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Mieux articuler le sanitaire et le médico-social

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Créer plus d'établissements extra-hospitaliers à même d'accueillir les malades mentaux nécessitant des soins constants, tel est le but des restructurations en cours. Pour cela, le sanitaire et le médico-social doivent apprendre à mieux travailler ensemble.

Les malades mentaux peuvent exiger une prise en charge importante, sans, pour autant, nécessiter une hospitalisation à plein temps en psychiatrie. Cependant, pour externaliser les patients chroniques, il faut disposer de structures d'hébergement et d'accompagnement, adaptées à la diversité des situations. Comment conjuguer, au mieux, projets de vie et projets de soins ? Ce fut le thème des journées d'étude organisées par le Centre national de l'expertise hospitalière (CNEH), en collaboration avec la Mission nationale d'appui en santé mentale (1). Une question d'actualité à l'heure où la réforme de la loi de 1975 relative aux institutions sociales et médico-sociales est en préparation. Outre l'articulation des établissements et services sociaux et médico-sociaux entre eux, le projet prévoit un décloisonnement entre le sanitaire et le social. Ce qui impliquerait la possibilité, pour des établissements de santé, d'adhérer à une formule de coopération sociale et, inversement, pour un établissement social ou médico-social, de s'intégrer dans une coopération ou un réseau sanitaire.

Différentes catégories de patients concernés

La plupart des patients hospitalisés en psychiatrie sans nécessité ne sont plus des personnes âgées - comme c'était le cas dans les années 80 -, mais des malades mentaux adultes, déclarés « handicapés » par les Cotorep, explique Jean-François Bauduret, chargé de mission auprès du directeur de l'action sociale. Des personnes très invalidées dans leurs capacités décisionnelles et relationnelles, mais relativement autonomes, cependant, pour réaliser les actes essentiels et élémentaires de la vie courante.

Ces patients, précise le docteur Gérard Massé, responsable de la Mission nationale d'appui en santé mentale et chef de service à l'hôpital Sainte-Anne, présentent notamment des troubles relevant de psychoses chroniques stabilisées ou de nouvelles pathologies (état limite, structures abandonniques) et sont en attente de lieux alternatifs ou revenus à l'hôpital, après de multiples tentatives de sorties. D'autres attendent une place dans un service de long séjour ou une maison de retraite ou souffrent de détériorations physiques et/ou psychiques liées au vieillissement. Certains encore, après une psychose infantile, ont transité, une fois adultes, de services de psychiatrie infanto-juvénile en structures médico-sociales. Enfin, quelques-uns relèvent de polyhandicaps, souvent des jeunes adultes dépendants, du fait d'une atteinte neurologique à évolution lente avec désocialisation. Tous ces patients restent à l'hôpital, parfois de nombreuses années, en raison de leur isolement familial et de l'insuffisance notoire de structures à même de les recevoir. Ce qui fait, souligne le psychiatre, qu'au fil du temps, ils sont devenus incapables de mobiliser leur capacité psychique pour s'intégrer socialement dans un cadre de « vie normale », même si auparavant ils y avaient évolué sans difficultés particulières. En outre, leur hospitalisation en psychiatrie entraîne de fortes réticences à les accueillir de la part des établissements médico-sociaux, confrontés, par ailleurs, à de nombreuses demandes. « Ce processus s'affirme avec d'autant plus d'acuité lorsque le travail en réseau du secteur psychiatrique avec le champ médico-social est peu développé », ajoute Gérard Massé, qui souhaite que le sanitaire ne soit plus du médico-social de technicité éducative très limitée.

Des résistances à la collaboration

Cependant, recentrer le sanitaire sur le soin et le médico-social sur la qualité de la vie ne signifie pas penser en termes de « basculement de stocks » du premier vers le second, mais de flux permanents entre les deux types d'institutions - et ce, tout au long de la vie des individus, affirme Henri Lachaussée, président d'honneur de l'Union nationale des amis et des familles de malades mentaux. De tels échanges nécessitent alors de développer un véritable partenariat, qui, pour l'heure, ne semble pas aller de soi. Accusé de ne pas mettre suffisamment en œuvre sa technicité pour leurs résidents et de procéder à des réorientations prématurées, le secteur sanitaire n'a pas toujours bonne presse aux yeux des médico-sociaux, reconnaît Gérard Massé. Quant aux psys, complète-t-il, il leur arrive de considérer que le médico-social génère ces situations de crise et se défausse sur eux, les mettant en difficulté par des transferts inadaptés.

Or, pour penser en termes de complémentarité entre les acteurs des deux champs, une meilleure coordination - et une plus grande polyvalence des différents intervenants - est indispensable, « afin que l'éducatif ne soit plus saturé par des pathologies non traitées, et que le soin ne se résume pas à une absence d'objectif d'intégration, conduisant à systématiser la régression, l'hébergement constituant alors son seul apport », affirme le responsable de la Mission nationale d'appui en santé mentale. A cet égard, une diversification des équipes, dans les deux types de structures, pourrait contribuer au nécessaire « métissage culturel », invoqué à plusieurs reprises. Avec un ratio de 0,3 psychiatre en équivalent temps plein, les établissements médico-sociaux sont jugés « dramatiquement » sous-médicalisés. A l'inverse, la pluridisciplinarité pourrait s'avérer tout à fait bénéfique en hospitalisation psychiatrique, en particulier pour aider les patients à préparer leur entrée de « résidents » dans une structure médico-sociale.

« Une troisième culture »  ?

