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Les mineurs face à leurs responsabilités

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Ni panacée, ni gadget, la mesure de réparation pénale peut permettre à certains mineurs de se projeter positivement dans l'avenir. Ce qui nécessite un accompagnement éducatif individualisé.

Au Canada, on l'appelle « solution de rechange », en Belgique et au Luxembourg, « prestation éducative ou philanthropique », ailleurs encore « mesure de diversion ». En France, c'est sous l'intitulé de mesure de réparation que cette réponse à la délinquance des mineurs a été introduite, en 1993, dans l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante (1).

Dans tous les cas, la démarche, partie d'une interrogation sur le rôle et l'efficacité de l'intervention judiciaire par rapport aux comportements des jeunes - notamment ceux couramment qualifiés d'incivilités -, parie sur l'éducabilité de personnalités en devenir. Responsabiliser plutôt que réprimer, telle est la vocation de cette sanction, qui vise à amener les mineurs à prendre conscience de leur acte et à en assumer les conséquences. Outre un travail de réflexion sur la transgression, ceux-ci doivent réparer personnellement le préjudice causé à une victime, qu'il s'agisse d'un individu ou de la collectivité.

« Surveiller et punir », écrivait Michel Foucault. Surveiller et accompagner, en parcourant, avec le mineur, ce bout de chemin devant l'amener à se positionner comme sujet de droit, semblent lui répondre les partisans de la mesure de réparation, qui en soulignaient l'originalité lors d'une rencontre organisée au Centre national de formation et d'études de la protection judiciaire de la jeunesse (CNFE-PJJ)   (2).

Le monopole du parquet

Sur le plan juridique, rappelle Isabelle Couzy, responsable du bureau des affaires judiciaires et de la législation à la chancellerie, la mesure de réparation peut être envisagée à toutes les phases de la procédure : par le parquet, avant l'engagement des poursuites  par la juridiction d'instruction, pendant la mise en examen  ou par le juge des enfants, à titre préjudiciel ou lors du jugement. Ces différentes possibilités, néanmoins, ne sont pas toutes utilisées et le parquet garde un monopole de fait sur le recours à la réparation, précise Jacques Faget, chercheur au CNRS. Or, si cette mesure reste cantonnée au stade préjudiciel et si les magistrats du siège ne s'en emparent pas, fait observer Sylvie Perdriolle, directrice de la PJJ, elle gardera une portée limitée. Alors qu'elle pourrait notablement faire évoluer le champ de la justice pénale.

Outre ce « gonflement des pouvoirs du parquet » par rapport à ceux du juge des enfants, Jacques Faget pointe un autre risque, inhérent aux pratiques actuelles : celui de décentrer la position de l'éducateur, investi d'une fonction nouvelle, « quasi juridictionnelle ». Le parquet, explique-t-il, oriente les affaires vers la réparation et le choix de la mesure s'effectue alors en accord avec l'éducateur et le jeune. Ce qui peut lui faire perdre son caractère de sanction éducative et l'apparenter à une solution négociée avec le mineur.

De fait, la réparation confère un rôle déterminant aux éducateurs dans le suivi des jeunes durant l'exécution de la mesure - puis, à terme, de l'établissement de son bilan -, mais aussi dès le moment où elle est envisagée par un magistrat. En effet, le service éducatif contacté (PJJ ou le secteur associatif habilité), après avoir rencontré les différentes parties (le mineur, ses parents, la victime), aura à se prononcer sur la faisabilité d'une réparation et, le cas échéant, à en organiser les modalités. Il peut s'agir : soit d'une activité effectuée, si elle en est d'accord, au bénéfice direct de la victime (individu ou organisme ayant subi le préjudice), consistant en une prestation matérielle et/ou symbolique (lettre d'excuses, par exemple)   soit d'une réparation indirecte, ce qui semble le cas le plus fréquent. Le jeune doit alors suivre une session de sensibilisation adaptée au type d'acte commis et/ou rendre un service à la société (associations, collectivités locales, hôpitaux, écoles, organismes de transport...). Dans cette réponse à la délinquance juvénile, tout l'environnement peut prendre sa part de responsabilité, souligne Sylvie Perdriolle. La directrice de la PJJ salue l'extrême inventivité des services à cet égard, même si elle relève l'insuffisante formation des éducateurs en matière d'accueil des victimes et de médiation. « C'est peut-être par rapport à notre propre trouille de faire se rencontrer directement le gamin et la victime, estime Jean-François Mellier, directeur départemental de la PJJ des Deux-Sèvres, que nous avons effectivement choisi, pour l'instant, de nous cantonner aux incivilités (dégradations du mobilier urbain, des immeubles HLM, des espaces verts). »

