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Le casse-tête du logement des jeunes

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L'autonomie des jeunes est liée inévitablement à leur insertion par le logement. Comment adapter les aides existantes sans marginaliser davantage cette population par des dispositifs spécifiques ?

« Aujourd'hui, l'insertion des jeunes est une insertion en précarité, en dents de scie, avec des allers et retours. Les politiques du logement doivent accompagner cette instabilité professionnelle », expliquait Michel Carvou, délégué général de la Fondation Abbé-Pierre, lors d'un récent forum européen sur le logement des jeunes et l'exclusion. Les différentes enquêtes évoquées lors de cette manifestation illustrent les nouvelles difficultés auxquelles sont confrontés les jeunes Européens, en général, et ceux de l'Hexagone, en particulier (1).

Un « cocooning forcé »

Depuis le milieu des années 80, les jeunes Européens ont tendance à prolonger leur séjour au domicile parental. Si à peine 9 % des Finlandais âgés de 25 à 29 ans résident encore chez leurs parents, la proportion s'élève à 17 % en France. Plus alarmant : un nombre croissant de jeunes réintègrent le domicile familial pour n'avoir pas pu supporter la charge financière d'un logement autonome. Or, « faute d'une réponse au désir de décohabitation, le maintien au domicile des parents est souvent décrit par le jeune, mais aussi par sa famille, comme un échec à la réalisation de son projet individuel et de son épanouissement », estime Bertrand Goujon, directeur général de l'Union d'économie sociale pour le logement. Pour Michel Carvou, cette cohabitation tardive favorise même une sorte d' « apartheid rampant »  : « Les jeunes qui ne peuvent pas quitter le domicile familial vont souvent zoner. Ce cocooning forcé accroît l'exclusion. En effet, plus on voit de jeunes à problèmes dans les quartiers, plus on hésite à leur attribuer un logement. De plus, cette situation engendre parfois des décohabitations'clash ",qui voient les jeunes partir en errance, après avoir été mis dehors. Or, un an de rue, c'est ensuite cinq ans pour s'en sortir. » Dans la liste des obstacles rencontrés par les jeunes Européens désirant accéder à un logement, le niveau élevé des loyers figure au premier rang, suivi, le plus souvent, par les montants des cautions et des dépôts de garantie exigés. Nombre de jeunes ayant décohabité déclarent se priver pour faire face à leurs dépenses de logement. Pour presque un jeune Français sur deux, ces dernières se font au détriment de l'habillement et, pour 11 %, à celui des dépenses de santé. En outre, si une grande majorité des jeunes Français estiment avoir de bonnes conditions d'habitat, ils sont encore plus de 16 % à les trouver insatisfaisantes, voire très insatisfaisantes. L'occasion, pour Michel Mouillart, professeur d'économie à l'université de Nanterre, de rappeler que « près de 10 % des jeunes Européens connaissent des conditions de logement dégradées ». Résultat, aujourd'hui encore, l'absence de logement ou même de très mauvaises conditions d'habitation empêchent 4,4 % des jeunes de trouver du travail.

Un parc social peu adapté

Face à cette situation, nombre d'observateurs dénoncent l'inadaptation du système actuel et insistent sur la nécessité d'engager une politique du logement spécifique aux jeunes. Première constatation : beaucoup de jeunes n'ont pas accès au parc locatif social, conçu pour une population plus familiale. « Nous nous posons effectivement la question de l'adaptation des parcs locatifs sociaux des différents pays européens aux besoins des jeunes. En France, notamment, les studios ne représentent que 5 %des logements sociaux », reconnaît Patrick Kamoun, conseiller à l'Union nationale des fédérations d'organismes HLM. Du côté des constructeurs, on regrette surtout le manque de souplesse pour bâtir des logements sociaux offrant des rapports qualité-prix correspondants aux besoins exprimés par les jeunes. « Pour obtenir le financement de ces logements, il faut, par exemple, absolument prévoir une cuisine digne de ce nom, explique Alain Sionneau, président de la Fédération française du bâtiment. Or, on s'aperçoit que, pour nombre de jeunes, notamment les étudiants, ce n'est pas leur attente principale. » Rien d'étonnant donc, au fait qu'une partie de cette population se tourne vers le parc locatif privé, dont les loyers impliquent pourtant un effort très lourd.

Elargir et ajuster l'offre de logements à destination des jeunes paraît d'autant plus nécessaire que leurs situations se révèlent très diverses et que certains d'entre eux n'entrent dans aucune formule actuelle. « Il existe souvent des solutions imaginées pour certaines catégories de jeunes, comme les étudiants, les jeunes travailleurs, les apprentis, les jeunes couples... Mais, ceux qui ne correspondent pas à ces types de populations ne savent pas où aller », explique Paul-Louis Marty, délégué général de l'Union nationale des fédérations d'organismes HLM. Les plus démunis sont ainsi très souvent contraints de s'orienter vers des centres d'hébergement, tandis que d'autres s'installent dans un système de cohabitation qui peut devenir très périlleux. Ne bénéficiant, en effet, d'aucun statut officiel, cette forme d'hébergement constitue parfois une ultime étape avant l'errance. Voilà pourquoi certaines propositions visent à privilégier des formules de logement transitoire, comme les foyers de jeunes travailleurs (transformés progressivement en résidences sociales) ou la colocation, conçus comme des « coups de pouce » permettant de prévenir les risques d'exclusion.

