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« Faire entrer le droit de la famille dans le troisième millénaire »

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 Suppression des conséquences civiles de l'accouchement sous X, renforcement de l'autorité parentale, rejet du divorce sans juge... Dans le rapport remis le 14 septembre à la ministre de la Justice, Elisabeth Guigou, les experts de la commission Dekeuwer-Defossez proposent un toilettage complet de la législation pour rénover le droit de la famille. Pas de révolution sur le fond, mais une série de mesures très concrètes destinées à « faire entrer le droit de la famille dans le troisième millénaire »   (1). Une philosophie pragmatique, comme l'explique la présidente du groupe de travail, Françoise Dekeuwer- Defossez, professeur de droit à l'université de Lille-II.

Actualités sociales hebdomadaires  : Alors que bon nombre de voix réclament la suppression de l'accouchement sous X, votre groupe de travail adopte, quant à lui, une position plus nuancée. Pourquoi ? Françoise Dekeuwer-Defossez  : Les accouchements sous X sont une pratique qui disparaît tout doucement puisque leur nombre est tombé de 700 à 600 par an. Il faut donc accélérer cette tendance, mais sans brusquer les choses. La demande même de suppression de cette procédure est très controversée, car elle répond à des situations humaines douloureuses. Il faudrait trouver un moyen terme permettant de soulager la détresse de certaines jeunes mères sans faire de l'accouchement sous X la source d'un droit à rejeter l'enfant définitivement. C'est pourquoi nous proposons non pas de supprimer la possibilité d'accoucher sous X, mais ses conséquences civiles. C'est dans cet esprit que nous suggérons plusieurs modifications du code civil. En particulier d'abroger l'interdiction, abusive, faite aux enfants nés sous X, d'agir en justice pour que leur filiation soit reconnue. Néanmoins, pas d'affolement, des garde-fous existent. Lesquels ? - Tout d'abord, le secret médical est toujours absolu. Il n'est donc pas question de le violer pour s'en servir ensuite comme élément de preuve dans une action de filiation. Les enfants nés sous X sont, en grande majorité, adoptés de façon plénière et donc dans l'impossibilité juridique de rechercher leur filiation d'origine. Enfin, nous préconisons de réduire considérablement le délai pendant lequel on peut rechercher sa filiation en le fixant à dix ans après la majorité de l'enfant. Au-delà de 28 ans, ce serait définitivement impossible. On veut éviter les procès où, comme aujourd'hui, des personnes de 60 ans recherchent leur filiation auprès d'individus décédés. Vous voulez également supprimer les « faux » actes de naissance ? - A l'heure actuelle, quand l'enfant est remis avec demande de secret, on refait un acte de naissance remplaçant celui d'origine. Autant, au moment de l'accouchement, on peut comprendre que la mère soit dans une situation de détresse, autant permettre, six mois ou un an plus tard, de supprimer l'identité de l'enfant est tout à fait excessif  ! Nous souhaitons donc faire disparaître cette pratique inadmissible ! Pour le reste, nous estimons qu'il faut réfléchir à des procédures qui permettent de concilier les intérêts des uns et des autres, avec probablement une levée de secret, mais sous le contrôle d'un organisme. Ce sont en effet des situations humaines très difficiles où toute brutalité et exagération ne peuvent que causer des drames humains. Mais ne craignez-vous pas que certains vous reprochent une telle prudence ? - La réforme que nous proposons peut sembler mineure, mais elle est importante au plan symbolique. La mère n'aurait plus le droit de décider, de manière arbitraire, que son enfant n'aura jamais de filiation à son égard. De même, elle ne pourrait plus empêcher le père d'accéder à l'enfant. Parce que, depuis la loi de 1993, comme la mère est censée, juridiquement, n'avoir jamais accouché, même si le père retrouve l'enfant, il ne peut pas le reconnaître. Vous voulez renforcer le rôle du père dans l'exercice de l'autorité parentale. Les moyens juridiques sont-ils suffisants pour résoudre un problème qui relève également de l'éducation et de la culture ? - C'est vrai que les moyens juridiques sont peu nombreux. En effet, on n'a jamais pu obliger un père, qui ne se sent pas concerné, à s'occuper de son enfant. Nous nous sommes donc attachés à définir des principes clairs et forts du point de vue symbolique. Premier d'entre eux, dès lors que l'enfant a été reconnu par ses deux parents avant l'âge d'un an, l'autorité parentale est exercée conjointement. Ce qui permettrait au père de prouver facilement, grâce au livret de famille et à la date de reconnaissance, qu'il exerce l'autorité parentale. Le deuxième moyen, c'est d'énoncer de manière un peu solennelle, par un texte du code civil, que nul ne peut faire obstacle à l'exercice de l'autorité parentale par un parent, mais que nul ne peut, non plus, se dispenser de son exercice, sauf cas prévus par la loi. Alors, est-ce qu'il pourrait y avoir des sanctions pratiques ? Disons que nous comptons sur l'imagination des juges. Nous voulons surtout que ce principe soit clairement affirmé. Parmi les autres mesures proposées en matière d'autorité parentales, certaines, plus coercitives, risquent de faire réagir... - Nous avons essayé d'envisager tous les moyens possibles permettant de restaurer le dialogue au sein du couple parental et lui faire accepter l'idée que l'enfant a deux parents. Cela passe par la médiation. Et, sur ce point, nous proposons une disposition phare qui risque, il est vrai, de secouer quelques esprits. Ce serait le droit, dans certains cas, pour le juge aux affaires familiales, d'obliger les parents à avoir une