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Les leçons de l'expérience nivernaise

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Des collégiens franciliens ont passé, à titre expérimental, leur année scolaire 1998-1999 dans la Nièvre. Objectif : leur procurer un environnement plus favorable à la réussite scolaire. A l'heure où certains d'entre eux s'apprêtent à effectuer leur seconde rentrée, bilan d'une opération aux fondements discutables.

« Envoyer des collégiens de la région parisienne, dont les conditions de vie sont médiocres et qui connaissent des difficultés sociales, faire leur scolarité en internat, dans des collèges ruraux, afin de leur donner la possibilité de mieux vivre et donc de mieux réussir. » C'est ainsi que Ségolène Royal, ministre déléguée chargée de l'enseignement scolaire, présentait, en août 1998, son dispositif expérimental : une quarantaine d'élèves des Yvelines, de l'Essonne et du Val-de-Marne allaient effectuer leur rentrée dans des établissements de départements de province. Un moyen également, ajoutait-elle, de « revivifier les internats ruraux ».

Au-delà des représentations sur les vertus de l'air pur de la campagne et la discipline d'internat, qui inspirent un tel projet, et des réserves suscitées par sa mise en place précipitée (1), le bilan apparaît finalement très mitigé. Et, dans la Nièvre, les acteurs sont eux-mêmes partagés. Ni superlatifs élogieux, ni condamnations sans appel. Néanmoins, tant au sein des équipes éducatives que dans les services sociaux, de nombreuses interrogations demeurent sur les conditions de mise en œuvre de la mesure et son intérêt pédagogique, ainsi que sur les lacunes, en amont, de la prévention. Une prudence dans l'analyse qui tranche, en tout cas, avec l'enthousiasme manifesté par Ségolène Royal, lors de sa visite au collège de Varzy, en mars dernier. Un déplacement au cours duquel elle dressait un bilan très positif de l'opération, et annonçait l'extension du dispositif  (2).

35 collégiens en 1998

Nul doute qu'à l'époque, l'annonce de la ministre apparaît comme « du pain blanc » pour les services sociaux des élèves des départements concernés, qui croulent sous les demandes insatisfaites d'internat, faute de structures suffisantes en région parisienne. D'autant que Ségolène Royal a décidé d'aller au pas de charge. Aussi, la Nièvre accueille-t-elle, dès septembre 1998, 35 collégiens de 11 à 16 ans dans quatre établissements, à Varzy, Corbigny, Château-Chinon et Luzy. Difficile de trouver plus « rural » que ce bout de Morvan. Le département, sollicité en urgence au mois de mai 1998, après la défection des Deux-Sèvres, fief perdu de la ministre, réalise l'exploit de boucler son projet... en trois semaines !Concrètement : les élèves seront reçus trois week-ends sur quatre par des familles d'accueil. Et le retour en région parisienne, pris en charge par le département d'accueil, aura lieu une fois par mois, en bus. Miracle de la détermination politique, les moyens suivent très rapidement. Durant l'été, des internats sont rénovés, un demi-poste d'assistante sociale scolaire est créé, des fonds pour l'équipement informatique des collèges et des heures supplémentaires d'enseignement sont dégagés. Enfin, des emplois-jeunes « aides-éducateurs » sont mis à disposition.

« L'expérience de cette année nous montre que l'encadrement éducatif n'est pas un vain mot. Et il s'est passé des choses intéressantes pour ces enfants », reconnaît, aujourd'hui, le principal du collège de Luzy, Pierre Chanteloze. Même s'il avoue ne pas partager, sur le fond, ce type de projet. Et pour lui comme pour ses collègues des autres établissements, les progrès les plus nets ont été réalisés en matière de socialisation des élèves. Certes, au prix souvent de gros efforts et d'une implication inhabituelle des équipes (recours à un groupe de psychologues-conseils à Varzy et à un psychologue du CMPP à Luzy), certains élèves ont pu passer du registre de la violence au dialogue. « Il me semble, en effet, qu'on parvient à reconstruire quelque chose au niveau des repères », estime Lionel Pierredon, principal du collège de Château-Chinon. Et, Laure, une élève de 16 ans, n'hésite pas à parler de « métamorphose ».

