Ils n'associent pas les jeunes au choix du séjour. Ils ne transmettent pas aux équipes d'animation des informations essentielles. Ils inscrivent des vacanciers trop perturbés pour partager un projet de loisir collectif. Ils sont rarement joignables en cas d'urgence... Nombreux sont les reproches que les organisateurs de centres de vacances adressent aux équipes des établissements d'éducation spécialisée. Ces « foyers », trop souvent diabolisés... avec lesquels, cependant, ils souhaitent, pour la plupart, continuer à travailler. Pour des raisons éthiques, puisque les associations les plus importantes du secteur - Union française des centres de vacances (UFCV), Ligue de l'enseignement, Union nationale des centres sportifs de plein air (UCPA) (1)... - défendent le droit aux vacances pour tous et la mixité sociale dans leurs centres. Pour des raisons économiques, également, cette « clientèle » venant opportunément remplir les séjours au moment où d'autres désertent.
Contraints de trouver des solutions d'accueil pour les jeunes pendant les vacances, période de fermeture ou d'effectif réduit, les foyers, pour leur part, recourent volontiers aux services de ces organismes. D'autant plus que le retour dans la famille paraît de moins en moins envisageable. « La fragilité financière et psychologique des parents s'accroît, ce qui diminue leur capacité à accueillir leur enfant », note Robert Bossé, président de l'Association régionale des internats éducatifs spécialisés d'Ile-de-France (ARIES) (2). Désormais, le tiers, voire la moitié, des effectifs ne peuvent pas rentrer chez eux en période estivale, contre seulement un ou deux enfants il y a quelques années.
Nécessité matérielle, l'inscription en centre de vacances n'est pas dépourvue, aux yeux de certaines équipes, de vertus éducatives. Le jeune teste ses capacités à vivre dans un environnement différent, à tisser des liens avec d'autres personnes, qui porteront sur lui un regard neuf. « Il est bon, souligne Gilles Meunier, chargé de la protection de l'enfance au service d'aide sociale à l'enfance de Meurthe-et-Moselle, qu'ils aillent se frotter à une vie moins protégée qu'en établissement, tout en soufflant, dans un cadre moins strict, loin des éducateurs. »
Si les intérêts des uns et des autres semblent converger, les modalités d'une collaboration effective se révèlent, en revanche, difficiles à fixer. « Structures de loisirs et équipes éducatives ont encore à faire un effort de connaissance réciproque », estime un responsable de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Cela permettrait, par exemple, que ne soit pas dissimulé le fait que le jeune est placé à l'année. Partant du souci - louable - de ne pas stigmatiser l'enfant, ou de la crainte - moins avouable- de voir l'inscription refusée, cette omission a des effets pervers. Elle empêche ainsi le directeur du séjour, faute d'information, de recruter une équipe d'animation plus aguerrie, plus apte à encadrer un public fragilisé et déstabilisant. Et ce sont de jeunes lycéens ou étudiants bénévoles, frais émoulus de leur préparation au BAFA, qui risquent d'être débordés par un groupe de jeunes « difficiles ».
Néanmoins, les avantages de cette meilleure « connaissance réciproque » ont parfois déjà été perçus. A la fédération de la Ligue de l'enseignement de Lot-et-Garonne, on se targue de mener, depuis plusieurs années, une action « volontariste » en direction des structures pour l'enfance inadaptée, ponctuée de nombreuses rencontres avec leurs directeurs d'établissements. A Nancy, la délégation régionale de l'UFCV trouve appui auprès du service de l'aide sociale à l'enfance du conseil général. Organisateurs et directeurs de séjours peuvent en permanence joindre un correspondant, pour régler une question administrative concernant un vacancier relevant de ce service, comme pour obtenir un conseil, un soutien, ou même un relais, en situation de crise. Dans le Gard, depuis deux ans, la PJJ de Nîmes est partenaire de l'association Vacances Evasion. Un éducateur, présent sur les lieux de séjour, rassure les équipes pédagogiques qui se sentent en difficulté, dédramatise et au besoin, intervient directement auprès du jeune concerné.
