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L'aide à domicile écartelée

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La réforme de la loi de 1975 permettra-t-elle une meilleure reconnaissance de l'aide à domicile par les pouvoirs publics ? C'est ce qu'espèrent nombre de responsables associatifs du secteur, pris en tenaille entre l'essor de l'emploi direct et la pression des entreprises.

Depuis deux jours, le taux de TVA sur les services à domicile rendus par les entreprises est passé de 20,6 % à 5,5 % (1). Une baisse que ces dernières espéraient depuis longtemps, dans la perspective de la conquête d'un marché qu'elles évaluent entre 15 et 30 milliards de francs par an, et créateur potentiel de 300 000 à 500 000 emplois. Mais une pierre de plus dans le jardin du secteur associatif de l'aide à domicile. Celui-ci « connaît aujourd'hui une situation de crise, à la fois crise de croissance et crise identitaire et culturelle », s'alarmait Jean-Michel Bloch-Lainé, président de l'Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (Uniopss), lors d'une journée de réflexion (2).

Les origines de cette déstabilisation sont connues. Jusqu'au milieu des années 80, l'offre de services à domicile présentait deux visages bien distincts : une relation de gré à gré, dans le cadre d'une prestation de confort, et une aide à domicile, financée par la collectivité publique, apportée à des personnes âgées ou handicapées par des associations agréées. Depuis une dizaine d'années, repérant dans les services aux personnes un gisement d'emplois potentiel, les pouvoirs publics ont brouillé les cartes, en engageant une politique de solvabilisation de la demande. Exonérations de charges, réductions d'impôts, chèque emploi-service, ont fait de l'emploi direct la principale réponse aux besoins d'aide à domicile. Au détriment du secteur associatif, fragilisé encore davantage par la diminution des subventions publiques, et la menace de la concurrence des entreprises. Jusqu'à présent, malgré la possibilité que leur a offerte la loi du 29 janvier 1996, ces dernières ont peu investi le champ des services à domicile. Mais l'abaissement de la TVA pourrait changer la donne.

L'arrivée de cette concurrence nouvelle présente, pourtant, certains avantages. Ainsi, elle a encouragé les associations à structurer davantage les efforts entrepris pour accroître la qualité de leurs services. Toutes les fédérations avaient déjà, plus ou moins, élaboré leur propre charte, mais une démarche plus unitaire a été engagée, en juin, à l'initiative du Groupement d'études, de recherches et d'initiatives pour l'aide aux personnes âgées (Geriapa) et sous l'égide de l'Association française de normalisation. Elle devrait aboutir à la création, en 2000, d'un référentiel qualité et à une certification NF des prestataires qui le respecteront. « Le secteur associatif, explique François Minot, chargé du projet auprès du Geriapa, souhaite ainsi réagir aux démarches déjà engagées par le secteur lucratif », qui ont donné lieu à la publication, au Journal officiel du 12 août, de son propre référentiel...

En fait, ce n'est pas tant l'apparition des opérateurs marchands qui inquiète les associations, prêtes pour la plupart à l'accepter pour la « clientèle » non fragilisée, que « l'ouverture, plus insidieuse, de l'aide à domicile à l'idéologie du marché », relève le sociologue Michel Chauvière. Réduction de l'individu à sa seule aptitude à consommer et surtout banalisation du contenu du service, devenu objet économique à part entière, telles sont les craintes que suscite cette évolution... Alors que l'aide à domicile a toujours revendiqué une riche définition du service, particulièrement en direction des publics affaiblis et dépendants, qui appellent des réponses personnalisées et difficiles à articuler avec un objectif de rentabilité. « Il faut pénétrer très précautionneusement dans la bulle d'une personne âgée, s'adapter à la personne elle-même, à sa famille, ses voisins, son logement », rappelle Pierre Guillet, président de l'Association de gérontologie du XIIIe arrondissement. Paul Boulinier, président de l'Association des paralysés de France, évoquant l'aide nécessaire aux personnes handicapées, de très grande proximité et répartie sur des plages horaires très larges, affirme ne pas croire « à la régulation par le marché d'une fonction aussi complexe et onéreuse ».