Pour beaucoup de jeunes, l'année a permis une rescolarisation. Il s'agissait de « se réhabituer à des cours normaux qui durent effectivement une heure, avec des élèves attentifs et qui sont venus avec leurs cahiers », explique le principal du collège de Corbigny, Philippe Jegu. Les équipes évoquent d'ailleurs l'intérêt des petites structures (entre 200 et 300 élèves), offrant une meilleure qualité de vie scolaire et permettant un encadrement rapproché des élèves.

Des innovations pédagogiques

Autre point positif : l'arrivée des « Parisiens » a joué, parfois, comme un électrochoc, obligeant les équipes à inventer et à trouver des solutions pédagogiques nouvelles. « Une manière aussi d'accélérer la mutation nécessaire, l'adaptation à de nouvelles populations rurales pas si différentes de celles des villes (immigrés des grandes métropoles, précaires). On ne peut plus fonctionner comme il y a 30 ans, avec une conception élitiste du collège », défend Pierre Chanteloze. Mais, dans le même temps, la vocation déjà sociale des internats de ces collèges- sections d'enseignement général et professionnel adapté (SEGPA), élèves en difficultés familiales - et l'expérience acquise en ce domaine ont permis d'accueillir sans trop d'appréhension ces élèves, qui, pour beaucoup, se sont révélés « pas si différents » des autres. Pour toutes ces raisons, et malgré les difficultés attendues

- choc culturel, périodes de rejet de la population locale, monuments aux morts tagués et fugues à travers champs -, rares sont ceux qui parlent d'échec. La plupart des intervenants se disent « satisfaits » de l'opération.

Reste une difficulté de taille : sur les 35 adolescents accueillis en septembre, seuls 18 étaient encore scolarisés dans la Nièvre au mois de juin. Un taux d'évaporation inquiétant. Même si chaque départ n'est pas synonyme d'échec, plaident Nicole Grandin, responsable du service social en faveur des élèves des Yvelines, et son homologue de l'Essonne, Alyette Thibert. Certains retours sont dus en effet à l'instauration d'un meilleur climat familial  d'autres ont favorisé le déclenchement d'une mesure éducative longtemps refusée par la famille. Mais il y a aussi tous les autres : notamment, les renvois pour des questions de discipline et les difficultés d'adaptation des plus jeunes à l'internat et à l'éloignement.

Une impréparation évidente

C'est clair, l'expérience a souffert de sa mise en place précipitée et du manque de préparation. Le prix à payer pour son démarrage, dès la rentrée 1998, a été lourd. « Les établissements d'accueil de la Nièvre, tardivement contactés, n'ont pas, et pour cause, pu être associés en amont », regrette Anne-Marie Moreau, proviseur du lycée-collège de Varzy. Les équipes de professeurs, informées lors du dernier conseil d'établissement, dans le meilleur des cas, sont passées de la stupeur à l'inquiétude. Même si certains d'entre eux ont pu être présents lors de la visite organisée pour les futurs internes au début de l'été. Quant aux familles d'accueil - assistantes maternelles ou familles de parents d'élèves - les services sociaux et les chefs d'établissements ont eu beaucoup de mal à les recruter. « Au 23 août, se souvient Pierre Chanteloze, qui a reçu 14 enfants, 8 familles seulement avaient été trouvées aux alentours de Luzy. » Nous sommes pourtant au cœur d'une région à forte tradition nourricière. « Partout ailleurs, cela aurait été impossible de réagir si vite », fait-on même remarquer au ministère de l'Education nationale. Enfin, et surtout, les enfants n'avaient pas été informés correctement des modalités pratiques. Et ils découvraient qu'ils ne rentraient plus toutes les semaines, comme on le leur avait promis initialement. De quoi ébranler leur confiance. Au ministère, si l'on reconnaît que cette précipitation a quelque chose « d'insatisfaisant », on rétorque que l'expérience ne pouvait être retardée car « des familles comptaient dessus pour l'année ».

