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Le parcours presque « naturel » d'un éducateur

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Dans le rapport annuel qu'il doit remettre le 20 juillet au président de la République, le Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées plaide pour une meilleure « cohérence » de l'action publique. A l'image du parcours de son secrétaire général, Patrick Doutreligne. Arrêt sur un militant de la cause des exclus du logement.

Situés au fond d'une cour du XIVe arrondissement de Paris, au deuxième étage d'un escalier au tapis rouge élimé, les bureaux sont petits et vétustes. Les moyens en personnels réduits au strict minimum avec, en tout et pour tout, une secrétaire... D'autres que Patrick Doutreligne pourraient se sentir relégués au poste de secrétaire général du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées qu'il occupe depuis mars dernier (1). Surtout, après la folle pression des 21 mois vécus au cabinet de Louis Besson. « C'est sûr, quand on passe de 70 heures par semaine à 50 heures, on a l'impression de vivre au ralenti ! », ironise-t-il avec un sourire. Qu'on se le tienne pour dit, l'ancien conseiller technique du secrétaire d'Etat au logement n'a pas l'intention de se laisser endormir par l'ambiance silencieuse et calme des lieux. Des locaux qu'il connaissait déjà pour les avoir fréquentés en 1997 comme simple membre du Haut Comité.

Un rôle de « poil à gratter »

Estimant que ce conseil de sages est resté trop discret ces deux dernières années (depuis le départ de Louis Besson de sa présidence), son secrétaire général entend bien lui faire jouer un rôle de « poil à gratter », d'interpellation des départements à la traîne en matière de logement des défavorisés et de diffusion des expériences innovantes. Première satisfaction : il vient d'obtenir que ses membres se déplacent régulièrement pour rencontrer les acteurs locaux. Voilà qui devrait rendre plus visible l'action de « ce club de personnalités intéressantes » qui jouit d'une forte autorité morale. Et dont les propositions, contrairement aux apparences, sont largement suivies d'effet : trois sur quatre ont reçu une traduction législative ou réglementaire, ces cinq dernières années.

C'est Louis Besson qui lui a demandé d'intégrer le Haut Comité (2), avec pour mission de contrôler l'application du volet logement de la loi contre les exclusions. Une « suite logique » dans le parcours de cet éducateur spécialisé qui, à 46 ans, peut se vanter d'avoir accompagné, sous toutes les facettes, la lente maturation et l'accouchement délicat de ce texte. Côté pile, quand, avec sa casquette de conseiller technique à l'Uniopss (jusqu'en juin 1997), il tentait de faire avancer les revendications des associations auprès du gouvernement Juppé  côté face, lorsque, cette fois, au pied du mur, il fut véritablement « la plume du ministre » sur ce dossier. Un grand écart entre l'action de terrain et la décision qu'il redoutait bien un peu. « J'ai eu des craintes, pendant mes premiers mois au cabinet ministériel, que les associations me considèrent comme définitivement passé de l'autre côté », avoue-t-il, en toute simplicité.

Ce serait pourtant mal connaître ce Bordelais aux cheveux blonds qui a grandi sous les ciels changeants du Nord-Pas-de-Calais. Région où il s'est frotté très tôt à l'exclusion. Enfant déjà, il jouait au foot avec des jeunes délinquants, dans l'établissement de semi-liberté que dirigeait son père... Militant dans l'âme, peu sensible aux paillettes et vernis du pouvoir, dont il a pu découvrir toute la fragilité, ce navigateur du social a su barrer au milieu des vents contraires. Parvenant, lors des réunions interministérielles, à vaincre la distance arrogante à son égard de certains énarques et polytechniciens, par sa connaissance des dossiers et ses convictions d'homme de terrain  jouant également au maximum la transparence avec les responsables associatifs, qu'il s'attachait à rencontrer régulièrement. Avec ce mélange permanent de pragmatisme et de réflexion. Et toujours ce souci de parvenir à persuader son interlocuteur de la justesse de ses positions. Avant tout, fidèle à son objectif :l'aide aux plus démunis. « Il est vrai que je n'avais pas à me forcer avec un ministre militant », ajoute-t-il aussitôt. Ne cachant pas son admiration pour l'homme et le personnage politique, Louis Besson. « Le meilleur conseiller technique du cabinet », précise-t-il, en évoquant, avec plaisir, l'après-midi passé ensemble à « réécrire à deux mains » le projet de circulaire sur l'expulsion.