Repenser le système de financement

Mues par ces considérations à la fois éthiques et économiques, les associations appellent aujourd'hui de leurs vœux une « redéfinition » des politiques publiques. Depuis longtemps, elles reprochent aux financeurs traditionnels (caisses de retraites, d'allocations familiales, conseils généraux) de ne pas tenir compte du prix de revient réel des services. Les récentes velléités de la caisse nationale d'assurance vieillesse  (CNAV) de réduire drastiquement sa participation horaire à l'aide ménagère -baisse qu'elle a finalement modérée à la demande de Martine Aubry - ont réactivé ce grief. Mais, plus profondément, c'est une refonte complète du système de financement, jugé à l'unanimité inadapté, qu'elles réclament. « Il faut réfléchir à un mode de prise en charge qui ne soit pas celui de l'heure », défend Christiane Martel, présidente de l'Union nationale des associations de soins et services à domicile... Ce dont convient d'ailleurs le président de la commission des affaires sociales de la CNAV, Paul Cadot : « Nous travaillons à l'envers ! Dans la fonction de soutien à domicile, l'établissement du plan d'aide et la quantification initiale des besoins occupent une place essentielle. Or, tant que nous fonctionnons uniquement sur un taux horaire, cette opération demeure marginale. »

D'une façon générale, tout ce qui n'est pas action directe auprès de la personne souffre d'un subventionnement lacunaire. « Mal résolue, la question du financement de la coordination est pourtant l'un des leviers cruciaux dans la politique de maintien à domicile », regrette Michel Thierry, auteur, avec Véronique Hespel, du rapport sur les aides financières publiques au développement des emplois à domicile (3). Passant plus de temps avec les personnes que tout autre intervenant, les aides-ménagères, travailleuses familiales, auxiliaires de vie, voient ce que d'autres ne voient pas. Et ont besoin de lieux pour échanger leurs informations, prendre de la distance avec ce qu'elles vivent au contact de situations parfois douloureuses. En outre, « au sein des équipes pluridisciplinaires qui interviennent à domicile, seule une coordination structurée, permettant une unité d'action et de soutien, peut garantir le respect de la personne et de ses choix, et éviter les abus », note Aude Saint-Pierre, vice-présidente de la Société française de soins palliatifs. Tout en regrettant que, faute de financement, les aides à domicile soient rarement présentes aux réunions.

De trop rares expériences de coordination

Certaines expériences, cependant, accordent une place de choix à la coordination des réponses sanitaire et sociale. A l'exemple de celle menée par l'association Aides dans le domaine de l'aide à domicile aux personnes malades du sida. Avec le soutien du ministère de la Santé, qui finance un temps plein de coordination pour 75 personnes aidées, des médiateurs de l'association ont pour mission de mobiliser professionnels de santé, services sociaux, aides-ménagères, ces dernières participant régulièrement à des rencontres de régulation. Une action répondant à la logique d'un service complet à la personne. Et menée, selon Jean-Baptiste Bollens, responsable du projet à Aides Ile-de-France, en réaction à cet a priori que « l'aide à domicile exerce l'un des rares métiers du social où l'exercice professionnel est isolé, où la notion d'équipe est ténue ».

En raison de la structure très cloisonnée du financement du secteur, de telles démarches sont encore trop rares. Branches maladie, vieillesse, famille, départements travaillent peu en concertation, et leurs champs d'intervention demeurent strictement délimités. « Or, il est fondamental de rationaliser les dispositifs existants, d'avoir une vision d'ensemble pour ensuite répartir les charges financières entre les différentes parties prenantes », affirme Michel Thierry. Il soutient l'idée d'une démarche contractuelle, à l'image des « contrats enfance » liant les caisses d'allocations familiales et les communes, qui ont permis le développement des structures d'accueil pour la petite enfance. La direction de l'action sociale (DAS), de son côté, songe, par exemple, à des « caisses pivots », entre les caisses régionales d'assurance maladie et les départements, pour financer le volet social de la prise en charge d'un malade à domicile.

