En 1995, une enquête de l'inspection générale des affaires sociales (IGAS) constatait que de nombreux traumatisés crâniens lourdement handicapés restaient à la charge de leur entourage, faute de structures médico-sociales appropriées. C'est pour pallier le manque d'articulation entre les versants sanitaire et social des prises en charge et la quasi-inexistence de services en aval de la réadaptation fonctionnelle, que la circulaire du 4 juillet 1996 créait les unités d'évaluation, de réentraînement et d'orientation sociale et professionnelle (UEROS) (1). Il s'agissait d'élaborer un dispositif coordonné permettant la mise en place progressive, sur cinq ans, au plan régional ou interrégional, d'unités rattachées à des centres de préorientation. Il en existe actuellement dans la presque totalité des régions, soit une vingtaine en France.
Forte d'une expérience de plus de 20 ans en matière de rééducation et d'insertion des personnes cérébro-lésées, l'association Ladapt, qui gère le centre de Soisy-sur-Seine (Essonne) (2), répond à l'appel d'offres lancé en 1996. Son projet est retenu et l'UEROS ouvre ses portes en juin 1997.
Financée par l'assurance maladie, l'unité accueille pour quatre mois et demi, en internat ou semi-internat, 20 adultes victimes d'un traumatisme crânien ou d'une lésion cérébrale acquise non traumatique. Orientés par la commission technique d'orientation et de reclassement professionnel (Cotorep), qui les a reconnus travailleurs handicapés, ils bénéficient du statut de stagiaires de la formation professionnelle et sont rémunérés.
Encore mal connu et pas toujours détectable à première vue, le handicap cérébral - qui n'est ni la débilité ni une maladie mentale -entraîne des séquelles complexes. Les fonctions susceptibles d'être altérées sont multiples : mémoire, compréhension, concentration, parole, orientation, équilibre, motricité, capacités sensorielles. Surtout, le handicap bouleverse l'identité de la victime, progressivement contrainte de faire le deuil de la personne qu'elle était auparavant et dont elle conserve le souvenir. Cette transformation ne va pas sans troubles du caractère et du comportement : passivité, inaptitude à l'autocritique, irritabilité, voire agressivité, qui risquent de détériorer ses relations avec ses proches.
Le candidat à un séjour en UEROS doit manifester lui-même sa volonté de se réinsérer. Il n'est admis que deux ans après son accident ou sa sortie du centre de rééducation. En effet, à la suite de son hospitalisation, le patient doit retourner chez lui pour récupérer, prendre conscience de ses manques, même s'il a tendance à les nier et à donner le change. Une attitude qui, en trompant les observateurs non avertis, est souvent source d'échec.
Les candidats sont reçus au cours d'une journée d'accueil, soit à Soisy, soit dans l'une des antennes de l'hôpital de Garches ou Foch à Suresnes. Après leur admission, les stagiaires rencontrent tous les professionnels, pour une évaluation qui dure trois semaines. L'observation porte sur les domaines médical, neuropsychologique, fonctionnel, professionnel et socio-familial.
En vue d'apprécier l'incidence des troubles neuropsychologiques sur les activités quotidiennes, une évaluation dite « écologique » est menée, à partir de l'observation de la personne en situation réelle. Utilise-t-elle une stratégie ? A-t-elle une attitude de fuite ? Il s'agit de mesurer son aptitude à se débrouiller seule.
A l'issue de l'évaluation, la synthèse des résultats recueillis par tous les professionnels de l'UEROS est restituée à l'intéressé, en présence d'un membre de sa famille. Un moment douloureux pour celui-ci qui réalise l'ampleur des séquelles. Ce premier bilan permet de mettre au point un parcours adapté à chaque stagiaire, qui se voit proposer un contrat visant un double objectif : améliorer son autonomie globale et élaborer un projet d'insertion. « Il y a souvent un décalage entre la vision des familles et ce que nous proposons, remarque Raquel Secades, neuropsychologue, chef de service. Mais il est important qu'elles comprennent notre démarche et entendent leur proche se positionner, afin que celui-ci ne se trouve pas pris entre deux feux. C'est un moment clé pour le stagiaire, qui doit faire la part des choses entre son désir et la réalité. »
On estime à 4 pour 1 000 la proportion de traumatisés crâniens dans la population française. Et l'on compte quelque 170 000 nouvelles hospitalisations par an dont 60 % sont dues à des accidents de la circulation. La majorité des victimes sont des 15-30 ans et les trois quarts des hommes. Provoqué par un choc, le traumatisme crânien est une lésion du tissu cérébral entré en brusque contact avec la boîte crânienne. Il s'accompagne souvent d'une perturbation de l'état de conscience, allant d'une confusion minime à un coma profond. Il entraîne généralement une altération des fonctions cognitives et mentales et peut occasionner des troubles du comportement.
Le stagiaire entame alors la deuxième phase de son séjour, qui va durer 12 semaines. Lui est offert un choix de six modules d'activités, qu'il pourra exercer individuellement ou en groupe dans divers ateliers : vie pratique, communication rééducation cognitive avec l'orthophoniste, application de stratégies, groupe mémoire entretiens thérapeutiques réentraînement sur ordinateur travail du bois sensibilisation professionnelle loisirs. Les emplois du temps individuels sont modulables en fonction des progrès.