Des « maisons d'hôtes » pour éviter l'isolement

Toutefois, à travers la colocation, se pose à nouveau le problème de l'ajustement de la législation. « La colocation existe depuis de nombreuses années, mais elle est mal organisée et il est très difficile d'obtenir des aides au logement, déplore Philippe Audras, président de la Fédération nationale de l'immobilier. Il faudrait peut-être trouver un système de bail simple qui puisse être partagé entre plusieurs personnes et que chacun, selon ses droits, bénéficie des aides au logement. »

D'aucuns encore mettent l'accent sur des solutions visant à ne pas enfermer certains jeunes dans des formules « désocialisantes ». Adapté à quelques-uns, le logement individuel et autonome peut parfois en plonger d'autres dans l'isolement et la solitude et aller ainsi à l'encontre de la construction du lien social. Pour Marie-Noëlle Lienemann, présidente du Conseil national de l'habitat et maire d'Athis-Mons, il faut imaginer des structures inédites : « Se retrouver seul dans un logement quand on a été en situation d'instabilité, chez des copains par exemple, est souvent très mal vécu. Je crois beaucoup à ce qu'on pourrait appeler des'maisons d'hôtes ", des structures de petite taille qui pourraient s'apparenter à ce que l'on fait pour les personnes âgées : des appartements en réseaux avec un gestionnaire. Il y a là des formules à expérimenter localement, notamment pour les sorties de CHRS. »

Parallèlement, l'idée de créer un dispositif destiné à cette population est à nouveau débattue. « L'aide de l'Etat trouve ses limites dans la quasi-inexistence de dispositifs spécifiques aux jeunes. Cela entraîne un traitement banalisé, qui se trouve directement en concurrence avec celui réservé à d'autres populations à faibles revenus », rappelle Bertrand Goujon. En outre, les aides existantes ne sont pas assez souples et réactives pour répondre à la complexité et à la précarité des parcours de ces publics. Comme le confirme Michel Carvou : « Pour les jeunes qui veulent accéder à un logement, l'existence d'un délai de carence d'un mois pour le versement de l'APL constitue déjà un premier barrage qu'il faudrait faire disparaître. » Face à l'absence d'une aide publique à destination du logement des jeunes, le soutien familial reste souvent le seul recours.

Dans l'optique d'éventuelles aides ciblées, certains participants au forum européen sur le logement des jeunes et l'exclusion ont souligné l'intérêt de développer, par exemple, des dispositifs de garantie spécifiques, au sein du Fonds de solidarité pour le logement  (FSL). Marie-Noëlle Lienemann avance, pour sa part, l'idée d'une mutualisation des risques : « Plutôt que d'accompagner dans une renégociation de prêt, avec une part de subvention, un accédant à la propriété qui se retrouve au chômage, mieux vaudrait reloger cette personne avec une solution de reprise en bail locatif. Cela coûterait moins cher à la société et éviterait bien des traumatismes humains. Il faudrait peut être commencer par un système de mutualisation pour les jeunes, si on ne veut pas instaurer, dès le départ, un dispositif trop massif. »

Quant à l'apport du 1 % logement en faveur des jeunes, Louis-Charles Bary, président de l'Union d'économie sociale pour le logement, insiste sur l'évolution de ce système d'aide au financement et son adaptation progressive à cette population. L'occasion de rappeler que des mesures comme les aides à l'entrée, notamment la participation en garantie, particulièrement importante pour le bailleur, ont été étendues à un plus grand nombre de jeunes : « Aujourd'hui, ces mesures s'adressent aussi à tous ceux qui ont moins de 30 ans, qui travaillent ou sont à la recherche d'un emploi. Autant dire à la quasi-totalité des jeunes. » Attention, précise toutefois Louis-Charles Bary : il ne s'agit pas d'assister des personnes en permanence, mais de leur apporter un soutien ponctuel, en attendant qu'ils soient insérés ou réinsérés économiquement.

Renforcer les aides à la pierre

Réflexion identique pour Marie-Noëlle Lienemann, qui vante les avantages de l'aide à la pierre par rapport aux aides à la personne : « Dans certains cas, les aides à la personne peuvent être un filet. Mais, lorsqu'elles deviennent systématiques, mieux vaut instaurer un droit. Avant tout, il faut renforcer considérablement les aides à la pierre pour les opérations concernant l'entrée dans le logement des jeunes ayant des problèmes financiers et sociaux. » Rattachement aux aides du droit commun ou dispositifs spécifiques à cette population, ce débat relance celui autour de la création d'un « RMI-jeunes ». « Même si on constate que le RMI, réservé aux plus de 25 ans, n'est plus suffisant pour se loger, manger, s'habiller, constate Michel Carvou, il constitue quand même une sécurité pour le bailleur. En effet, ce dernier sait que de nombreux dispositifs se mettent alors en place simultanément. »

Henri Cormier

UN ACCÈS FACILITÉ AUX AIDES AU LOGEMENT

Afin d'assouplir les dispositifs en vigueur, le gouvernement a annoncé, lors de la conférence de la famille du 7 juillet (2), une nouvelle mesure concernant l'ouverture du droit aux aides personnelles au logement pour les salariés de moins de 25 ans en situation précaire (ni fonctionnaire ou assimilé, ni bénéficiaire d'un contrat de travail à durée indéterminée). A compterdu 1er janvier 2000, ceux-ci verront leurs ressources évaluées forfaitairement sur 9 mois au lieu de 12. Ce qui devrait augmenter l'aide versée de 25 % en moyenne, selon le gouvernement. De plus, il sera possible de réviser cette évaluation, sur demande du jeune, une fois tous les 4 mois, en cas de diminution des ressources.

Notes

(1)  Forum organisé les 21 et 22 juin 1999 à Paris, par la Fédération Relais - Les actes du colloque seront disponibles en septembre 1999 auprès de Solidarité jeunes travailleurs : 7, rue de la République - 93100 Montreuil - Tél. 01 49 88 80 60.

(2)  Voir ASH n° 2127 du 9-07-99.

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