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Un soutien pour les équipes dans l'impasse

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En Ile-de-France, le Derpad, structure mixte santé-justice, accueille en consultation des professionnels dont l'action est mise en échec par des jeunes en grande souffrance psychique. Pour une mise à distance qui aide à débloquer les situations.

A 17 ans, un mineur est incarcéré pour avoir « cassé la figure » à une éducatrice de son foyer. Cherchant des lieux d'accueil alternatifs à la prison, son éducateur voit toutes ses demandes d'admission refusées. Consulter le Dispositif expert régional pour les adolescents en difficulté  (Derpad)   (1), lui a permis de réexaminer, de manière plus distanciée, le dossier du jeune pour comprendre les raisons de sa violence : enfant, il avait été frappé, par sa mère, à coups de barre de fer. Ce rappel a aidé l'éducateur à modifier son attitude envers le garçon. Et celui-ci s'est apaisé. Un exemple du rôle « catalyseur » de la consultation. « Même les bons professionnels sont pris en défaut. En situation d'impasse, ils doivent avoir le réflexe de trouver un espace pour réfléchir, plutôt que de dire que l'ado est incasable », observe le docteur Ali Magoudi, directeur médical du Derpad.

Un binôme d'accueillants

Le Derpad est à la disposition gratuite des équipes éducatives et sanitaires démunies face à la violence répétée d'adolescents qui leur sont confiés. Il a été créé par une convention, signée le 1er juillet 1996, entre le ministère de la Justice, le ministère de la Santé et la Mutualité de la fonction publique, organisme gestionnaire. A sa tête, une direction bicéphale « agissant par consensus permanent »  : Alain Roger, directeur éducatif à la protection judiciaire de la jeunesse  (PJJ), mis à disposition par cette administration, et Ali Magoudi, psychiatre, détaché par l'Institut mutualiste Montsouris. Autour d'eux, une équipe d'une dizaine de personnes, constituée à parité d'intervenants de la santé et de la PJJ, collabore à temps partiel au dispositif.

La plupart des jeunes concernés font l'objet d'un mandat judiciaire au titre de l'assistance éducative ou de l'enfance délinquante. En général, ce sont les services de psychiatrie infanto-juvénile, d'abord sollicités par les équipes éducatives ou médico-sociales, qui orientent ces dernières vers le Derpad, quand l'évaluation clinique a conclu qu'il n'y avait pas lieu d'hospitaliser le jeune. On observe également que les éducateurs référents qui viennent consulter sont le plus souvent accompagnés des psychologues institutionnels. Sur les 770 professionnels reçus entre 1996 et 1998, 57 % sont éducateurs, 17 %assistantes sociales, 17 % médecins, infirmiers, psychologues, 6 % chefs de service, magistrats et inspecteurs de l'aide sociale à l'enfance, 3 % exercent une autre profession.

Quand un éducateur, seul ou accompagné, voire toute une équipe, sollicite le Derpad, la consultation d'accueil et d'évaluation est assurée par un binôme d'intervenants : un éducateur de la PJJ et un psychiatre ou psychologue de formation analytique. Cette rencontre sera unique si la réflexion en commun suffit à donner un autre éclairage de la situation et/ou à offrir des pistes de recherche pour une nouvelle prise en charge. Lorsque la problématique est complexe, les équipes ont le loisir de revenir, au rythme qu'elles souhaitent. Les rendez-vous sont alors poursuivis avec les deux accueillants présents lors du premier contact.