ou plusieurs rencontres avec un médiateur. Nous suggérons aussi une disposition pénale qui pourrait faire couler beaucoup d'encre : si l'un des deux parents, qui exercent conjointement l'autorité parentale, déménage en emmenant l'enfant, il devra prévenir l'autre. Une lettre suffira. Sinon, il sera en infraction pénale. Vous envisagez également d'assouplir la délégation de l'autorité parentale ? - Actuellement, c'est essentiellement l'aide sociale à l'enfance qui bénéficie de la délégation de l'autorité parentale. C'est une procédure très lourde et compliquée, souvent stigmatisante et vécue comme une espèce de sanction. Nous voudrions l'assouplir largement afin de permettre au parent, qui n'est pas en mesure de s'occuper correctement de son enfant, de charger quelqu'un d'autre de le faire. Mais avant même d'en arriver à la délégation, nous prévoyons un système de mandat par lequel un parent pourrait désigner un tiers, par un simple acte sous seing privé, pour effectuer certaines démarches. On imagine, par exemple, une mère qui doit partir travailler pendant six mois à l'étranger et qui confie son enfant à ses propres parents. Actuellement, ces derniers ont un statut juridique extrêmement flou, ils ne savent pas ce qu'ils peuvent faire et ne pas faire. Et parfois, on est obligé de recourir à la délégation parentale pour résoudre de petits problèmes temporaires d'école ou de maladie. Par ailleurs, vous proposez de renforcer les conditions de l'audition de l'enfant en justice... - En matière d'audition de l'enfant en justice, nous avons voulu éviter l'arbitraire du juge. Car les juges aux affaires familiales ont des pratiques très divergentes. Nous suggérons donc que, lorsque l'enfant a plus de 13 ans, on supprime la notion de « discernement » qui ne veut rien dire. Il doit pouvoir être entendu à tout âge par le juge. De plus, si l'enfant de plus de 13 ans demande à être auditionné et qu'il se voit opposer un refus, nous estimons nécessaire que le ministère public puisse faire appel. Actuellement, il n'y a pas de recours possible. Nous avons voulu ouvrir la porte pour permettre aux critiques de se manifester sur un refus d'audition, sans pour autant donner un droit d'appel aux parents ou à l'enfant. Après de longues discussions, votre groupe de travail n'a finalement pas retenu l'idée du divorce sans juge, évoquée la première fois par Elisabeth Guigou. Pourquoi ? - C'est un débat difficile, car très idéologique. Et ce n'est pas à une commission technique de trancher entre ceux qui considèrent le mariage comme un accord de volonté et ceux qui y voient d'abord une institution sociale. Nous sommes donc partis des problèmes concrets. Etre d'accord pour divorcer, c'est une chose. Encore faut-il régler les différentes questions : que faire des enfants et des petites cuillères ?Curieusement, ce n'est pas tellement les enfants qui posent problème. En la matière, le juge aux affaires familiales est toujours compétent. Les difficultés naissent surtout des questions patrimoniales et financières. Comment faire en cas de séparation ? Les personnes sont liées par le régime matrimonial qu'il faut bien dissoudre. Ce qui exige de passer au minimum devant le notaire. De plus, divorcer sans juge aboutit à renoncer à la prestation compensatoire. Est-ce que les personnes, les femmes, prendront une telle décision en toute liberté ?N'y aura-t-il pas des pressions, des chantages ou des menaces ? Enfin, un autre argument tient au coût du divorce. S'il y a une procédure moins onéreuse que les autres, est-ce qu'elle ne risque pas d'attirer des gens qui veulent faire l'économie de la procédure, alors qu'ils ne sont pas fondamentalement d'accord ? Pourtant quand les couples sont séparés depuis longtemps, on peut supposer qu'il y a moins de pression et qu'ils ont réussi à s'organiser ? - Bien sûr, quand l'accord existe, il faut tout faire pour le favoriser. Mais le divorce reste une situation douloureuse. Et il ne faut pas oublier que la famille peut être aussi un lieu de violence et d'oppression. Dans tous les cas, nous proposons donc de maintenir la présence du juge. Mais nous souhaitons réduire de trois ou quatre mois la procédure en cas de divorce sur requête conjointe. Et, en cas de litige, nous prônons un certain nombre d'améliorations. Vous voulez également abandonner le versement sous forme de rente à vie de la prestation compensatoire ? - On ne peut pas continuer à raisonner sur la base du principe selon lequel un époux va entretenir quelqu'un, avec qui il n'est plus marié, jusqu'à la fin de ses jours. Nous voudrions que la prestation compensatoire, destinée à compenser la baisse de niveau de vie de l'époux le plus démuni, soit un capital versé au moment du partage de la communauté. La loi de 1975 posait pourtant le principe d'un capital qui devait être déterminé avant le partage de la communauté. Or, la Cour de cassation a toujours jugé illégal de demander au juge d'attendre d'avoir fait le compte de la communauté pour le fixer. C'est une sottise. Comment voulez-vous avoir une idée du capital sans savoir ce dont les gens disposent ? Il y aura toujours des rentes pour certaines situations. Mais nous voudrions qu'elles ne concernent plus que 1 % d'entre elles. Parmi toutes ces propositions, quelle est celle qui vous tient le plus à cœur ? - C'est difficile à dire. Je crois que la réforme de la filiation et de l'autorité parentale, qui tend à améliorer la situation des enfants, est fondamentale. Elle vise à faire entrer notre droit de la famille dans le troisième millénaire. Néanmoins, la rénovation du divorce est peut-être plus urgente. Propos recueillis par Isabelle Sarazin

Notes

(1)  Sur le détail des mesures, voir ce numéro.

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