Jusqu'à présent, les différentes associations du secteur ont essayé de trouver par elles-mêmes des personnes ressources. Cet été, cependant, un début de réponse institutionnelle a été apporté à leurs préoccupations, sous l'égide de la délégation interministérielle à la ville. Interpellée par certains organisateurs confrontés à des faits de violence et des élus locaux inquiets, elle a chargé deux éducateurs spécialisés, Gilles Baizeau et Odile Rousseau, pourvus d'une expérience en animation socio-culturelle, de sillonner la côte aquitaine (3). Leur objectif : répondre aux sollicitations des équipes d'animation désirant une aide extérieure pour faire face à des comportements violents, quels que soient leur forme et leurs auteurs. Informées par courrier de leur présence à proximité, une vingtaine d'équipes les ont contactés. Premiers enseignements de cette action expérimentale ? Elle confirme le sentiment d'impuissance, de découragement, des animateurs devant la gravité et la fréquence des difficultés qu'ils rencontrent auprès du public des jeunes hébergés en institution : refus de participer, transgression systématique des règles, incapacité à négocier, passage à l'acte, recherche de l'exclusion, chantage au suicide... Devant ces manifestations, ils éprouvent d'autant plus de mal à réagir qu'ils ont parfois, souligne Odile Rousseau, « une tendance à se laisser dominer par l'émotion quand ils apprennent la situation du jeune ». Autre constat, le sentiment d'une grande partie des équipes pédagogiques que les relations avec les éducateurs sont impossibles, que ceux-ci ne répondent pas à leurs appels ou qu'elles-mêmes n'osent pas les solliciter, par crainte de se voir reprocher leur échec. Forts de leur expérience, les deux accompagnateurs ont essayé de combattre cet a priori, et quelques autres. Celui, par exemple, de penser qu'en savoir davantage sur l'histoire familiale de l'enfant permettrait d'apporter une réponse plus adaptée. « Illusion, rétorquent-ils. L'animateur, pendant la courte durée du séjour, ne peut avoir d'autre ambition que de prendre l'enfant tel qu'il est, au présent, et de lui faire passer les meilleures vacances possibles. »
On ignore encore quelle suite connaîtra cette opération. « Néanmoins, il était important d'adresser aux acteurs des centres de vacances un signal montrant que leurs difficultés sont prises au sérieux », insiste François Pernette, responsable de l'action sociale et de la solidarité à l'UCPA. Il y a urgence. « Le nombre croissant d'inscriptions individuelles effectuées par les acteurs sociaux, plus particulièrement par les foyers d'éducation spécialisée, ne permet plus d'intégrer ces jeunes dans des conditions acceptables », indiquait-elle dans son rapport d'activité 1998. Pour ses éducateurs sportifs, peu familiers avec les publics en difficulté, l'association a imaginé, avant même la mission de cet été, des formes de soutien. Sans parvenir, de son propre aveu, à « une formule satisfaisante sur le plan de l'éthique ». L'hiver dernier, des « agents de prévention et de médiation », titulaires d'un BAFA et présentant des dispositions particulières à la fonction - charisme, formation aux techniques de négociation -, ont tenté, dans un centre savoyard, parfois sans succès, de faciliter la communication entre certains jeunes « remuants » et les animateurs sportifs. « Une expérience pour préserver la paix sociale, mais qui masque, convient François Pernette, les responsabilités :celles des acteurs sociaux, qui nous adressent des jeunes peu préparés à vivre un projet sportif, et celles de nos personnels ».