En matière de formation, d'importantes réformes sont également en chantier. Trop souvent sommée de fournir, en même temps qu'une prestation de qualité, une voie d'insertion à des femmes sans qualification, l'aide à domicile souffre d'une image dévalorisée. La création du certificat d'aptitude aux fonctions d'aide à domicile (CAFAD), en 1988, a tenté d'y remédier. Mais la complexité et les lacunes de son financement, de même que son organisation pédagogique trop peu axée sur l'aspect relationnel de la fonction, ne satisfont personne. Sa rénovation devrait être engagée au vu des conclusions du rapport de Paulette Guinchard-Kunstler sur la prise en charge des personnes âgées dépendantes, attendu à la fin du mois. Celle-ci a déjà indiqué quelques pistes de réflexion, notamment « l'évolution vers des métiers qui puissent permettre de passer de l'hébergement au domicile, et bénéficier de la grande richesse de cet échange ». La réforme de la formation des travailleuses familiales est, quant à elle, achevée. Le décret instituant la création d'un diplôme de « technicien (ne) de l'intervention sociale et familiale » est, enfin, paru (4). A la DAS, l'articulation de ces deux diplômes avec celui de conseiller en économie sociale familiale est en cours d'élaboration, en vue de la création - préconisée par le contrat d'études prospectives sur la branche lancé en 1996 - d'une filière de l'aide à domicile.

Vers une intégration dans la loi de 1975 ?

Pour de nombreux acteurs associatifs, cependant, la meilleure garantie de l'avenir du secteur résiderait dans une intégration effective des services aux personnes à domicile dans le champ de la loi du 30 juin 1975 relative aux institutions sociales et médico-sociales. A la lumière des premiers éléments concernant la réforme en cours, cette évolution ne semble pas impossible. Le dernier projet présenté par la direction de l'action sociale (5) envisage une intégration plus stricte dans le champ de la loi des associations d'aide à domicile, jusqu'alors assimilées à des institutions sociales, mais sans être soumises aux procédures d'autorisation classiques. Il se limite cependant à considérer les actions d'accompagnement et de soutien financées par l'aide sociale de l'Etat, les départements ou au titre des dépenses obligatoires de l'assurance maladie, laissant de côté celles relevant des fonds d'action sociale des caisses de sécurité sociale. Or, « le service à domicile, pour disposer d'un statut pérenne, doit inscrire ses procédures d'autorisation, d'habilitation, de contrôle et de tarification dans un cadre législatif homogène, susceptible d'être opposé aux financeurs et aux autorités compétentes », objecte Jean-Michel Bloch-Lainé, tout en soulignant qu'une telle intégration conforterait l'appartenance du secteur au champ social et à la sphère non lucrative.

Elle laisserait pourtant diverses questions en suspens. Serait-elle compatible avec l'agrément de services aux personnes, ouvert aux opérateurs du secteur lucratif ?Devrait-elle concerner l'activité mandataire, qui représente aujourd'hui plus de 60 % de l'activité des associations ? N'y a-t-il pas risque d'un enfermement dans l'intervention auprès des seules personnes fragiles ou défavorisées, ce que refusent les acteurs associatifs ?... Le débat est juridique. Mais les enjeux en sont, bel et bien, identitaires.

Céline Gargoly

Notes

(1)  Voir ASH n° 2131 du 3-09-99.

(2)   « L'aide à domicile entre le marché et le social : vers une redéfinition des politiques publiques », le 22 juin, à l'initiative de l'Uniopss : 133, rue Saint-Maur - 75541 Paris cedex 11 - Tél. 01 53 36 35 00.

(3)  Voir ASH n° 2084 du 11-09-98.

(4)  Voir ce numéro.

(5)  Voir ASH n° 2072 du 22-05-98.

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