« La vraie prévention »

Sa constance et sa ténacité, surtout face « aux résistances naturelles de l'administration », ont en partie payé. Le secrétaire général ne dissimule pas sa satisfaction d'avoir réussi à inscrire dans la loi, la prévention de l'expulsion. Cette idée lui tient à cœur depuis qu'il a été confronté aux familles en dette de loyer lorsqu'il était directeur départemental d'un service de tutelle aux prestations sociales du Pas-de-Calais, de 1986 à 1990. « Un grand pas en avant », souligne-t-il avec fierté, tant cela bouscule la façon d'aborder le problème, dont l'aspect social n'était traité jusqu'ici qu'en aval du jugement. « Voilà la vraie prévention, affirme-t-il avec conviction. Celle ciblée sur les personnes en instance de basculer » et vers laquelle doit tendre l'ensemble du travail social. Sachant que, selon lui, ses intervenants gagneraient également à se démarquer d'une attitude strictement professionnelle pour revenir à une vision plus militante et plus politique de leur action. « Les travailleurs sociaux doivent être suffisamment proches des élus et des pouvoirs locaux pour travailler le problème dans sa globalité et non pas seulement sur l'individu », défend-il.

Belles paroles ? Pas seulement, si l'on considère que cet esprit d'engagement, cette volonté de peser sur l'environnement et les politiques publiques ont imprégné tout son parcours d'éducateur. Profession qu'il continue de revendiquer. On peut d'ailleurs citer nombre d'actions collectives initiées dans le Pas-de-Calais lorsqu'il était à la tête du service de tutelles, puis conseiller technique à l'Uriopss : élaboration avec la chambre départementale des huissiers d'une convention pour l'aide aux familles endettées sous tutelle, mise en place d'une charte de prévention des expulsions avec l'ensemble des partenaires, création d'une agence immobilière à vocation sociale...

D'où l'impression pour cet homme, qui n'a rien perdu de sa jovialité, d'être arrivé presque naturellement au secrétariat d'Etat au logement. Une entrée dans les allées du pouvoir « dont le seul intérêt est de faire en sorte que les plus faibles de nos concitoyens soient protégés », précise-t-il comme pour s'excuser. Car s'il est honorifique et « passionnant », ce passage n'en reste pas moins « une simple étape ». Il lui aura permis de replacer la question des mal-logés dans le contexte général de la politique du logement. Mais aussi, de mesurer le poids de la résistance de certains élus locaux, notamment au développement de l'offre de logement social. « Ce sera un obstacle pour la mise en œuvre de la loi contre l'exclusion. Et l'on voit bien, dès à présent, que si l'on n'utilise pas un peu des outils coercitifs, on n'y arrivera pas ! La loi Besson le prouve, cela marche bien, là où il y a une volonté croisée des acteurs », s'agace-t-il. C'est pourquoi le nouveau secrétaire général entend bien user de tout son poids au sein du Haut Comité pour interpeller les plus récalcitrants. Soit, derrière ses lunettes, garder l'œil sur l'application des textes auxquels il a largement contribué. Plus que jamais déterminé.