La sélection des adolescents a été à la source d'autres difficultés. Commission de sélection ou pas, les services sociaux des départements franciliens n'ont pourtant pas traité la question à la légère : définition d'un profil d'élève précis à partir des indications du ministère, élaboration d'un dossier, attention toute particulière à l'adhésion du jeune, travail avec la famille. Mais ces efforts se sont heurtés à de sérieuses limites, voire à des dérives. Comment juger du réel volontariat d'un enfant de 12 ans ? D'autant que, malgré la vigilance de services sociaux, le dispositif, prévu initialement pour répondre à des « difficultés sociales » des élèves, a parfois été utilisé comme solution de la dernière chance pour des élèves exclus de partout. Ou encore, certains chefs d'établissements en ont profité pour éloigner quelques éléments indésirables. De fait, si les familles avaient bien donné leur accord, peu d'élèves disent avoir eu vraiment le choix. Et certains ont manifesté de graves problèmes de comportements et de violences. Immanquablement, le projet s'est révélé, pour eux, complètement inadapté. « Nous sommes l'Education nationale, nous n'avons pas les moyens de faire du spécialisé », s'emporte Philippe Jegu, qui « refuse d'être celui qui accueille ceux dont on ne veut plus en banlieue ». Et là, on touche à la fragilité même du projet, qui suppose, au risque de mélanger les genres, de bien distinguer ce qui relève de l'environnement social de ce qui est de l'ordre du comportement individuel. Séparation qui, on le sait, est toute théorique.

C'est enfin l'éloignement lui-même, sur lequel pourtant repose le dispositif, qui fait débat. Les élèves disent en effet souffrir de cette longue rupture de trois ou quatre semaines, qui pèse lourd dans la balance au moment où ils dressent le bilan de l'année. Si certains adultes impliqués dans le dispositif défendent cet éloignement comme un instrument pédagogique intéressant, la plupart ne lui prête pas de vertu. Pour Lionel Pierredon, c'est même « un handicap ». « On ne peut pas dire que l'internat puisse avoir un quelconque rôle thérapeutique. Pour cela, il nous faudrait du personnel éducatif. Or, je rappelle que nous travaillons avec des surveillants en premier poste. L'internat peut avoir un rôle restaurateur. J'estime néanmoins que pour un enfant de cet âge-là, sauf situation très grave de type maltraitance, il faut avant tout maintenir un lien étroit avec la famille. » Difficile, à plus de quatre heures de route, même si le téléphone fonctionne entre les collèges et les familles. En outre, cette solution implique un accueil dans des familles de la Nièvre, le week-end. Une tâche bien délicate pour ces familles volontaires et bénévoles (simplement défrayées), qui, pour beaucoup, ne sont pas prêtes à s'engager à nouveau.

Poursuivre à certaines conditions

Les responsables des collèges concernés sont, toutefois, volontaires pour reconduire l'opération cette année. Evoquant leur responsabilité vis-à-vis des élèves, ils sont bien décidés à essayer de les amener au brevet des collèges. Ils sont prêts à accueillir également de nouveaux élèves. Mais ils ont posé, cette fois, leurs conditions : jeunes volontaires, informés, et sans problèmes trop importants de comportement. Le Puy-de-Dôme et l'Allier se lancent aussi dans l'expérience à la rentrée.

Que retenir finalement de l'initiative ? Il est clair que celle-ci tente de répondre à un vrai besoin. Celui d'établir une distance momentanée avec la famille et/ou l'environnement et d'offrir un encadrement éducatif plus proche dans un établissement à taille humaine. Si bon nombre d'acteurs de terrain s'accordent là dessus, beaucoup plaident néanmoins pour des solutions de proximité. « J'ai toujours pensé qu'un petit collège avec internat, dans l'Essonne même, serait la solution idéale », avoue Alyette Thibert (2). La bonne réponse semble plutôt se trouver du côté d'une réelle politique visant à développer de telles structures en Ile-de-France, à éclater les monstres que sont ces cités scolaires de plus de 1 000 élèves et à soutenir les familles.

Valérie Larmignat

Notes

(1)  Aiguillonné, peut-être, par cette expérience, le conseil général de l'Essonne a donné son feu vert pour la construction d'un collège avec internat. Ouverture prévue à la rentrée 2000.

(2)  Voir ASH n° 2082 du 28-08-98.

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