« La scène de la mesure de réparation pour mineurs n'est pas habitée par les victimes, écrit Jacques Faget (3). Il arrive environ dans la moitié des cas [...], qu'une rencontre liminaire soit aménagée entre la victime et l'auteur mineur de l'infraction. Mais ensuite la victime disparaît presque systématiquement du dispositif. » Or, la minimisation du mal causé à autrui, voire la négation de la victime, qui ne représente qu'une abstraction, participe des techniques qu'utilisent les jeunes délinquants pour neutraliser la force de la loi. Le refus de la responsabilité de leurs actes en fait aussi partie, ainsi que la soumission à des loyautés supérieures, comme celles du groupe de pairs.

POUR UNE JUSTICE « RAPIDE ET LISIBLE »

Pour répondre au sentiment d'insécurité exprimé par une partie de la population - dont l'inquiétude se trouve souvent exacerbée par le vécu d'impunité qu'elle prête aux jeunes délinquants -, la justice des mineurs se doit d'être « systématique, rapide et lisible », affirmait la circulaire de politique pénale adressée aux parquets le 15 juillet 1998 (4). Cette politique se traduit par la généralisation du traitement en temps réel des infractions commises et la diversification des réponses. Parmi celles-ci, la mesure de réparation, retenue par le Conseil de sécurité intérieure du 27 janvier 1999 et la circulaire d'orientation de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse du 24 février 1999, considérée comme l'une des orientations majeures à mettre en œuvre (5), connaît un essor croissant. Selon le bilan présenté par Elisabeth Guigou le 5 juillet (6), 7 590 mesures ont été ordonnées en 1998 - 6 080 pour le secteur public et 1 510 pour le secteur associatif habilité -, contre un total de 6 144 en 1997 et 5 029 en 1996.

Une voie de maturation

Précisément, s'agissant de délits réalisés en bande, la question de la responsabilisation des mineurs, élément clé de la réparation, fait problème. Non seulement pour établir, juridiquement, les responsabilités respectives, mais aussi pour permettre à chacun de prendre conscience de la sienne. Est-il judicieux, à cet égard, de prévoir des mesures de réparation collective ? C'est tout à fait possible, pour autant qu'on ménage aussi des temps de rencontre individualisés avec l'éducateur, déclare Laurent Charret, directeur départemental de la PJJ de l'Aube. Pour lui, la dynamique d'un groupe de parole peut avoir un impact fort sur le plan de la symbolique de la loi et de l'évolution du sentiment de culpabilité des jeunes. Cet aller et retour entre le collectif et l'individuel est riche, témoigne également une éducatrice, qui a suivi cinq mineurs de 11 à 15 ans, pour un viol en réunion. 15 jours après une réflexion sur le thème du corps et de la violence, animée par un médecin scolaire et un sociologue et poursuivie avec l'éducatrice, sous l'angle de la responsabilité individuelle et de la place de la victime, le texte écrit par chacun des jeunes montre le changement de leurs discours et leur maturation.