Isabelle Sarazin

LE HAUT COMITÉ PLAIDE POUR UN CHANGEMENT D'APPROCHE

« Malgré la prise de conscience collective des évolutions de société et la multiplication des outils [...], on ne peut que constater la persistance'enkystée" de l'exclusion et la montée de la précarisation. » Comment parler de cohérence dans la politique du logement pour les personnes défavorisées « quand on perd, en 12 ans, près de 2 300 000 logements à loyer très modeste et que, parallèlement, l'offre nouvelle de logements très sociaux s'élève à moins de 140 000 ? », s'interroge le Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées dans le Ve rapport annuel (le premier depuis 1996), qu'il doit remettre, le 20 juillet, au président de la République (3). Ses auteurs plaident pour une politique du logement qui ne se borne plus à « multiplier les statuts intermédiaires et les arrangements ponctuels pour loger ou héberger les personnes en difficulté ». Mais permette réellement le développement d'une offre suffisante de logements de droit commun accessibles à des personnes à faibles ressources. Au-delà des propositions, l'intérêt du rapport est de soulever des questions essentielles : Faut-il maintenir la politique du logement social exclusivement centrée sur les organismes HLM ? Son financement doit-il rester segmenté, privilégiant le « très social » mais décourageant les bailleurs et les collectivités territoriales ?

  Améliorer l'offre de logements. Le Haut Comité prône, notamment, l'obligation de construire des logements sociaux pour les communes à la traîne, ainsi que l'ouverture d'une réflexion sur le financement du logement et l'élargissement à d'autres opérateurs. En matière d'aides au logement, il suggère une meilleure réactivité du montant des aides, lors des modifications des ressources des ménages, et l'harmonisation et la simplification du système. Des dispositions nouvelles doivent être prises pour octroyer des aides au logement en fonction des conditions de salubrité. Il s'agit également de favoriser les travaux par des procédures simplifiées et par un renforcement du pouvoir de l'Etat et des collectivités publiques en cas de carence des propriétaires. L'étude aborde, cette année, la situation parisienne, où 12 % des logements n'ont pas le confort sanitaire minimal. Elle juge encourageante la relance de la production de logements sociaux dans le cadre de la convention Etat-ville (4) signée en février dernier. Néanmoins, elle pointe la nécessité de construire et, surtout, de réhabiliter ou de transformer des bureaux en logements. Et insiste sur l'engagement tripartite Etat-région-municipalité pour favoriser la construction dans les arrondissements sous-équipés.

   Mieux répondre à certains publics. Vis-à-vis des personnes en rupture familiale et momentanément sans abri, le Haut Comité souhaite que le gouvernement institue un « vaste programme de créations de résidences sociales » à taille humaine, sur le modèle des pensions de famille plus appropriées aux populations, de plus en plus jeunes, à la rue. Autre sujet : le logement des personnes d'origine immigrée. Le rapport revient sur la nécessité d'adapter les foyers au vieillissement de la population et de développer une offre de logements en fonction de la taille et de la composition des familles nombreuses. Il suggère à ce sujet d'améliorer la gestion et l'intégration dans le tissu social des foyers accueillant des personnes du Sud Sahel. Par ailleurs, le Haut Comité demande aux pouvoirs publics de réexaminer les conditions de financement de l'accompagnement social, dont le coût est très variable selon les départements. Mais surtout, il réclame au gouvernement « une mission explicite » sur le suivi de l'application de la loi contre les exclusions   (5), centrée plus particulièrement sur la prévention des expulsions, la réforme des attributions, la redéfinition des plans départementaux, la prévention des coupures d'énergie et d'eau. Véronique Halbrand

Notes

(1)  Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées : 38, rue Liancourt - 75014 Paris - Tél. 01 40 64 49 33.

(2)  Au poste de secrétaire général vacant depuis septembre 1998, après le départ de Michelle Aucouturier devenue directrice adjointe à la direction de la solidarité et de la santé de Corse et de Corse-du-Sud.

(3)  Le besoin de cohérence dans la politique du logement - Mai 1999.

(4)  Voir ASH n° 2106 du 12-02-99.

(5)  Voir ASH n° 2095 du 27-11-98 et n° 2094 du 20-11-98.

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