Les premiers temps, les stagiaires sont en général très angoissés. Ils ont, en effet, perdu l'habitude de se lever tôt, de vivre avec d'autres.
Chaque professionnel est le référent de plusieurs stagiaires qu'il écoute, réconforte et remobilise. Pour eux, le stage est un électrochoc. « Malgré les claques, aucun n'abandonne. Nous sommes là pour dédramatiser leurs échecs et valoriser leurs réussites », souligne Stéphanie Lasne, assistante sociale.
Si tous les professionnels de l'UEROS participent à l'animation des ateliers, chacun a sa spécialité. Ergothérapeute formateur, François Croiset s'attache à l'aspect professionnel. Il confie aux gens des tâches de plus en plus complexes et les entraîne à se concentrer en les plaçant devant un ordinateur : « Beaucoup de traumatisés sont restés chez eux à ne rien faire. Ici, ils sont entourés et stimulés. J'ai connu un homme de 50 ans, victime d'une chute de ski. Collé à sa femme, il était incapable de réagir à une situation. A la fin du stage, il pouvait sortir seul. Au départ, il n'envisageait pas de projet professionnel. S'il acquiert une autonomie suffisante en se mobilisant sur des activités socio-culturelles, il pourra revenir pour un deuxième stage visant un retour dans le monde du travail. »
Educatrice spécialisée, Isabelle Desbois, est axée sur la vie quotidienne : « Si les stagiaires peuvent récupérer leurs anciennes compétences, ils ont du mal à s'atteler à des apprentissages nouveaux. A long terme, certains se révèlent très performants. Parfois, sur une seule tâche. Qu'on leur demande autre chose et tout bascule. »
Voilà pourquoi, à la suite du réentraînement, tout projet professionnel, construit par le stagiaire avec son référent, doit être validé par deux stages, qui se déroulent dans un noyau d'entreprises sensibilisées par la chargée d'insertion.
Les trois dernières semaines sont consacrées à la préparation de l'accompagnement ultérieur. Pour les stagiaires capables d'accéder au milieu ordinaire de travail, la mission de l'UEROS s'arrête là. L'unité doit passer le relais aux équipes de préparation et de suite de reclassement (EPSR) (3). Malheureusement, ces équipes n'étant pas formées à cette pathologie particulière, elles se révèlent vite débordées. Les traumatisés constituent des placements difficiles, qu'il faut suivre en permanence. Et si l'orientation n'intervient pas rapidement après la sortie du stage, le candidat au travail se démotive et perd ses acquis. En vue d'améliorer la situation, l'UEROS tente de sensibiliser les EPSR d'Ile-de-France. Un bon travail est amorcé avec celle du Val-de-Marne. Pour pallier les limites de son action, l'UEROS cherche également à réactiver Sésame, programme de retour à l'emploi pour les lésés cérébraux, financé en 1994-1995 par l'Agefiph. « A cette époque, les UEROS n'existaient pas encore, et le centre de Soisy avait signé un contrat d'objectif de 60 insertions en milieu ordinaire, qui a été tenu, explique Raquel Secades . Mon dernier contact avec l'Agefiph me donne bon espoir d'obtenir des fonds pour un prochain programme Sésame qui permettrait de passer le relais à une équipe spécialisée. »
Les personnes inaptes à l'emploi effectuent leur stage d'insertion sociale en milieu associatif. Ainsi, elles pourront ultérieurement trouver leur place dans la société en participant à des activités de loisirs ou en s'investissant dans le bénévolat. Elles peuvent également être admises dans un foyer occupationnel ou un centre d'accueil de jour. Malheureusement, les structures spécialisées sont encore trop rares. Et les cérébro-lésés vivent mal le fait de cohabiter avec des déficients mentaux.
Malgré des prises en charge trop peu nombreuses et pas assez performantes en sortie de stage, l'UEROS de Soisy-sur-Seine affiche des résultats plutôt encourageants. En 1998, sur les 43 stagiaires, 28 ont bénéficié d'une orientation professionnelle : 20 en milieu ordinaire, 6 en milieu protégé, 2 en formation. Sur les 15 autres, 6 ont trouvé une activité sociale, 5 sont admis en accueil de jour, 2 en foyer de vie, 2 en service de soins. Une fois sortis, les stagiaires peuvent toujours appeler leur référent, qui restera en contact régulier avec eux pendant au moins l'année qui suit.
« Il faut mettre en œuvre tout ce qu'on peut sur un temps très court », constate l'assistante sociale, qui apprécie le travail en commun avec ses collègues, permettant, à travers les éclairages de tous les ateliers, d'avoir une vision panoramique des stagiaires. Toute l'équipe a d'ailleurs bénéficié d'une formation systémique sur leur prise en charge.
Actuellement, l'affluence est telle que tout candidat admis à l'UEROS doit attendre environ un an avant de commencer son stage.
Françoise Gailliard
(1) Voir ASH n° 1983 du 12-07-96.
(2) UEROS-Ladapt : 12, rue Notre-Dame - 91450 Soisy-sur-Seine - Tél. 01 60 90 89 93.
(3) Cofinancées par l'Etat et le Fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées (Agefiph), les EPSR ont pour mission l'insertion professionnelle et sociale en milieu ordinaire des travailleurs handicapés.