant ne devrait pas indiquer sur quel cas de divorce il entend se fonder. On irait ainsi, selon eux, « vers une nette dédramatisation à ce stade de la procédure ». C'est seulement au stade de l'instance de divorce que l'époux demandeur devrait préciser le cas de divorce sur lequel il entend se fonder.
Par ailleurs, actuellement, un époux qui forme une requête en divorce peut, avant même que son conjoint soit averti de l'existence d'une procédure, obtenir du juge des mesures urgentes prises sans que son conjoint soit appelé à la procédure. Pour remédier à cette situation, le rapport recommande lasuppression des mesures non contradictoires. Toutefois, conscient de la nécessité de prendre parfois des mesures urgentes, il se prononce en faveur d'un « texte permettant au juge de dispenser un époux de cohabiter, et même d'interdire si nécessaire, à l'autre conjoint de paraître à la résidence de la famille ».
L'audience de conciliation aurait désormais deux objectifs, selon les circonstances :
• le principe du divorce est acquis si les deux époux reconnaissent le caractère intolérable du maintien de la vie commune et acceptent le principe d'un divorce sans torts
• à défaut, comme auparavant, elle permettrait de constater que la conciliation est impossible.
De plus, le groupe souhaite que soit maintenu le devoir pour le juge « d'amener les époux à régler à l'amiable les modalités de leur séparation, et la confidentialité des débats ».
Pour résoudre « le problème irritant » des dettes ménagères, Françoise Dekeuwer-Defossez suggère que l'ordonnance de non-conciliation soit publiée au répertoire civil.
Enfin, elle s'est penchée sur la question de la date des effets du divorce : « entre les époux, la date du divorce devrait être fixée à l'ordonnance de non-conciliation ».
Constatant que les effets pécuniaires du divorcesuscitent actuellement de très graves difficultés, la commission propose de supprimer la révocabilité des donations de biens entre époux, d'aménager le régime de la prestation compensatoire et de limiter la durée des liquidations.
Le rapport défend l'idée du versement de la prestation compensatoire sous forme de capital et non plus de rente « potentiellement source d'injustice, et dont la charge apparaît, au fil du temps, insupportable ».
Il propose également de créer un lien entre la prestation compensatoire et le partage des biens des époux, « l'attribution d'un bien commun ou indivis en tant que prestation compensatoire devenant progressivement la règle ». Cela impliquerait « que le juge tienne compte du résultat de la liquidation du régime matrimonial avant de fixer la prestation compensatoire, et que le versement de cette prestation puisse être différé jusqu'à la liquidation du régime matrimonial ».
Dans l'hypothèse où la prestation compensatoire serait versée sous la forme d'une somme d'argent, la commission propose de limiter à 5 ans la durée de constitution du capital, et d'étudier les moyens permettant d'en garantir le versement, entre autres par une assurance vie.
Les auteurs posent le principe selon lequel « les rentes de prestation compensatoire ne [pourraient] plus être allouées que par décision judiciaire spécialement motivée constatant que le créancier se trouve, du fait du divorce, sans ressources suffisantes et sans aucun moyen de s'en procurer ».
Au décès du débiteur, ils proposent de « soustraire de plein droit du montant de cette rente la pension de réversionéventuellement versée du chef du conjoint décédé ». Le surplus de la rente serait alors prélevé « sur l'hérédité, par capitalisation ou affectation du produit de certains biens, sans que les héritiers aient à effectuer les versements sur leurs propres revenus ».
Enfin, les rentes pourraient êtrerévisées, mais uniquement à la baisse. Elles seraient supprimées en cas de remariage ou de concubinage du créancier.
Le rapport appelle de ses vœux un « volet fiscal substantiel ». L'objectif étant de procéder à une étude complète des « incidences des règles fiscales actuelles, et de les repenser dans un esprit de souplesse et d'équité envers les époux divorçants ».
La durée excessive des liquidationsconsécutives aux divorces est souvent critiquée, relèvent les auteurs. Pour trouver les moyens d'une plus grande rapidité, la commission propose « d'enfermer » la liquidation dans undélai légal de un an après le divorce, pouvant être porté à 3 ans par décision du juge aux affaires familiales.
S. C.
(1) Voir ASH n° 2133 du 17-09-99.
(2) Voir ASH n° 2133 du 17-09-99.
(3) Le consentement des parents resterait nécessaire en cas de mariage de leur enfant en tutelle (article 506 du code civil).
(4) Voir ASH n° 2072 du 22-05-98.
(5) Dans l'état actuel du droit, les père et mère et les frères et sœurs du défunt se trouvent réunis au sein d'un même ordre et se partagent la succession.
(6) Voir ASH n° 2133 du 17-09-99.
(7) La demande reconventionnelle, établie par l'autre époux (le défendeur), invoque les torts de celui qui a pris l'initiative du divorce (articles 241 et 245 du code civil).