« Apporter deux regards différents et complémentaires permet de travailler de façon plus performante, explique Jean-Michel Hervieux, psychiatre et psychanalyste. Chacun des deux professionnels pense dans son champ d'intervention. Ainsi, dans un cas de maltraitance, l'éducateur va réfléchir au moyen de protéger le jeune, tandis que le psy va chercher à comprendre pourquoi la victime veut continuer à voir l'auteur de sa souffrance. » « Au détour des consultations, l'un des deux champs s'impose, constate Alain Roger. On décrypte assez vite si la situation relève de la psychiatrie ou de l'action éducative. » « Les champs de compétences respectifs, social et médico-psychologique, étant clairement définis, ajoute Ali Magoudi, il n'y a pas de confusion des rôles. Contrairement aux éducateurs de terrain qui, dans leur quotidien, se coltinent toutes les réalités de la situation du jeune, ici, chacun des professionnels du binôme est bien plus à l'aise pour travailler. Il est déchargé de la dimension spécifique du domaine de l'autre. »

Hors de toute hiérarchie

Les cas exposés sont de toutes natures : leur dénominateur commun, c'est l'incapacité à les résoudre. En quoi la consultation peut-elle avoir un rôle positif, quand la supervision institutionnelle n'a pas réussi à dénouer la situation ? Elle permet aux professionnels de s'exprimer en confidentialité, hors de toute hiérarchie, loin des conflits et des enjeux de pouvoir. Elle met de la distance là où la subjectivité, à la longue, finit parfois par émousser l'acuité d'un superviseur rémunéré par l'institution.

« Ce qui nous frappe dans les situations, dites impossibles, constate le directeur médical, c'est qu'elles empêchent les gens d'exercer leurs compétences professionnelles. » « Nous avons découvert une constante chez tous ceux qui viennent nous consulter, poursuit le directeur éducatif. Ce sont des travailleurs sociaux qui s'exposent. Ils ne viennent pas parler d'un dossier mais d'un jeune pour lequel ils manifestent un investissement fort. Et s'ils sont en difficulté avec cet ado, c'est justement parce que celui-ci leur fait suffisamment confiance pour s'autoriser à aller mal. Ces intervenants sont, pour la plupart, d'excellents professionnels, qui ont perdu le recul et les réflexes de base, comme de se pencher sur l'histoire de l'enfant. » « L'important est de trouver un discours qui ait un sens pour le jeune, insiste Jean-Michel Hervieux. Nous savons bien que les difficultés se rejoueront, ailleurs et plus tard, s'il est fragile. Mais il faut gagner du temps et, grâce à une meilleure qualité relationnelle, calmer le jeu le plus tôt possible, pour que l'adolescent aborde sa vie d'adulte avec un maximum d'atouts. »

Pour sauvegarder sa position de tiers neutre, le dispositif laisse toute latitude à ceux qui le consultent de poursuivre seuls le travail amorcé. Dans la plupart des cas, les équipes estiment qu'une ou deux rencontres, parfois le seul fait de prendre rendez-vous ou d'exposer la problématique, suffisent à faire émerger les dysfonctionnements. Revers de cette liberté : peu de retours sur la mise en œuvre des orientations envisagées. Pour en savoir plus, début 1998, le Derpad a réalisé une enquête évaluative concernant l'ensemble des situations nouvelles exposées en 1997, soit 134 cas.

Près des trois quarts des sondés ont répondu. Les deux tiers d'entre eux ont indiqué que le travail mené au Derpad avait eu un impact positif sur le jeune lui-même. Plus de la moitié ont reconnu avoir découvert des aspects non perçus auparavant. Et, pour plus de 11 %, la consultation a suscité une remise en cause personnelle. De fait, quand la réalité du traumatisme subi par le jeune entre en résonance avec l'histoire singulière de l'écoutant, elle empêche la relation éducative. La distanciation, en espace neutre, permet à chacun de conserver sa place auprès du jeune et sa capacité à élaborer des projets.

La vocation du Derpad, dispositif de soutien aux professionnels, n'est pas de travailler avec les jeunes même si, pour répondre à des situations très particulières, il s'implique dans des soins ambulatoires auprès d'un nombre limité d'adolescents. Son ambition est d'être un laboratoire de recherches et un pôle de formation. Le dispositif regroupe deux séminaires de recherche dans les champs clinique et psychothérapeutique. Et pour les travailleurs sociaux s'occupant d'adolescents à la frontière de l'éducatif et de la psychiatrie, il a conçu un module de recherche-formation. Dernier projet en date, articulé autour de deux axes : la diffusion de leur savoir-faire par des services éducatifs innovants présentant leurs activités  la création de groupes pluridisciplinaires, se réunissant pendant deux ans, pour réfléchir sur des thèmes transversaux.