Bien sûr, précise Marcel Jaeger, directeur de l'Ecole d'éducateurs spécialisés de Buc, les travailleurs sociaux et les soignants initient d'ores et déjà, au quotidien, des collaborations tout à fait efficaces. Mais, il existe aussi des résistances, des deux côtés. Confrontés aux restructurations hospitalières, les soignants craignent pour leur emploi  quant aux professionnels du médico-social, ils s'inquiètent de l'intrusion du sanitaire dans leur domaine. A cela, s'ajoutent d'autres types de réticences, liées à des représentations réciproques erronées, portant autant sur les usagers des deux secteurs que sur la nature du travail effectué avec eux. D'où la nécessité, pour mettre en synergie les compétences, de développer des formations plus globales et fédératrices et d'établir, entre elles, des passerelles et équivalences. On pourrait peut-être ainsi, estiment les participants, faire émerger une « troisième culture », qui serait une culture réelle de santé publique. Reste qu'au-delà du mixage des compétences et des métiers, la question du profil du chef de projet, à même d'assurer la coordination d'un réseau organisé autour de la structure médico-sociale, demeure en suspens : cette fonction doit-elle être assurée par un éducateur ou par un soignant ? Ou peut-être, convient-il d'imaginer « une compétence hybride ou hybridée, celle d'un référent coordonnateur, qui serait un troisième homme entre le médical et le social », s'interrogent certains ?

En fait, commente Jean-François Bauduret, la psychiatrie classique a parfois des difficultés à se positionner sur l'échiquier du dispositif sanitaire et social. Il est vrai, souligne-t-il, qu'elle a tout particulièrement souffert de la trop grande étanchéité existant entre la loi hospitalière de 1991, dont elle relève principalement, et les deux lois sociales de 1975. Et d'évoquer les querelles d'école opposant la maladie mentale - considérée comme curable, c'est-à-dire temporaire - au handicap mental défini comme stable, donc permanent. « Cette opposition de concepts n'a aucun sens en psychiatrie de service public, déclare le chargé de mission de la DAS, et ces deux notions ne sont, en réalité, ni antinomiques, ni parfaitement superposables », le handicap étant - selon les travaux de Philip Wood, repris par l'OMS - le produit de la combinaison et de l'interaction de plusieurs composantes. C'est pourquoi, à l'instar de Gérard Massé, Jean-François Bauduret qualifie d'artificiel le clivage entre le sanitaire et le social, dans la prise en charge des personnes dont le « handicap » résulte d'une affection psychique très invalidante. Pour ces dernières, explique-t-il, une démarche globale est nécessaire, qui fasse appel à une palette d'approches, jouant sur les divers registres de la maladie, de la déficience (c'est-à-dire de l'altération des fonctions et des organes pouvant découler de la maladie), de l'incapacité (étant entendue comme la limitation des gestes et actes élémentaires de la vie ordinaire) et du désavantage social (relatif aux freins dans l'accomplissement d'un rôle dans la société).

D'où l'intérêt, estime Jean-François Bauduret, de l'ordonnance hospitalière du 24 avril 1996, qui permet aux établissements de santé, publics et privés, de « créer et gérer les services et établissements sociaux et médico-sociaux » visés par les lois de 1975.

Se saisissant de ce nouveau dispositif, plus de la moitié des centres hospitaliers spécialisés se sont engagés - ou se préparent à le faire - dans la mise en place de structures médico-sociales (maisons d'accueil spécialisé et foyers à double tarification, notamment). Il faut être très vigilant, cependant, pour éviter la réalisation d'établissements « faux nez », insiste Jean-François Bauduret. Exemple : rebaptiser, afin de les rentabiliser, des pavillons psychiatriques en perte de vitesse, animés par le même personnel que précédemment. D'ailleurs, pour accompagner les restructurations en cours des capacités hospitalières vers le médico-social, le chargé de mission de la direction de l'action sociale annonce l'élaboration prochaine de référentiels de qualité, afin, notamment, de « cadrer les critères de "bon usage" de l'article 51 de l'ordonnance ».

Des difficultés à lever

Les hôpitaux désirant créer un établissement médico-social se voient proposer plusieurs options, explique Patrick Mordelet, directeur du centre hospitalier de Maison-Blanche. Il leur faut notamment choisir entre une gestion directe, ou pas, de ces structures et une implantation, ou non, sur le site psychiatrique. Les problèmes de requalification des personnels, suite à des opérations de redéploiement, sont aussi d'importance. Idem pour les questions relatives aux transferts de budgets de la maladie vers le médico-social et aux effets pervers de tarifications différentes. Ne pourrait-on pas prévoir des financements croisés et additionnels pour des prises en charge alternées des individus en fonction de leurs besoins (y compris sur une séquence de temps de 24 heures)  ?

Au moment où l'on demande à la psychiatrie d'élargir ses missions, afin de ne pas laisser en déshérence des pans entiers de la population (notamment les plus démunis), certains s'interrogent sur les risques de voir ses moyens largement amputés, du fait de ces restructurations, et les conséquences que cela pourra avoir sur la politique publique de psychiatrie, notamment sur la politique de secteur. En outre, un problème majeur n'est pas encore réglé : celui de la limite d'âge, fixée à 60 ans, pour être admis (ou rester) dans une structure médico-sociale. Et, en corollaire, l'absence de réponses adaptées aux handicapés vieillissants. Or, faute de solutions d'accueil nouvelles à proposer à ces derniers, la psychiatrie risque de devoir continuer à assurer leur hébergement.

Caroline Helfter

Notes

(1)  Intitulées « Mieux articuler le sanitaire et le médico-social en psychiatrie : pourquoi et comment ? », les XVIe journées TNEH (Technologies nouvelles à l'hôpital) ont eu lieu les 8 et 9 juin à Bagnolet. Rens. : CNEH - 9, rue Antoine-Chantin - 75014 Paris - Tél. 01 40 44 15 15.

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