Certains organisateurs de séjours n'hésitent pas, en effet, à remettre en question la qualité de leur accueil. « Les équipes consacrent parfois trop d'énergie aux questions pratiques, sans prendre le temps d'écouter les enfants », constate Elisabeth Bellard, responsable de l'animation à l'UFCV, en se fondant sur les premiers éléments d'une enquête sur l'intégration, en centre de vacances, des jeunes en difficulté, que cette association devrait achever, avec le soutien du ministère de la Jeunesse et des Sports, à la fin de l'année. Les enfants vivant en foyer, plus impulsifs, plus fragiles, sont en fait, renchérit François Chobeaux, responsable du département des politiques sociales aux CEMEA, « les révélateurs de tous les dysfonctionnements d'un centre ». Lors d'un séjour où les participants se sentent anonymes, où les animateurs sont polarisés sur le bon déroulement des activités, ils seront les premiers tentés de s'engouffrer dans les brèches.
Individualisation de la relation de l'animateur à l'enfant ou à l'adolescent, souci de faire de lui un acteur de son séjour et non un simple consommateur... Les grandes fédérations formatrices d'animateurs et/ou organisatrices de centres de vacances semblent d'accord sur les pistes à explorer pour améliorer l'accueil de ces jeunes qui ont connu des carences dans leur relation à l'adulte. Même si elles parviennent parfois à des conclusions divergentes sur les formes à donner à leur action (voir encadré ci-dessous).
Quelles que soient leurs stratégies, toutefois, l'intégration ne sera complète que si l'établissement spécialisé a joué franc-jeu, inscrit des jeunes dont il est sûr qu'ils tireront profit de l'expérience et, bien sûr, préparé avec chacun d'eux ce séjour. Car il n'est pas simple de faire émerger le désir de partir chez ces adolescents qui ont déjà connu trop de ruptures. A ces conditions seulement, les équipes éducatives seront en droit d'attendre des équipes d'animation « qu'elles soient, résume Vincent Molho, chef de service de l'internat « La Maison », à Buc (Yvelines), assez solides pour poser des règles et des limites, et assez accueillantes pour ouvrir le champ d'appréhension du monde de nos pensionnaires ».
Céline Gargoly
Une partie du débat se cristallise autour de l'opportunité de créer des séjours spécifiques pour jeunes hébergés en institution. De telles formules contreviennent, en effet, à l'une des valeurs fondamentales du centre de vacances, le brassage social. Depuis 1996, cependant, l'UFCV de l'Indre-et-Loire propose des « séjours d'animation adaptée ». Grâce à un effectif faible et à un taux d'encadrement élevé, l'accent est mis sur la prise en charge individualisée, le dialogue. Séjours ghettos ? A cette accusation, Jean-Jacques Barjolle responsable du site, répond qu'ils visent, au contraire, à rendre le jeune apte à prendre part, dans les meilleures conditions, à des séjours classiques, au bout de deux ans. « L'intégration, explique-t-il, suppose des prérequis, qui ne peuvent être transmis que si l'équipe a vraiment les moyens d'accompagner l'enfant. » La Ligue de l'enseignement, en revanche, refuse les séjours spécialisés et défend l' « intégration totale ». « Ce qui demande d'aller jusqu'au bout de la logique, précise Jacques Chauvain, responsable du secteur vacances. Pour une intégration réussie, nous mettons en place des quotas sur certains séjours : pas plus de 10 à 15 % de jeunes issus de foyers. » Cette formulation sans détour peut choquer. Là encore, pourtant, il s'agit d'aider les animateurs à accorder à ces enfants fragilisés toute l'attention dont ils ont besoin.
(1) UFCV : 10, quai de la Charente - 75019 Paris - Tél. 01 44 72 14 72 - Ligue française de l'enseignement et de l'éducation permanente : 21, rue Saint-Fargeau - 75020 Paris - Tél. 01 43 58 95 00 - UCPA : 62, rue de la Glacière - 75630 Paris cedex 13 - Tél. 01 45 87 45 87.
(2) ARIES : 1, rue Louis-Massotte - 78530 Buc - Tél. 01 39 56 34 08.
(3) Une mission qui fait suite à plusieurs mois d'échanges au sein d'un groupe de travail rassemblant des associations, des ministères et des administrations, et coordonnée par l'UFCV.