Dans tous les cas, c'est bien une modification durable du comportement du mineur qui est visée, explique Catherine Blatier, professeur de psychologie à l'université de Grenoble : « On ne cherche pas une simple compensation, mais la rupture d'une construction psychique délétère qui consiste à ne pas concevoir d'autres modes de fonctionnement que ceux du talion et de la violence. » En ce sens, la réparation est double : en tant qu'action (le mineur va s'efforcer de remédier au préjudice infligé à la victime) et en tant qu'effet de cette action sur son protagoniste. Tel est l'enjeu d'une mesure qui, en proposant au jeune de réparer ses torts vis-à-vis d'autrui, vise à lui permettre de se restaurer lui-même.

Caroline Helfter

UN GROUPE DE RÉFLEXION DANS LE VAL-D'OISE

Dès 1993, année de création de la mesure, la direction départementale de la protection judiciaire de la jeunesse (DDPJJ) du Val-d'Oise a mis en place un groupe de travail pour réfléchir, avec les magistrats et les éducateurs, au contenu de la réparation (7). C'était, à l'époque, un « concept nouveau » pour traiter de la délinquance des mineurs, explique René Marty, directeur adjoint et conseiller technique à la DDPJJ. Cette mesure éducative, qui n'est pas inscrite dans l'échelle des peines, vise à permettre au mineur de « se réparer » individuellement, de « réparer la victime » et de « se réparer socialement » en renouant les liens avec l'environnement. Il a paru d'emblée évident au groupe de travail qu'il ne fallait pas la limiter aux seules incivilités et actes de petite délinquance. « On peut l'utiliser également pour des mineurs ayant commis des délits plus graves, comme des agressions physiques », poursuit René Marty. Car le processus de réparation peut vraiment leur permettre de changer leur rapport à la loi, en rompant avec l'escalade qui entraîne les jeunes à commettre des actes de plus en plus graves en réponse à des sanctions de plus en plus sévères. Concrètement, le groupe de travail a abouti, fin 1994, à un protocole de mise en œuvre de la mesure de réparation entre les magistrats et la DDPJJ. A travers des journées de débat et des rencontres, il a associé peu à peu les autres acteurs à sa réflexion (cellule justice-ville, barreau...). L'an dernier, afin de « revisiter » encore la mesure, une action-recherche, cofinancée par le Centre régional de formation de l'Ile-de- France, la mission Ville du Val-d'Oise, le Centre scientifique et technique du bâtiment et le ministère de la Justice, a été lancée. Prévue pour être bouclée à la fin de l'année, elle s'articule autour de trois axes : le rapport éducatif-pénal, l'interaction de la mesure avec les conseils communaux de prévention de la délinquance et les contrats locaux de sécurité, le transfert des savoir-faire sur les partenaires extérieurs (8). Conséquence de cette réflexion ? Une montée en charge progressive de l'utilisation de la mesure de réparation (350 mesures en 1999, contre une dizaine fin 1994). De plus, au bout de cinq ans, le département comptait autant de mesures prises par les juges des enfants que par le parquet. Et la part de ce dernier tend même à diminuer, se félicite-t-on, ce qui rend le dispositif plus conforme à sa vocation éducative. Isabelle Sarazin

Notes

(1)  Voir ASH n° 1829 du 23-04-93.

(2)  Les 28 et 29 juin 1999 - CNFE-PJJ : 54, rue de Garches - 94240 Vaucresson - Tél. 01 47 95 98 23.

(3)  Auteur de La Médiation. Essai de politique pénale - Voir ASH n° 2047 du 28-11-97.

(4)  Voir ASH n° 2083 du 4-09-98.

(5)  Voir ASH n° 2110 du 12-03-99.

(6)  Voir ASH n° 2127 du 9-07-99.

(7)  DDPJJ : 1, rue des Ecoles - BP 40 - Saint-Ouen-l'Aumône - 95312 Cergy-Pontoise cedex - Tél. 01 34 30 28 28.

(8)  Un groupe de travail est constitué parallèlement sur le même thème au niveau régional.

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