Combiner les prises en charge

En constante recherche, les professionnels du Derpad mènent également, avec les structures régionales de l'administration pénitentiaire et de la PJJ, une réflexion commune sur l'incarcération des mineurs pour actes criminels. En projet : une formation/information destinée aux personnels des maisons d'arrêt d'Ile-de-France, pour leur faire connaître le milieu médico-social et la diversité des formules de placements.

La prise en charge globale, en un seul lieu, est souvent mise en échec par les jeunes les plus perturbés. Convaincu de la nécessaire articulation entre des établissements trop souvent cloisonnés, le Derpard s'est lancé, début 1997, dans le recensement des structures sanitaires, éducatives, sociales, scolaires, existant sur la région. Editée sur CD-Rom, la banque de données a été diffusée à 3 000 exemplaires. Elle est fournie gratuitement à tous les partenaires (103 fin 1998), tenus, pour recevoir la version actualisée de l'année suivante, d'assurer la mise à jour des informations concernant leur propre structure. L'idée n'est pas de trouver une place unique pour un ado « incasable », mais de combiner divers lieux qui répondent à ses besoins. Par exemple :un hébergement en foyer ou en famille d'accueil associé à un centre médico-psychologique.

La diffusion massive de la banque de données auprès de l'Education nationale, des PAIO et des missions locales amènera le Derpad à se rapprocher de professionnels travaillant avec les jeunes de façon plus « soft », que les intervenants agissant dans le cadre d'un mandat. Cet élargissement devrait faire évoluer le lieu ressources et, sans doute, la nature des consultations.

Françoise Gailliard

DES PROFESSIONNELS TÉMOIGNENT

A l'aide sociale à l'enfance des Hauts-de-Seine (2), une équipe est confrontée à une situation incestueuse sans passage à l'acte avec un père psychopathe et manipulateur. Sur décision du juge, le lien paternel doit être maintenu. Le cas est complexe et concerne plusieurs enfants, placés dans des lieux différents. L'équipe ne sait comment s'y prendre et tourne en rond. C'est d'abord l'éducateur référent et la psychologue d'un des enfants qui s'adressent au Derpad et qui, plus tard, entraînent les professionnels en charge des autres membres de la fratrie aux consultations suivantes. « En réfléchissant hors pression, à l'extérieur de l'institution, avec les collègues du Derpad, remarque la psychologue, nous avons été amenés à prendre conscience qu'il fallait voir le père autrement, si nous voulions calmer le jeu et rester protecteurs vis-à-vis des enfants. Ce que nous, à l'ASE, apprécions particulièrement, c'est que les deux dimensions, psychique et éducative, ont été prises en compte à égalité, sans prééminence de l'une sur l'autre. » « Le Derpad nous a permis, en mettant les choses à plat, de cerner notre problème, explique un des éducateurs. Comme nous diabolisions le père, nous nous interdisions tout travail avec lui. J'étais le plus réticent, mais à partir du moment où nous acceptions de lui donner une place, il fallait modifier notre comportement pour relancer la machine. Nous sommes revenus consulter trois fois pour analyser notre pratique. « Lors des visites du père à l'enfant dont je suis référent, j'arrive à entrer en relation avec lui. Du coup, il a cessé de me provoquer. La médiation se passe mieux pour l'enfant. Je suis plus détendu mais je reste très vigilant. »

Notes

(1)  Derpad : 14, rue de la Pépinière - 75008 Paris - Tél. 01 53 42 36 15.

(2)  Les professionnels ont préféré garder l'anonymat.

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